Simone Weil

Le 24 août 1943, près de Londres, Simone Weil décédait à l’âge de 34 ans. Philosophe, anarcho-syndicaliste qui fit l’expérience du travail à la chaîne, engagée dans la colonne Durrutti pour la défense de la République espagnole, puis à Londres dans la France Libre, elle publia quelques articles de son vivant et laissa une multitude d’écrits qui furent publiés progressivement après la guerre. Elle y aborde tous les sujets : de la philosophie grecque à la condition ouvrière, des réflexions sur la menace nazie et la guerre, du colonialisme à la mythologie et à sa réflexion et à son expérience chrétienne. L’oeuvre de Simone Weil est énorme et je ne voudrais aborder, que sa dimension chrétienne parce que, depuis l’âge de 18 ans, elle me fascine. Qu’il soit bien entendu que je n’ai pas la prétention de présenter un tableau complet de cette pensée immense qui me dépasse ni de rendre compte des pensées souvent fulgurantes de cette femme hors du commun, mais seulement de quelques points qui m’ont frappée.

Simone est née dans un milieu agnostique complet et, dans son autobiographe spirituelle qu’elle adressa en mai 1942 à un dominicain, le P. Perrin, elle précisait qu’elle n’avait jamais cherché Dieu, tout simplement parce que, ici-bas, le problème de Dieu est un problème qui ne peut être résolu par l’homme. Quel contraste avec toute une philosophie chrétienne – et d’abord thomiste – qui affirme que l’existence de Dieu est atteignable par la raison. Au contraire, Simone Weil écrit que Dieu « a abdiqué en nous donnant l’existence » et qu’il ne peut être présent dans la création « que sous la forme de l’absence. » Mais elle cherchait la vérité et ajoutait qu’elle avait toujours eu conscience d’avoir une conception chrétienne de la vie et du monde. Elle s’attacha en particulier à la notion chrétienne de charité à laquelle elle donnait le nom de justice. Mais : « Celui qui donne du pain à un malheureux affamé pour l’amour de Dieu ne sera pas remercié par le Christ. Il a déjà reçu son salaire dans cette seule pensée. Le Christ remercie ceux qui ne savaient pas à qui ils donnaient à manger. » (Formes de l’amour implicite de Dieu, 1942)

L’attention est une notion fondamentale dans la pensée et la vie – les deux sont inséparables – de Simone Weil. A tel point qu’elle écrivit un texte sur la formation de la faculté d’attention comme but véritable des études scolaires. Elle y définit même en quoi consiste l’effort d’attention : « suspendre sa pensée, la laisser disponible, vide et pénétrable à l’objet, à maintenir en soi-même à proximité de la pensée, mais à un niveau inférieur et sans contact avec elle, les diverses connaissances acquises qu’on est forcé d’utiliser. (..) Ne rien chercher, mais être prête à recevoir dans sa vérité nue l’objet qui va y pénétrer. » Tout effort d’attention, appliqué à la solution de tout problème scolaire, rend plus apte à saisir ne serait-ce qu’un petit fragment de vérité particulière (Simone – dont le frère André fut un génie des mathématiques – s’exerça aussi beaucoup dans cette discipline). Mais il y a des degrés dans l’attention. Le désir d’atteindre la vérité l’amène à un effort permanent d’attention et à la certitude que, « quand on désire un morceau de pain on ne reçoit pas des pierres. » Elle comprit plus tard que quand l’attention est absolument pure, elle est tournée vers Dieu et constitue « la substance de la prière ». On comprend que, plus tard, dans ces Cahiers, la notion d’attention ne cesse de revenir.

Une expérience chrétienne hors norme

C’est en 1938 que Simone Weil eut ses premières expériences chrétiennes. D’abord, au Portugal, assistant à une procession de femmes de pêcheurs, chantant des cantique d’une tristesse déchirante, elle eut la certitude que le christianisme est la religion des esclaves, et elle parmi d’autres. Puis dans une petite chapelle romane à Assise et enfin à Pâques, à l’abbaye de Solesmes, où un jeune Anglais lui fit découvrir les poètes anglais métaphysiques du XVIIe siècle et en particulier un poème intitulé Love qu’elle apprit par coeur et récitait, malgré des crises violentes de maux de tête, comme un beau poème mais en y appliquant toute son attention. Au cours d’une de ces récitations, elle eut sa première expérience mystique : « un contact réel, de personne à personne, ici-bas, entre un être et Dieu. » Elle précise : « Je n’avais pas prévu la possibilité de cela (…). Je n’avais jamais prié. » Elle avait d’ailleurs craint le pouvoir de suggestion de la prière ; celui-là même que Pascal recommande.

Ces expériences mystiques se répétèrent avec, cette fois, la récitation en grec du Pater. Simone Weil concentra dès lors sa pensée sur le christianisme et se posa la question du baptême. Cependant, ce dernier posait la question de l’Église et, avec elle, d’immense difficultés.

L’Église catholique et le totalitarisme

Simone Weil n’envisageait d’être baptisée que dans l’Église catholique. Mais ses objections contre l’Église sont multiples. Elle la qualifiait de totalitaire en raison d’abord de l’usage qui fut fait par elle de deux petits mot : anathema sit. Deux petits mots qui, selon elle, étaient à l’origine des partis qui ont fondé, au XXe siècle, les régime totalitaires.

Pour elle, Jésus a ordonné de porter une nouvelle et non une théologie. A plusieurs reprises, elle évoqua un « malaise de l’intelligence dans le christianisme ». L’intelligence exige une liberté totale impliquant de nier toute domination et de s’opposer aux dogmes. De ces dogmes catholiques, Simone Weil n’acceptait que la Trinité, l’Incarnation, la Rédemption et les sacrements. Elle admettait pourtant que l’Église fût nécessaire comme conservatrice des dogmes et distributrice des sacrements mais avoua en même temps au P. Perrin sa peur de la chose sociale qu’est aussi l’Église ; à ce niveau, cette dernière appartenait au Prince de ce monde.

Dans une très longue lettre à un autre dominicain, le P Couturier, Simone Weil multipliait les objections. Allons à l’essentiel. Sa première objection, la plus fondamentale, est son rejet des racines juives du christianisme ; l’histoire des Hébreux est, dit-elle, remplie de cruautés liées au culte de Iahveh et « leur religion est inséparable de cette idolâtrie à cause de la notion de peuple élu. » A l’opposé de la conception de l’histoire développée par le christianisme, Simone Weil fait l’hypothèse qu’il y eut des incarnations antérieures à Jésus comme Osiris, Dionyos, Krishna, le Bouddha. Elle reproche au christianisme non seulement sa volonté missionnaire en Afrique, Asie et Océanie mais aussi d’avoir ainsi déraciné l’Europe en la coupant de tous les éléments de la civilisation antique. En effet, Israël et Rome ont mis leur marque sur le christianisme : Israël en faisant entrer l’Ancien Testament comme texte sacré et Rome en faisant du christianisme la religion officielle de l’Empire.

Si l’Église a évolué depuis le Moyen Age, si la parole « Hors de l’Église, point de salut » n’est plus prise au sens littéral, il faut admettre « la possibilité de révélations individuelles ou collectives hors du christianisme. En ce cas, (…) il faut penser à nouveau la notion de foi. »

Elle en concluait : « Il est écrit que l’arbre est jugé à ses fruits. L’Église a porté trop de fruits mauvais pour qu’il n’y ait pas eu une erreur au départ. » Simone Weil estima donc ne pas devoir se faire baptiser mais rester là où elle était depuis sa naissance, « à l’intersection du christianisme et de tout ce qui n’est pas lui. »

La foi chrétienne de Simone Weil

La résurrection du Christ qui est habituellement au coeur de la foi chrétienne est singulièrement marginalisée par Simone Weil. Elle y voit comme le pardon du Christ à ceux qui l’ont tué. Et elle ajoute : « Si l’Évangile omettait toute mention de la résurrection du Christ, la foi me serait plus facile. La Croix seule me suffit. La preuve pour moi, la chose vraiment miraculeuse, c’est la parfaite beauté des récits de la Passion. » La croix et la souffrance tiennent d’ailleurs une grande place dans la pensée de Simone Weil. Et cela est sans doute, pour nous, le plus déroutant. Victime de violents maux de tête, elle a fait une expérience particulièrement éprouvante de la souffrance ainsi que dans le travail en usine auquel elle s’est soumis alors qu’elle n’y était pas du tout apte. Sa découverte du Christ se fit en lien avec ses expériences douloureuses. Elle écrit : « Dieu a souffert. Donc la souffrance est une chose divine. En elle-même. »

Sa vision de l’au-delà est aussi peu orthodoxe : « Il n’y a pas de différence à notre égard entre l’anéantissement et la vie éternelle, sinon la lumière. Un anéantissement qui est lumière, c’est la vie éternelle. » Et de préciser que lorsque la joie éternelle et parfaite de Dieu entre dans l’âme finie, elle « la fait éclater, crever comme une bulle. » Il n’y a donc pas de vie personnelle, à proprement dit, après la mort, dans une éternité perçue comme une durée. Quant aux âmes attachées à elles-mêmes et à ce monde, elles « disparaissent soit en le sentant avec une affreuse douleur, soit dans l’inconscience. Une telle disparition est un mal infini, mal qui est représenté par l’enfer. » Une vision plus admissible pour la pensée moderne que les notions traditionnelles de paradis, enfer et purgatoire. Il est vrai que l’Église ne parle plus guère de purgatoire aujourd’hui…

Une adhésion sans faille au sacrement de l’Eucharistie

C’est durant l’hiver 1941-1942 qu’elle découvre et adhère à l’Eucharistie. Elle écrit au P. Perrin, en mai 1942, que le Christ ne peut être présent dans l’hostie que par une convention réelle qui est « un miracle de la miséricorde divine », une présence vraiment secrète. Le terme de « convention » est essentiel puisqu’elle écrit par ailleurs, quelques mois plus tard qu’énoncer comme des faits la proposition « le pain et le vin consacrés sont la chair et le sang du Christ » n’a rigoureusement aucun sens.

Finalement, Simone Weil exprima plus complètement sa pensée dans un texte intitulé « Théorie des sacrements » qu’elle adressa à Londres, quelques jours avant sa mort, à Maurice Schumann le porte-parole de la France libre. Elle était en effet arrivée à Londres en décembre 1942. Dans ce texte, elle réaffirma la nécessité d’une attente immobile. Simone Weil énonçait alors : « Là où il est certain qu’une chose indispensable au salut est impossible, il est certain qu’il existe réellement une possibilité surnaturelle. » Mais deux conditions sont nécessaires. D’abord, que le désir du bien soit dirigé vers le bien pur, parfait, absolu. Ce désir doit passer à travers la chair, à titre de convention ; une convention qui ne peut être ratifiée que par Dieu et qui implique même peut-être l’Incarnation. La seconde condition est que la croyance en une certaine identité entre le morceau de pain et Dieu ait pénétré l’âme, non point l’intelligence qui ne peut y avoir aucune part, mais l’imagination et la sensibilité. Alors, le contact avec le morceau de pain est un contact avec Dieu, le désir passe par l’épreuve du réel. « Dans ce domaine, désirer est l’unique condition pour recevoir, il y a entre l’âme et Dieu un contact réel. »

Ce texte étonnant est reproduit très rarement dans les éditions des Oeuvres de Simone Weil. Si l’on comprend qu’il n’intéresse guère les spécialistes de la philosophe, les catholiques pourraient y puiser des éléments permettant de dépasser le désespérant et incertain « mystère de la foi ».

De Londres, Simone Weil ne put obtenir une mission dangereuse en France où elle aurait été trop facilement reconnue. Désespérée de ne pouvoir participer directement à la résistance, elle s’imposa des restrictions alimentaires qui provoquèrent une malnutrition puis la tuberculose. Si un prêtre français lui reprocha son refus de certains positions de l’Église, incompatibles avec le baptême, son amie Simone Deitz, une juive convertie, la baptisa, sur sa demande. Simone Weil mourait quelques jours plus tard.

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Des extrémistes juifs

Chaque religion a ses extrémistes et j’ai, dans ce blog déjà évoqué les catholiques et, il y a quinze jours, les salafistes. Cette fois, je voudrais présenter les extrémistes juifs qui, en Israël, constituent un danger grandissant.

Le journaliste Charles Enderlin, correspondant depuis trente ans de la chaîne de télévision française France 2, vient de publier un ouvrage très documenté, sous le titre de Au nom du Temple (Seuil, 2013) qui décrit l’ascension de ce mouvement au sein de l’État sioniste. Dans le livre fondateur du sionisme, L’État des Juifs, Theodor Herzl écrivait en 1896 : « Aurons-nous une théocratie ? Non ! Si la foi maintient notre unité, la science nous libère. C’est pourquoi nous ne permettrons pas aux velléités théocratiques de nos chefs religieux d’émerger. Nous saurons les cantonner dans les temples, de même que nous cantonnerons l’armée de métier dans les casernes. (…) Ils n’ont pas le droit de s’immiscer dans les affaires de l’État. » Souvent qualifié de « prophète », Herzl ne l’a guère été sur ce point.

Tout a commencé en juin 1967, avec la conquête de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie et de Gaza. Après que le rabbin-aumônier de l’armée israélienne, Shlomo Goren, eut incité le général qui s’était rendu maître du Mont du Temple (l’esplanade des Mosquées ou le Haram pour les musulmans) à faire sauter les mosquées, Moshe Dayan faisait évacuer le Dôme du Rocher par les soldats qui s’y étaient installés. De leur côté, les deux grands rabbins d’Israël, l’ashkénaze et le sépharade, s’accordaient : « Lorsque le Messie viendra et enlèvera les mosquées, alors le Temple sera reconstruit », disait l’un. Et l’autre d’affirmer que « nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir. Ce qui reste à faire est dans les mains de Dieu. » Quant au ministre chargé des affaires religieuses – qui était membre du parti national religieux -, il déclara à la Knesset que le centre de Jérusalem était le Mur occidental et que la présence divine ne l’avait jamais quitté. Ainsi, le gouvernement détourna la piété vers le fameux Mur malgré les protestations de Shlomo Goren qui ne cessait de répéter que le Mur n’avait jamais été considéré comme un lieu saint dans la tradition juive. Il est vrai que Moshe Dayan avait rendu la responsabilité du Haram au Waqf (institution musulmane).

C’est dire combien les quelques rabbins du mouvement sioniste religieux étaient isolés en 1967. Avec Shlomo Goren, il y avait le rabbin Zvi Yehouda Kook qui avait repris la direction de la yeshiva de son père, Mercaz Harav. Et, le 4 juillet, à Jérusalem, Kook interpella le président de l’État et plusieurs ministres : « Que la main qui signera des accords de concession soit coupée ! (…) Je vous avertis qu’il y a dans la Torah une interdiction absolue de renoncer ne serait-ce qu’à un pouce de notre terre libérée. » Un discours qui prenait soudain, avec les conquêtes de 1967, un sens tout à fait nouveau.

L’alliance des partis de droite et des sionistes religieux

Ces rabbins sionistes trouvèrent vite le soutien de Menahem Begin et de son parti, le Herout, qui, dès 1967, adoptait une motion déclarant qu’une « colonisation juive de grande ampleur en Judée-Samarie (Cisjordanie), à Gaza, sur le plateau du Golan et dans le Sinaï est l’urgence de l’heure si nous voulons assurer la sécurité de la nation. »

Des élèves de la yeshiva Mercaz Haravi furent à l’origine des premières colonies, en particulier celle de Kyriat Arba, fondée en 1968, qui domine Hébron. Le gouvernement dirigé par les travaillistes et l’armée eurent une attitude ambivalente : certaines implantations furent encouragées, d’autres combattues. Après la guerre de 1973 qui démontra la fragilité d’Israël, malgré sa victoire finale, les sionistes religieux qui entendent s’opposer à toute concession formèrent le « Goush Emounim » (Bloc de la Foi) pour développer la colonisation. La stratégie est la suivante : un petit groupe d’hommes établit un avant-poste et met le gouvernement devant le fait accompli. Souvent, le gouvernement négocie et, finalement, cède en constatant le soutien que les colons reçoivent de certains députés, par exemple d’Ehud Olmert ou d’un Ariel Sharon qui a quitté l’armée et s’est reconverti en politicien.

La victoire des sionistes religieux avec le Likoud (1977)

Menahem Begin, l’ancien terroriste de l’Irgoun, avait fondé le Likoud en 1973. Désormais, tous les gouvernements, sauf entre 1992 et 1996 et entre 1999 et 2001, furent dominés par ce parti de droite qui favorisa la colonisation. Il reste que le pouvoir prit des décisions qui dressèrent les sionistes religieux contre lui. D’abord, quand en 1981, Israël rendit le Sinaï à l’Égypte et détruisit les colonies ; puis, en 2005, lorsqu’Ariel Sharon fit évacuer les 21 colonies de Gaza.

Mais l’opinion israélienne glissait à droite. Le rabbin Kahane, venu des États-Unis où il avait fondé un groupe terroriste, la Ligue de Défense juive (aujourd’hui interdite là-bas mais pas en France), contribua à renforcer, dès 1972, le courant sioniste religieux. Il créa le Kach, un parti d’extrême-droite qui militait pour l’expulsion des Arabes et la reconstruction du Temple. Kahane qui n’avait obtenu qu’environ 1 % des voix aux élections de 1973 fut élu député en 1984. Il prônait l’interdiction des mariages juifs/non-juifs, l’annulation des mariages mixtes déjà existants, un statut de « résident étranger » pour les non-juifs. Bref, une législation qui ressemble à celle du IIIe Reich. D’autres rabbins identifient les Arabes à Amalek, l’ennemi éternel du peuple juif.

Après la guerre du Liban (1982), rares sont les rabbins qui acceptèrent une enquête sur les agissements de l’armée lors des massacres de Sabra et Chatila. Le rabbin fondateur de Kyriat Arbat écrivit même : « Certains ont dit que nous sommes allés au Liban pour y mettre de l’ordre afin de sauver la Galilée. Nous disons que le rôle d’Israël est de mettre de l’ordre dans le monde. »

Vers l’assassinat Yitzhak Rabin

L’accord signé avec l’OLP suscita une agitation fébrile des sionistes religieux. Le 25 février 1994, Baruch Goldstein, un médecin né à Brooklin, adepte du mouvement Loubavitch, entrait au Caveau des Patriarches, à Hébron, pendant la prière des musulmans, tua 29 d’entre eux et en blessa plus de 125 avant d’être lynché. Les autorités israéliennes condamnèrent, certes, sévèrement ce massacre, mais Goldstein est considéré depuis par certains comme un saint ; des rabbins justifièrent son action et, sur sa tombe, objet d’un véritable pèlerinage, on peut lire : « Au saint Baruch, qui donna sa vie pour le peuple juif, la Torah et la nation d’Israël. »

Le 3 mai 1994, plusieurs centaines de rabbins réunis à Jérusalem portèrent un jugement religieux : « Toute personne ayant la possibilité d’empêcher cet accord (accords d’Oslo) et qui n’agit pas enfreint le commandement de protéger autrui. » Des attentats commis par le Hamas exacerbèrent les passions. Depuis le début de l’année, trois rabbins originaires de colonies firent circuler discrètement un texte qui, constatant la recrudescence des attentats, concluaient par cette interrogation : « Le gouvernement et le Premier ministre ne devraient-ils pas subir la loi de Din Mosser puisqu’ils donnent la Terre d’Israël, la propriété du Peuple d’Israël, aux Gentils ? » Or, un juif déclaré Mosser est un traître dont la punition peut aller jusqu’à la mort. Ces rabbins extrémistes avaient des antennes dans certaines synagogues des États-Unis où l’un d’eux n’hésita pas à comparer Rabin à un chef de Judenrat collaborant avec les nazis !

Mais, l’armée israélienne, selon les accords conclus avec l’OLP, évacua en septembre 1995, les six plus grandes villes palestiniennes. Les affiches montrant Rabin affublé d’un keffieh ou en habit de SS se multiplièrent. Netanyahu, l’étoile montante du Likoud, en profita pour jetter de l’huile sur le feu en accusant le gouvernement de Rabin de n’avoir de majorité à la Knesset que grâce à cinq députés arabes, pro-OLP. Rabin est assassiné, le 4 novembre1995, par Ygal Amir, un adepte du sionisme religieux. Cependant, aucune personnalité religieuse ne fut accusée de complicité fût-elle indirecte. Pour l’historien Zeev Sternhell, la défaite de la gauche date de ce moment.

La puissance des rabbins

En février 1996, le conseil des rabbins des implantations juives publièrent un jugement autorisant les juifs à se rendre en certains endroits de l’esplanade des Mosquées ; seul le Dôme du Rocher était absolument interdit. La même année, Netanyahu, l’adversaire de Rabin et le chef du Likoud gagnait les élections ; ainsi, l’assassinat aura bien profité à la droite. D’autant plus qu’avec un système électoral proportionnel, le Likoud qui gouverne depuis 1996 a toujours eu besoin d’alliés pour atteindre les 61 voix nécessaires à la Knesset (qui totalise 120 sièges). Netanyahu est soutenu par le parti des Sépharades religieux, le Shass, qui, à toutes les élections, recueille 11 sièges.

Or, c’est un rabbin Yossef Ovadia, 93 ans aujourd’hui, qui est à l’origine de la création du Shass. Celui-là même qui fut grand rabbin sépharade d’Israël, est toujours très respecté pour sa connaissance exceptionnelle de la Torah. Mais il tient des propos racistes contre « les Nègres », contre les femmes comparées à des ânes, les Arabes qui doivent être annihilés ; il maudit, en juin 2013, un rabbin candidat au poste de grand rabbin ashkhénaze d’Israël et soutient une thèse abracadabrante sur « la Shoah (qui) est la réincarnation de nos âmes. »

Certes, il y a des rabbins modérés mais ils se font peu entendre. Dans les yeshivot, des rabbins extrémistes forment toute une génération de futurs colons, à moins qu’ils ne viennent directement des États-Unis et de France. En 1987, il n’y avait encore qu’un peu plus de 65 000 colons en Cisjordanie ; ils sont plus de 500 000 aujourd’hui, sans compter les colons établis dans la partie est de Jérusalem et sur le plateau du Golan. Leur poids politique est donc devenu essentiel lors des élections.

Au fil des années, les colons ont acquis une liberté totale pour attaquer les Palestiniens et brûler les champs d’oliviers ; ils bénéficient de la sympathie de l’armée qui, lorsqu’elle est témoin de ces agressions, elle n’intervient jamais pour protéger les Arabes. On peut dire sans exagération que, maintenant, ils provoquent tous les jours des incidents dont les Palestiniens sont les victimes. Il faut dire que, selon une étude du ministère de la Défense, la proportion d’officiers d’infanterie religieux est passée de 2,5 % en 1990 à 31,4 % en 2007 ; Charles Enderlin souligne l’inquiétude des chefs de l’armée. L’aumônier général est d’ailleurs un colon qui, à l’occasion de l’opération israélienne « Plomb durci », distribua aux soldats israéliens une brochure les incitant à ne pas faire preuve de pitié, le Dieu des armées étant à leurs côtés.

Une nouvelle idéologie

« Le sionisme est mort », proclamait Avraham Burg, dans les colonnes du Monde du 10 septembre 2003. Celui qui avait été Premier ministre en 1985 et, plus tard, président de la Knesset de 1999 à août 2003, n’était pas tendre avec « un État qui développe des colonies, sous la houlette d’une clique corrompue qui se moque de la morale civique et du droit. »

Depuis des années, des sionistes religieux et des ultra-orthodoxes développent une idéologie qui rejette l’État parce qu’il est fondé sur la démocratie : ils nient, en effet, le droit des Israéliens séculiers à peser sur la législation du pays. Pour ces fondamentalistes, seule la Halakha peut fonder la loi. Appliquer le principe démocratique contribue à « déjudaïser » Israël.

Dernière nouvelle. A la fin de juillet dernier, les deux Grands Rabbins d’Israël, un ashkenaze et un sépharade, ont été élus pour les dix prochaines années. Le nouveau Grand Rabbin ashkenaze, Yitzhak Yossef, est le fils du célèbre rabbin Ovadia Yossef, dirigeant du parti Shass. Quant au Grand Rabbin ashkenaze, il fut soutenu par les ultra-orthodoxes. Ces conservateurs religieux maintiennent donc leur contrôle sur l’état-civil. Si bien que des Israéliens qui ne veulent (ou ne peuvent) se marier selon la loi juive sont obligés de se marier à l’étranger – leur destination favorite est alors Chypre. Le certificat obtenu est ensuite reconnu par la loi israélienne.

Est-ce bien là l’État voulu par Ben Gourion ?

 

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Salafistes

Après les Djihadistes et les Frères musulmans, voici que les Européens découvrent les Salafistes qui déclenchent à leur tour des cauchemars. Un nouvel ennemi qu’on ne présente guère. Essayons d’y voir un peu clair.

A l’origine de ce courant, la volonté de faire renaître l’islam des premiers siècles, celui des Salaf Salih, « pieux Anciens », que sont les premières générations proches du Prophète. Il s’agit donc de dépasser les écoles juridiques du sunnisme pour en revenir aux sources que sont le Coran, la Sunna et la trace (athar) des « pieux prédécesseurs ». Les salafistes s’appuient sur un hadith : « Les meilleurs des homme sont ma génération, puis ceux qui viennent après eux, puis ceux qui viennent après eux. » Muhammad aurait aussi précisé qu’après ces trois premières générations, serait béni le fidèle qui mettrait ses pas dans ceux des Compagnons, ceux qui les ont suivi et ceux qui ont suivi ces derniers. Le salafisme est donc une doctrine réactionnaire au sens propre, obsédée par les déviations de l’islam. Le salafi ou salafiste est celui qui se « réoriente vers le haut » après avoir pris conscience qu’il avait « dévié »

Trois figures historiques servent de repères aux salafistes : Ibn Hanbal (780-855), Ibn Taymiyya (1263-1328) et Muhammad Ibn Abdelwahab (1703-1792). Le deuxième, Ibn Taymiyya, a vulgarisé le concept de tawhid (unicité divine) qui inclut, entre autres, l’Unicité de l’adoration, si bien que nul être et nulle chose ne peut faire l’objet d’adoration en dehors d’Allah. Quant à Ibn Abdelwahab, il fit alliance avec un chef de bourgade près de Riyadh, Muhammad Ibn Saoud, dont il  légitima le projet d’unifier l’Arabie. Ce pacte de 1744 est supposé avoir consolidé une société authentiquement islamique. L’Arabie saoudite, censée être dirigée par un « corps de savants de la droiture » qui conseille le prince, apparaît ainsi, aux yeux des salafistes, comme le pays le plus respectueux de l’héritage islamique. Dans ce système, le peuple doit obéissance aux pouvoirs religieux et politiques ; les oulama doivent faire remonter les attentes du peuple jusqu’au souverain qui doit en tenir compte.

Dans la seconde moitié du XXe siècle, la conjonction d’une doctrine et des ressources liées au pétrole, sans oublier la mondialisation de l’information, ont permis à l’Arabie saoudite, à travers le salafisme, d’avoir une influence à la fois politique et religieuse dans de nombreux pays. Cependant, le salafisme se présente sous diverses formes selon les pays et d’abord, selon que les musulmans y sont majoritaires ou minoritaires.

Le salafisme en Europe

Samir Aghar, spécialiste du salafisme, explique qu’alors que les Frères musulmans jouaient un rôle prédominant dans l’islamisme en Europe jusqu’au début des années quatre-vingt-dix, le salafisme, d’abord marginalisé, est devenu, au début des années 2.000, le pilier de la réislamisation. Cependant, trois tendances s’ene réclament.

D’abord, le salafisme de la prédication qui s’oppose à la violence. Les musulmans doivent purifier la religion des « innovations » et s’éduquer. Ces piétistes s’opposent à toute participation politique des musulmans aux sociétés européennes ; en effet, la démocratie est considérée comme une forme d’associationnisme conduisant à l’hérésie puisque les députés européens légifèrent au nom de valeurs qui ne sont pas celles de la Charia ; ils accusent d’ailleurs les Frères musulmans d’intégrer des valeurs comme la démocratie, étrangère à l’islam. Les salafistes prônent donc le retrait de la scène politique ; de surcroît, les théologiens saoudiens ont émis des fatwas en faveur de l’émigration de tout pratiquant vivant en Occident vers un pays musulman.

Dans son livre tout récent Du Golfe aux banlieues, le chercheur Mohamed-Ali Adraoui qui a mené une enquête auprès de jeunes salafi français confirme cette conception de l’islam. L’un d’eux, Samir, d’une famille de commerçants tunisiens, explique qu’il ne vote pas et reproche aux Frères musulmans de faire de la politique. Son rêve est de vivre en Arabie Saoudite, le « pays des deux sanctuaires » et il ajoute : « là-bas, il y a des savants, (…), ils enseignent correctement l’islam. On sait où on va. Il y a un livre, le Coran ; tout ce qui est rajouté, ce n’est pas ma religion. » (p. 181)

Pour retrouver des salafistes piétistes français, notre auteur s’est rendu en Égypte ; les Français y viennent nombreux, non seulement à cause de la célèbre université Al-Azhar mais plus encore en raison du centre salafi « Al-Ibana » qui attire tous les ans des centaines de personnes désirant mieux connaître l’islam. Les « frères français », pour la plupart venus de banlieue, y sont largement majoritaires. En France, le salafisme piétiste est le résultat du prosélytisme d’individus d’origine algérienne qui ont su convertir à leur cause quelques Français d’origine chrétienne.

Si la tendance piétiste domine largement en Europe, existe également un salafisme politique qui insiste sur l’activisme pour inculquer aux masses musulmanes la nécessité d’une société et d’un État islamiques. S’il s’inspire des modalités d’action des Frères musulmans, il les accuse de moderniser l’islam et rejette la violence. Cette tendance s’est implantée en Europe grâce principalement à la Ligue islamique mondiale qui finance un réseau de mosquées ; la Ligue étant elle-même financée par des princes et responsables saoudiens. Elle prône donc l’intégration des musulmans en Europe et ces derniers doivent user des moyens de la démocratie et de la liberté d’expression pour peser sur les politiques nationales. Des salafistes politiques commencent à s’organiser en associations et à intègrer même parfois des structures laïques.

Enfin, une troisième tendance, le salafisme révolutionnaire ou djihadiste, ne réunit que quelques groupes ultra-minoritaires. Ce courant prône l’action directe en s’inspirant du théologien Ibn Taymiyya qui, au XIIIe siècle, justifia la violence contre les Mongols considérés comme des musulmans douteux. En Europe, leurs actions violentes visent les États qui soutiennent des régimes arabes faisant obstacle à l’instauration d’un État islamique. Ainsi, les attentats des Groupes islamiques armées (GIA) dans le RER parisien, en juillet 1995, voulaient amener la France à cesser d’aider le régime algérien. Certains jeunes Français sont aussi partis combattre les troupes américaines en Irak ; ils accusent les salafistes piétistes d’être à la solde des monarchies arabes.

En pays musulman, les salafistes ont pris des positions politiques en flèche. En effet, ils ont perçu le printemps arabe comme une occasion historique de s’acheminer vers une société et un État islamiques. Ils se positionnent donc plus « à droite » que les Frères musulmans qui, pour devenir une force de gouvernement, ont modéré leur discours. Ajoutons que ces sunnites extrémistes haïssent les confréries soufies et les chiites d’Iran mais aussi le Hezbollah libanais et le Hamas palestinien.

Le salafisme en Égypte

On ne les avait pas vus arriver aux élections égyptiennes de la fin 2011. Il n’était alors question que des Frères musulmans, mieux connus et cristallisant toutes les peurs. Les Frères furent, certes, les grands gagnants, raflant 47 % des sièges du Parlement. Mais les salafistes du parti al-Nour (la Lumière) avaient obtenu pour leur part 24 % des sièges. Score remarquable pour un parti fondé en avril 2011, après la chute de Moubarak, alors que les Frères musulmans disposent d’une implantation ancienne, qu’on peut même qualifier d’historique.

On les découvrit soudain après le coup d’État contre Morsi lorsqu’il fallut composer un nouveau gouvernement. Le porte-parole d’Al Nour avait alors déclaré que « ce qui s’est passé contre Morsi est loin d’être un coup d’État militaire ».

Après les élections, al-Nour avait d’abord travaillé de concert avec les Frères musulmans pour élaborer une constitution à connotation religieuse. Mais, très vite, la compétition entre les deux mouvements islamistes l’a emporté. Les Frères ont écarté les salafistes des postes ministériels auxquels ils pouvaient prétendre. Tandis que les Frères se préoccupaient de placer leurs membres dans les institutions étatiques, les salafistes se mobilisaient pour venir en aide aux Égyptiens des quartiers défavorisés. Est-ce d’ailleurs un hasard s’ils ont fait leurs meilleurs scores aux élections à Suez, une ville ouvrière abandonnée par le pouvoir ?

Alors même que le dirigeant d’al-Nour, Abdel Mounem Chahat, a qualifié la démocratie de « péché », les salafistes se sont révélés comme de fins manoeuvriers politiques ; ils ont proposé en janvier dernier, en s’alliant avec les opposants libéraux, la formation d’un gouvernement d’union nationale. Aujourd’hui, les salafistes se retrouvent en position d’arbitres dans la difficile situation politique égyptienne. Ils ont bloqué la nomination de Mohamed el-Baradei au poste de Premier ministre : il leur semblait beaucoup trop laïc et proche de Washington. Pour ménager leur base, ils ont aussi refusé d’entrer dans le nouveau gouvernement provisoire. Les voici « en réserve de la République », comme on dit. Derrière les salafistes, il faut voir le retour de l’Arabie saoudite sur la scène égyptienne.

En Tunisie, les salafistes sont également présents bien qu’ils n’aient pas participé aux élections. Il existe plusieurs mouvements salafistes mais le principal est Ansar al-Charia (les Partisans de la Charia) dirigé par un ancien combattant d’Afghanistan, Abou Iyadh. Ce dernier dénonce le parti Ennahda « qui a choisi la voie de la laïcité, bien loin de l’islam et de la charia. » Les salafistes tunisiens ont multiplié les campagnes contre les pratiques dites blasphématoires, telle que la consommation d’alcool, mais aussi les incidents violents, tenté d’imposer le port du niqab aux étudiantes d’une faculté et même pris d’assaut, en septembre 2012, l’ambassade américaine à Tunis. Aujourd’hui, ils sont accusés de l’assassinat de l’opposant laïque Mohamed Brahmi… après celui de Chokri Belaid. Ennahba a longtemps temporisé avant de décider de prendre des mesures répressives contre les salafistes et, par exemple, de fermer les « tentes de prédication » installées par eux. Mais une répression brutale, non ciblée, pourrait favoriser la cause de ces extrémistes.

Naturellement, il y a aussi des salafistes en Syrie, au Maroc, en Algérie et plus encore au Mali. Ce sont eux qui ont détruit les célèbres mausolées de Tombouctou sous le prétexte que seul Allah doit être vénéré. Ces démolitions ont suscité une réprobation mondiale. Pourtant, depuis une vingtaine d’années l’Arabie saoudite procède, de même, à la destruction de son patrimoine historique. A La Mecque, la maison du Prophète et de sa femme Khadidja a été rasée pour faire place à… des toilettes publiques. La maison du premier calife Abou Bakr, a été été remplacée par l’hôtel Hilton. Des cimetières où étaient enterrés de nombreux membres de la famille du Prophète et entre 500 et 600 mausolées des premiers siècles de l’islam ont ainsi disparu pour faire place à des grattes-ciels. Certain se demandent si les Saoud veulent transformer les lieux saints en un « Las Vegas religieux ». Cependant, ce massacre culturel ne suscite aucune indignation dans le monde. Il est vrai que le tourisme est interdit en Arabie saoudite mais l’alliance des États-Unis avec la monarchie des Saoud y est aussi, certainement, pour quelque chose.

Le rôle de l’Arabie saoudite

Ce pays est la puissance la plus réactionnaire de la région. Alain Gresh, grand spécialiste du Proche-Orient, expliquait dans Le Monde diplomatique de novembre 2012, que l’Arabie saoudite avait soutenu Moubarak en Égypte et Ben Ali en Tunisie, au point d’accueillir le dirigeant tunisien en fuite et de refuser de l’extrader comme le demandent les autorités tunisiennes qui veulent le juger.

Le jugement des responsables saoudiens sur les Frères musulmans est très sévère. Alain Gresh cite ce que le prince Nayef, ministre de l’Intérieur, déclarait, dès 2002, dans un quotidien : « Les Frères musulmans sont la cause de la plupart des problèmes dans le monde arabe et ils ont provoqué de vastes dégâts en Arabie saoudite. Nous avons trop soutenu ce groupe, et ils ont détruit le monde arabe. » On ne s’étonnera pas que l’Arabie ait attendu le coup d’État qui a écarté les Frères du pouvoir en Égypte pour lui octroyer 5 milliards de dollars afin d’aider son économie.

Les Frères musulmans qui sont solidement organisés font peur à une monarchie féodale qui préfère soutenir, loin de son territoire, les mouvements salafistes ne remettant pas en cause le pouvoir établi. Alain Gresh concluait : « La monarchie s’érige en centre de la contre-révolution ». Il faut les intérêts bien précis des États-Unis et d’Israël pour nous faire oublier cette évidence et présenter au contraire l’Iran comme le grand ennemi.

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Guantanamo : le scandale

Au lendemain de son investiture, en janvier 2009, Barack Obama avait décrété la fermeture de la prison de Guantanamo dans un délai d’un an. Le président a cherché, à la fin de 2009, à transférer les détenus dans une prison de sécurité maximale à Thompson, dans l’Illinois, où des procédures régulières pourraient être appliquées. Mais le Congrès a bloqué ce changement et, depuis lors, rien n’a changé.

Depuis l’automne 2001, 770 prisonniers ont été détenus comme « combattants illégaux », ce qui permettait de les priver des droits prévus par les IIIe et IVe conventions de Genève. De 2001 à 2004, plus de 200 ont été relâchés et, parmi eux, beaucoup ont été jugés dans leur pays d’origine. Il est apparu aussi que certains détenus avaient été vendus aux Américains qui offraient une prime de 5.000 dollars à ceux qui, en Afghanistan, leur livraient des Arabes. Un Marocain, cuisinier en Grande-Bretagne, a été victime de ce sinistre trafic. Alors qu’il était en voyage d’affaires au Pakistan, à la fin de 2001, pour pouvoir payer les frais d’une opération chirurgicale à son fils, il entra en Afghanistan et fut enlevé par la Coalition du nord qui le vendit aux Américains. Il fallut une enquête du Times, en 2007, pour que son innocence soit reconnue et qu’il soit libéré. Bien entendu, les autorités américaines ne dédommagent nullement leurs victimes.

Ils ne sont plus aujourd’hui que 166 détenus. Trois ont été condamnés pour crime, 7 sont accusés de crime, 24 ont un statut particulier (« pourraient être poursuivis »), 86 sont libérables et pourraient être renvoyés dans leur pays d’origine mais le Congrès bloque leur rapatriement ; enfin, 46 ne sont pas poursuivis mais considérés comme trop dangereux pour être relâchés. Le Haut-commissaire aux Droits de l’Homme des Nations Unies vient de déclarer que le maintien en détention indéfini viole les lois internationales. De surcroît, l’association britannique des droits de l’homme Reprieve a révélé que plus de 60 détenus avaient été capturés alors qu’ils étaient mineurs.

En février dernier, un journaliste du Huffington Post a publié un document significatif sur le camp de Guantanamo : elle possède maintenant un supermarché, un terrain de golf, un McDo, un pub irlandais et des logements sont en construction. Conclusion : il n’est pas question de fermer Guantanamo.

Détenus et gardiens

Les prisonniers sont enfermés dans des cellules individuelles de 2 m sur 2, éclairées continuellement mais l’appel à la prière est annoncé cinq fois par jour par haut-parleur. Les détenus peuvent être interrogés à n’importe quel moment et les témoignages de torture ne manquent pas. Le 10 juin 2006, trois détenus (deux Saoudiens et un Yéménite) ont été, selon l’administration américaine, retrouvés pendus dans leur cellule ; la thèse du suicide est d’autant plus fragile que les prisonniers sont surveillés individuellement 24 heures sur 24.

Si certains gardiens se comportent de manière sadique, Nesweek a annoncé, au printemps 2009, la conversion à l’islam d’un gardien, au contact d’un prisonnier. Pendant six mois, Hold Brooks fut de service de nuit et entama la conversation avec Ahmed Errachidi qui parlait un anglais parfait ; il se mit à lire des livres sur l’islam puis, une nuit, il demanda à Errachidi de lui transcrire en anglais les paroles de la Chahada qu’il prononça ensuite à haute voix. Son changement de comportement alerta ses collègues gardiens qui le mirent en quarantaine ; il fut rapatrié sur le sol américain quelques mois plus tard et quitta l’armée plus tôt que prévu.

Un autre ancien gardien a fait, en 2007, avec d’anciens détenus, une tournée de conférences en Europe pour dénoncer le camp de Guantanamo.

La grève de la faim des détenus

Emprisonnés pour beaucoup depuis plus de dix ans et sans espoir, ni de libération ni de procès, des dizaines de prisonniers ont entamé une grève de la faim, certains depuis le début de février. Ils sont aujourd’hui plus de 100. Comme Obama a bien averti qu’il ne devait pas y avoir de mort, l’administration du camp procède à l’alimentation forcée, deux fois par jour, de 45 d’entre eux. Cette pratique est une véritable torture : le détenu est attaché sur une chaise, pieds et mains liés, et une sonde introduite par le nez descend jusqu’à l’estomac pour l’alimenter.

Pour dénoncer cette pratique, un rappeur américain, Mos Def, vient de se soumettre au même sort en se faisant filmer par l’ONG britannique Reprieve qui lance une campagne de soutien en faveur des grévistes de la faim de Guantanamo. Sur internet, on peut voir le rappeur subir cette terrible expérience et se débattre. Il a déclaré ensuite : « La première partie n’est pas si terrible, mais après il y a cette brûlure. Comme si quelque chose entrait dans mon cerveau et ressortait par ma gorge. C’est insupportable. »

Cette grève de la faim semble avoir réveillé l’intérêt des Américains et même quelques consciences pour Guantanamo. Tandis que les procureurs du département de la justice ont affirmé que ce procédé d’alimentation forcée était « humain », les avocats de quatre détenus ont argumenté qu’il s’agissait d’une violation des droits humains. Depuis le début de l’année, des manifestations ont eu lieu à New York, San Francisco, Los Angeles et Chicago pour exiger la fermeture de Guantanamo. A Washington, devant la Maison Blanche, neuf manifestants vêtus de la combinaison orange des prisonniers ont représenté les neuf détenus morts à Guantanamo ; « Je suis mort en attendant la justice », proclamait une pancarte. Des sénateurs commencent à s’émouvoir. Au centième jour de cette grève, le 18 mai, une pétition signée par 370 000 personnes qui réclamaient la fermeture du camp a été remise au président Obama. Du coup, ce dernier a promis, de nouveau, de fermer Guantanamo et a appelé le Pentagone à désigner un site sur le sol américain où seraient organisés les procès militaires d’exception des détenus restant inculpés.

L’administration américaine ne renonce pourtant pas et a décidé de faire appel à des spécialistes, des médecins israéliens pour qu’ils présentent leurs méthodes de traitement des grévistes de la faim palestiniens. Selon le cinéaste Adam Horowitz, « il s’agit d’un exemple parfait pour illustrer la collaboration entre Israël et les États-Unis dans le cadre de la guerre contre le terrorisme » (sic).

Libération vers des pays d’accueil

Obama a tenté d’obtenir de certains pays, en particulier européens, l’accueil des détenus libérables. En effet, nombre de détenus ne peuvent retourner dans leur pays d’origine de peur d’y être torturés ou emprisonnés. Un diplomate américain, Daniel Fried, a multiplié pendant quatre ans les voyages à l’étranger pour négocier le transfèrement vers les pays d’origine ou d’autres. L’Union Européenne s’est déclarée ouverte, chaque pays restant maître de sa décision. La France, le Royaume Uni, le Portugal et l’Espagne en ont accepté le principe mais d’autres pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suède, la Pologne et l’Autriche se sont montrés réticents. On remarquera que les États-Unis qui sont à l’origine du problème n’envisagent pas, sous la pression des Républicains et d’une partie de l’opinion, d’admettre certains de ces détenus, même reconnus innocents.

L’Irlande a été le premier pays à accueillir deux anciens détenus. D’autres ont été admis en Espagne, en Slovaquie et la France en a accueilli deux, d’origine algérienne, en leur accordant des titres de séjour. Le premier, Saher Lahmar, 39 ans, arrêté en Bosnie en 2001 et libérable depuis novembre 2008, a été reçu en France en décembre 2009. Wikileaks a révélé, hélas, que le geste de Paris n’a pas été totalement désintéressé et qu’un « accompagnement en argent » a sans doute eu lieu. Cependant, la France refuse depuis plusieurs années d’accueillir un troisième Algérien, Nabil Hadjarab, qui a pourtant grandi dans notre pays et y a toute sa famille. Son itinéraire est instructif : il a été arrêté à l’hôpital de Jalalabad où il aurait été vendu aux Américains. En septembre 2010, le Quai d’Orsay avait fait savoir qu’il refusait d’accueillir Nabil. Les démarches ont repris avec le changement de gouvernement.

Au chapitre des scandales hexagonaux, la France continue à retenir prisonnier Georges Ibrahim Abdallah et son cas laisse bien peu d’espoir. Ce Libanais, membre du Front populaire de libération de la Palestine, a été condamné en France à la perpétuité par un tribunal spécial anti-terroriste pour deux attentats commis en 1982, celui d’un attaché militaire de l’ambassade américaine à Paris et celui d’un responsable du Mossad en France. Mais sans preuves. Le procureur général avait requis une peine de dix ans, mais le tribunal a suivi la partie civile américaine réclamant la perpétuité. Après quinze ans de détention, un simple arrêté administratif du ministère de la Justice peut, selon le code pénal, autoriser la libération du détenu. Depuis novembre 2003, Abdallah est donc libérable à condition qu’il quitte immédiatement le territoire français pour rejoindre son pays, le Liban, qui d’ailleurs le réclame. Or, depuis dix ans, il est retenu en prison. Au début de cette année, le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, a refusé de signer l’ordre d’expulsion. Abdallah est donc emprisonné depuis 29 ans sans que l’opinion française et les médias s’en émeuvent.

La grande démocratie américaine a Guantanamo et la France, pays des droits de l’homme, détient un des plus vieux prisonniers politiques du monde.

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Les résistances d’André Mandouze

Juin 2006-juin 2013. Voici sept ans que ce grand résistant est mort à la veille de ses 90 ans. Je l’ai bien connu, nous avons eu des relations amicales pendant plus de trente ans mais c’est beaucoup plus tôt qu’il s’est illustré dans deux guerres successives.

Entre 21 ans et 23 ans, il est à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm où il est élu comme le « prince tala », c’est-à-dire le leader des catholiques qui vont-à-la-messe. Il est reçu à l’agrégation de Lettres en 1939 mais la guerre arrive. Il a juste le temps d’épouser Jeannette Bouissou qui lui donnera sept enfants.

Son aversion pour le régime de Vichy est immédiate et totale. Nommé au lycée de Bourg-en-Bresse, il entraîna ses élèves à chahuter le film antisémite Le Juif Süss dont la projection dut être interrompue. A l’automne 1942, le voici nommé assistant de latin à la faculté des Lettres de Lyon. Or, cette ville est le haut-lieu de la résistance française ; il y rencontra le P. Chaillet et collabora vite au Courrier français du Témoignage chrétien clandestin. (On trouvera dans l’ouvrage publié par Olivier Aurenche et Martine Sevegrand, Un chrétien dans son siècle, Kathala, 2007, une sélection de textes publiés par André Mandouze, dont 9 textes du TC clandestin). Cette responsabilité l’amena à rendre visite à de nombreux évêques et il découvrit la myopie politique de la plupart ; Mandouze écrit dans ses mémoires : « Quelle épreuve que d’essayer de faire comprendre à ces pitoyables prélats que leur soumission à Pétain était en fait une soumission à Hitler ! » On comprend alors que plus tard, le 6 juin 1945, il interpella publiquement l’archevêque de Marseille : « Monseigneur, humiliez-vous et reconnaissez vos erreurs. Si un certain nombre de vos fils, prêtres et laïcs, n’avaient pas eu le courage de vous désobéir pendant quatre ans pour obéir à leur conscience, ni vous, ni la plupart de vos confrères n’occuperiez actuellement vos palais épiscopaux. » 

Le plus étonnant est que, bien qu’entré dans la clandestinité, André Mandouze disait haut et fort ce qu’il pensait. A la faculté des lettres, il décrocha le portrait de Pétain dans la salle où il enseignait et le porta aux WC, là où, selon lui, était sa vraie place. La faculté lui avait d’ailleurs assigné une salle au rez-de-chaussée pour qu’en cas d’arrivée de la police, il puisse sauter par la fenêtre. Les témoins disent qu’il fut intrépide. Il n’empêche qu’un jour, Jeannette eut juste le temps de quitter leur domicile en catastrophe, emmenant les trois jeunes enfants, pour échapper à la police.

A la libération, Mandouze refusa les postes politiques qu’on lui offrait. Il était rédacteur en chef de Témoignage chrétien (désormais TC), mais, dès l’automne 1945, mis en minorité au comité de rédaction de l’hebdomadaire, il démissionna. Il faut dire que certains lecteurs de TC avaient certainement été choqués par certains articles, tel celui du 15 décembre 1944, dans lequel Mandouze, sous le titre « Vive la Russie soviétique », soulignait « qu’à l’est de l’Europe, il existe un grand pays qui se bat admirablement et à qui nous sommes en partie redevable de notre redressement. » Mandouze rejeta avec dégoût le MRP, le nouveau mouvement politique qui rassemblait désormais les catholiques ; bien que ses dirigeants fussent issus de la résistance, il allait capitaliser une bonne part des voix du centre et de la droite. Mandouze écrit, dans ses mémoires, que TC était passé de la critique du nazisme à la critique du communisme. Lui, était « progressiste », c’est-à-dire qu’il prônait l’alliance politique avec les communistes : n’avait-elle pas fonctionné dans la Résistance entre « ceux qui croyaient au ciel » et « ceux qui n’y croyaient pas » ? Il précisa longuement sa position dans un long texte en date du quatrième trimestre 1948, intitulé « Prendre la main tendue ».

L’Algérie

En janvier 1946, il fut nommé assistant de latin à la Faculté des Lettres d’Alger. C’est là qu’il commença à travailler à sa thèse sur saint Augustin, évêque d’Hippone de 395 à 430 ; donc évêque évêque algérien. Mais – faut-il dire surtout ? -, Mandouze découvrit la triste réalité algérienne ; il présida le comité d’action des intellectuels algériens pour la liberté et la démocratie et, dès 1948, commença à publier sur la situation algérienne ; ainsi, dans Esprit, en novembre 1948, l’article intitulé « Le dilemme algérien : suicide ou salut public » ; il publia aussi dans Alger-Républicain, le journal du parti communiste algérien. Dès 1950, il présidait le comité directeur de la revue Consciences algériennes où son talent de polémiste s’épanouit. Mais le journal ne tint pas longtemps. En 1954, des jeunes, chrétiens et musulmans, vinrent le trouver pour qu’il prenne la direction de la revue Consciences maghribines qu’ils voulaient lancer : il leur fallait une personnalité connue ; Mandouze fit confiance à ces jeunes. Les papiers de notre André, à l’automne 1954, sont étonnants : dans le le numéro d’octobre-novembre 1954, donc avant le soulèvement de la Toussaint, il titrait : « Sous le signe de la contradiction. Au secours, messieurs : l’Algérie est calme ». Le 15 novembre, dans le bi-mensuel La Quinzaine, il écrit: « Qui mettra fin aux deux formes de terrorisme autorisé : la police et la presse ? » Alors qu’en France, politiques et médias sont unanimes à dénoncer les insurgés comme des terroristes, alors que le ministre de l’Intérieur, François Mitterrand, proclamait : « L’Algérie, c’est la France », Mandouze écrit dans cet article : « Ceux qui niant qu’il y ait un problème algérien, répètent « L’Algérie, c’est la France », sont ou des ignares ou des gredins. »

A l’approche des élections législatives de 1956, alors qu’on attendait l’arrivée d’un gouvernement conduit par Pierre Mendès-France (PMF), Mandouze servit d’intermédiaire entre PMF et le FLN : l’opinion française aspirait à la paix. Las, c’est Guy Mollet qui arriva au pouvoir et capitulait, dès février, devant les ultras d’Alger. La situation devint intenable pour André : menacé par les partisans de l’Algérie française, il doit, avec sa famille, quitter précipitamment Alger et fut nommé à la Faculté des Lettres de Strasbourg. Mais, le 9 novembre 1956, il était arrêté sous l’inculpation d’ « entreprise de démoralisation de l’armée ou de la nation ayant pour but de nuire à la Défense nationale ». Un comité de soutien, présidé par François Mauriac, rassembla en sa faveur nombre de grands intellectuels : l’orientaliste Louis Massignon, l’historien Henri Marrou, Jean-Marie Domenach, Jean Daniel, etc,. Au bout de quarante jours à la prison de la Santé, André était libéré. François Mauriac lui aurait fait promettre d’être sage. Mais comment était-ce possible ? Il continua d’écrire, souvent dans TC, mais aussi dans Le Monde et France-Observateur. Ainsi, le 12 novembre 1959, il publiait dans cet hebdomadaire une Lettre ouverte au cardinal Feltin, archevêque de Paris, vicaire des armées dans laquelle il dénonçait le voyage en Algérie du cardinal qui n’avait rencontré que des militaires français et appuyé le travail de « pacification » de l’armée !

En 1961, il n’hésitait pas à publier La Révolution algérienne par les textes. Après l’indépendance, il fut nommé directeur de l’enseignement supérieur en Algérie. Situation peu commode, en réalité, dont il ne s’expliqua jamais publiquement mais qui motiva son retour en France en 1968. Pas question de critiquer l’Algérie nouvelle !

A Paris, un mandarin engagé (juin 1968-juin 2006)

C’est le 6 juin 1968 que Mandouze soutint – enfin – sa thèse sur saint Augustin, dans un amphithéâtre d’une Sorbonne en ébullition. Il fut nommé maître de conférence puis professeur de l’université Paris IV de la Sorbonne. Je fis sa connaissance dès l’automne 1968, à l’Équipe de la revue Lettre dans laquelle je venais d’être introduite. Mandouze avait bien connu sa fondatrice, Ella Sauvageot, une femme exceptionnelle. Tous les premiers mercredis du mois, l’Équipe se réunissait dans ses locaux, au 68 rue de Babylone, où, pendant des années, nous avons dégusté du jambon accompagné de petits pois. La réunion commençait à 19 h. 30 mais André arrivait en général en retard, venant de la Sorbonne, avec une énorme serviette. Ses éclats de voix, indignés ou plein d’humour, surpassaient les autres, avec cet accent bordelais qu’il n’a jamais perdu. Sa joie de vivre était communicative.

Je jugeais alors sa foi chrétienne trop classique à mon goût et, surtout, son attachement indéracinable à l’Église, déraisonnable. De surcroît, il agaçait souvent son auditoire en mettant en avant ses succès et mérites. Mais il fallait savoir dépasser ce travers pour découvrir André. Quel courage quand, il commenta à Lille, au micro de France-Inter avec Jean-Pierre Elkabach, le 29 août 1976, la messe de Mgr Lefebvre, entouré d’intégristes d’extrême-droite qui menaçaient de lui « faire sa fête » ! Dix mois plus tard, au cours d’un meeting à la Mutualité, il fut frappé à la tête et jeté par terre par un commando de lefebvristes. Certains, qui avaient soutenu l’OAS, n’oubliaient pas son action en Algérie.

Ce grand spécialiste des Pères de l’Église démontrait souvent que nombre de soit-disantes traditions étaient, en fait, récentes et trahissaient l’Église des premiers siècles. Le catéchisme de Jean-Paul II lui parut moins actuel que la catéchèse d’Augustin. Dans Le Monde où il avait ses entrées grâce à Hubert Beuve-Méry, il critiquait avec virulence la hiérarchie ecclésiastique ; il publia ainsi, en septembre 1977, un article intitulé « De la soumission des enfants de choeur à la liberté des enfants de Dieu ». Ses victimes favorites étaient les cardinaux Lustiger et Ratzinger. Sur ces deux princes de l’Église, il nous racontait de bonnes histoires ; telle celle d’un Ratzinger – je résume – se présentant à la porte du paradis et en expulsant Jésus dont les idées étaient vraiment trop suspectes.

« Homme de gauche sans parti », comme il aimait se définir, il affirmait que l’Algérie était son « pays adoptif » et ne cessa de défendre l’Algérie nouvelle avec passion.

J’entrais plus en connivence avec lui et nous sommes devenus amis ; cet homme était non seulement courageux mais très chaleureux. Plus tard, lorsque je le ramenais en voiture à son domicile, il était devenu un vieil homme titubant sur ses jambes, que je prenais par le bras pour le ramener à la porte de son appartement où Jeannette, sa femme, l’attendait. Je suis fière d’avoir eu la chance de rencontrer un tel résistant.

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Les premiers chrétiens, nos pères

On sait que les premiers disciples de Jésus furent des juifs, les Douze, Paul, et ces femmes qui, elles, ne s’enfuirent pas après l’arrestation du Maître : au pied de la croix, avec sa mère, il y avait en effet Marie de Magdala et plusieurs autres, comme nous le dit Marc, XV, 41.

Mais qui sont aujourd’hui, les descendants de ces premiers chrétiens ? Des Arabes en Palestine, Liban, Syrie, Irak, Égypte qui appartiennent à diverses communautés : copte, assyro-chaldéenne, syriaque, grecque-orthodoxe, grecque-catholique, maronite, latine. Des chrétiens qui ont, après la conquête arabe, assimilé la culture arabe mais ont gardé courageusement leur foi chrétienne alors que, devenus des dhimmis, ils furent contraints à payer un impôt spécial. Un sort longtemps plus enviable, rappelons-le, que celui des musulmans et des juifs dans l’Europe chrétienne… Mais aujourd’hui ?

Chacun a entendu parler des attaques dont les coptes sont l’objet en Égypte. A Jérusalem, depuis 1967, la politique de judaïsation bat son plein et les chrétiens en sont victimes tout autant que les musulmans. Combien de chrétiens reste-t-il dans la Ville sainte aujourd’hui ? 4 ou 5.000, peut-être moins.

Le sort des chrétiens irakiens est moins souvent évoqué. Le boycott occidental au temps de Saddam Hussein puis et surtout l’invasion américaine de 2003 a fait exploser le pays où coexistaient auparavant sunnites, chiites, kurdes et chrétiens. L’occupation militaire fut une catastrophe pour les chrétiens, perçus par les islamistes comme des alliés de l’Occident. A partir de 2004, les attaques contre les chrétiens se multiplièrent. Au sud de Bagdad, le quartier de Dora qui abritait des milliers de familles chrétiennes modestes groupées autour d’églises fut littéralement vidé de ses habitants et les églises brûlées. Ceux qui restent à Bagdad subissent des menaces pour les faire partir, parfois de la part de de promoteurs immobiliers qui les poussent à vendre leurs maisons. Les chrétiens durent aussi fuir du sud de l’Irak, et même de Mossoul pour s’installer au Kurdistan, province semi-autonome depuis 1991. Les chrétiens revenaient dans leur région d’origine, la plaine de Ninive mais les attentats contre eux ont gagné aussi cette région ; reste à la fuite à l’étranger.

Si les troupes américaines se sont finalement retirées, elles ont laissé l’Irak dans le chaos : les attentats ne cessent d’ensanglanter le pays. Les chrétiens ne sont évidemment pas épargnés : au moins 900 chrétiens assassinés, 182 autres enlevés, souvent torturés et rendus seulement après le versement de rançons, 51 églises détruites ou attaquées dans les grandes villes. Ce fut le cas, le 31 octobre 2010 de la cathédrale syriaque catholique de Bagdad : le commando d’Al-Qaida y fit 58 morts.

Mgr Georges Casmoussa, ancien archevêque syriaque catholique de Mossoul a témoigné récemment dans un livre intitulé Jusqu’au bout. Lui-même fut enlevé à Mossoul mais libéré ensuite. Cependant, en février 2008, Mgr Faraj Rahho, évêque chaldéen de Mossoul, fut assassiné. On comprend que quelques 500.000 Irakiens chrétiens aient quitté le pays.

Dans son livre, Mgr Casmoussa interpelle avec colère Georges W. Bush et Tony Blair : « Qui vous a autorisés à détruire mon pays au nom d’une imposture ? (…) Vous êtes partis fin 2011 en laissant un pays en ruines, en butte à la guerre civile entre les différents clans et miné d’attentats terroristes. » Mgr Casmoussa ne regrette certes pas Saddam Hussein mais a la nostalgie de « la sécurité relative qui régnait dans les années où il était au pouvoir. L’Occident nous a débarrassés d’un dictateur pour le remplacer par des dizaines d’autres qui agissent comme lui, sinon de façon pire. » Et, ajoute-t-il, s’il s’agissait de faire tomber Saddam Hussein, il y avait bien d’autres solutions, comme les Américains l’ont montré ailleurs dans le monde.

La situation sera-t-elle bientôt identique en Syrie ? Là aussi un régime dictatorial assurait la sécurité et la liberté de culte aux chrétiens et on comprend que la plupart aient été attachés à la dynastie des Assad. Le poids de plus en plus grand des islamistes dans une opposition très composite n’est d’ailleurs pas fait pour les rassurer. Les chrétiens sont de plus en plus souvent menacés et frappés. Le 21 octobre 2012, un attentat dans le quartier chrétien de Bab Touma, à Damas faisait 13 morts. Mais qui étaient les auteurs ? Un mois plus tard, un nouvel attentat faisait une cinquantaine de morts dans le quartier de Jaramana habité par des druzes et des chrétiens ; cette fois les choses sont plus claires puisque les rebelles de l’Armée syrienne libre (ASL) avaient sommé à plusieurs reprises les habitants du quartier de choisir entre eux et le gouvernement. Ces deux attentats ont terrorisé les chrétiens.

Alep, la première ville chrétienne de Syrie, a perdu plus de 65 % de ses fidèles. A Homs qui comptait environ 40.000 chrétiens avant la guerre civile, il en resterait moins de 5.000. D’après l’agence catholique Fides, il n’y aurait plus de chrétiens à Deir Ezzor dans l’Est de la Syrie, au-delà de l’Euphrate, entre Palmyre et la frontière irakienne ; la seule église encore à peu près intacte dans cette région a été détruite, le 15 avril dernier, en même temps que le couvent  des Capucins. Enfin, le 22 avril dernier, deux évêques orthodoxes ont été enlevés près d’Alep. Les grecs orthodoxes qui  forment 60% des chrétiens de Syrie, sont les plus touchés.

Certes, il y a des Syriens chrétiens dans l’opposition ; ils reprochent d’ailleurs aux divers responsables des communautés de soutenir Bachar el-Assad ; mais le sentiment dominant chez ces chrétiens est la peur. Ils constatent que le régime ne parvient plus à les protéger mais ils craignent une opposition divisée.

De leur côté, les responsables chrétiens critiquent sévèrement les gouvernements occidentaux qui, au lieu de rechercher un compromis, soufflent sur le feu et poussent à la guerre. Les trois patriarches qui résident à Damas (grec-orthodoxe, melchite et syriaque-orthodoxe) ont publié en décembre 2011 un communiqué refusant toute forme d’intervention étrangère et rejetant tout recours à la violence.

Ajoutons que lorsqu’un conflit provoque l’émigration, l’exode des chrétiens se révèle toujours définitif. Les musulmans reviendront, pas les chrétiens qui trouvent en Occident des parents pour les aider à s’intégrer ailleurs. Interrogé par l’agence Fides, l’archevêque maronite de Damas, Mgr Samir Nassar, avouait le dilemme auquel les responsables ecclésiaux étaient confrontés : « Dire à leur fidèles de rester, serait les condamner à mort ; les aider à partir veut dire vider la Terre Biblique de ses derniers chrétiens. »

Mais qui, en Europe, se soucie d’eux dans le conflit syrien ? Leur présence dans des pays à dominante musulmane apparaît à beaucoup comme une aberration ; tout comme, pour certains, la présence de musulmans en Europe. L’idéal serait-il chacun dans sa case, sans mélange porteur, dit-on, de danger ?

Les chrétiens d’Orient, sans lesquels nous n’aurions pas reçu la foi en Jésus-Christ, vont-ils disparaître de la Terre biblique ?

 

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On n’arrête pas le progrès

Vous avez entendu parler, bien sûr, de ces petits avions sans pilote, télécommandés à distance, destinés à des missions de renseignements mais aussi de frappes ; ces engins qu’on appelle des drones et qui sont entrés subrepticement dans notre univers. Quelle belle invention !

En février dernier, le sénateur américain Lindsey Graham a déclaré, en s’appuyant sur les calculs d’une ONG américaine, que les drones de la CIA avaient tué quelques 4 700 personnes en Afghanistan, Pakistan, mais aussi Somalie et Yémen. Évaluation d’autant plus intéressante que le gouvernement étatsunien ne donne aucun chiffre et que le sénateur républicain est un partisan de ce genre d’opérations. Les ONG indépendantes qui s’efforcent de calculer le nombre des victimes des frappes américaines remarquent qu’elles se sont intensifiées sous le mandat d’Obama. La Maison Blanche a dû finir par reconnaître officiellement leur existence.

A l’origine, c’est pendant la guerre du Vietnam que l’Air Force, pour contre-carrer les missile sol-air soviétiques, investit dans des programmes de drones de reconnaissance. (Je puise, pour cet article, dans le livre passionnant de Grégoire Chamayou, Théorie du drone, publié en avril 2013 par les éditions de La Fabrique).

Après la fin de la guerre, les États-Unis abandonnèrent les drones militaires mais Israël, qui avait hérité de quelques-uns de ces engins, et, selon l’auteur, les utilisa pendant la guerre dite du Kippour (1973) : les drones furent utilisés comme des leurres qui attirèrent le feu de l’artillerie égyptienne ; et ensuite, avant que cette dernière ait eu le temps de recharger ses batteries, l’aviation israélienne attaquait victorieusement et s’assurait la maîtrise du ciel.

A ce stade, le drone n’était encore qu’un engin de renseignement et de surveillance. Une étape nouvelle est franchie en février 2001, avec le test du drone Predator équipé d’un missile. Après le 11 septembre et l’intervention américaine en Afghanistan, le Predator trouvait son champ d’application idéal.

Contre al-Qaida et les terroristes

Les État-Unis firent, à partir de la fin 2001, un usage de plus en plus intensif des drones. Mais, avant d’évoquer l’action de la première puissance mondiale, il faut souligner l’utilisation à grande échelle des drones par Israël contre les Palestiniens, en particulier à Gaza où ils ciblent et exécutent-assassinent des militants du Hamas.

En novembre 2001, un Predator aurait participé au bombardement qui tua en Afghanistan le « numéro 3 » d’Al-Qaida, Mohamed Atef. Le 3 novembre 2002, un tir effectué par un Predator détruit une voiture transportant six membres d’Al-Qaida au Yémen. En 2013, les États-Unis disposent de plus de 6000 drones de différents modèles, dont plus de 160 Predator. Evidemment, il y a de temps à autre des « dommages collatéraux », comme le 4 février 2002, lorsqu’une frappe tue trois hommes dans l’est de l’Afghanistan : l’un d’entre eux était soupçonné d’être Ben Laden mais il s’agissait de villageois ramassant de la ferraille. Évidemment encore, les enfants ne sont pas épargnés.

Arrêtons la liste de ces « exploits » ; il faut souligner, par contre, que les drones américains, en particulier les Predators, sont guidés depuis la base militaire de Creech, dans le Nevada, l’État dans lequel depuis les années cinquante, ont été réalisés les essais nucléaires. Les militaires la surnomment « the home of the hunters », la demeure des chasseurs. Assis confortablement devant un écran, les analystes video observent ce qui se passe à des milliers de kilomètres. On peut ainsi suivre les déplacements d’individus considérés comme suspects dans un coin perdu d’Afghanistan ou du Pakistan. S’il s’agit de personnages importants recherchés, une « kill list » est présentée, par téléconférences, chaque mardi à la Maison Blanche pour obtenir du président, oralement, le droit de tuer. Après quoi, les drones n’ont plus qu’à faire le « travail ». Les critères pour l’établissement de ces listes de condamnés à mort sans procès sont inconnus. Mais pour des suspects ordinaires, ce sont les analystes video qui décident de la vie ou de la mort.

Quant aux analystes, après leurs huit heures de travail, ils rentrent chez eux, dans leur famille, comme n’importe quels fonctionnaires et sont relayés par d’autres. Le lieutenant général David Deptula, dans une conférence, déclarait : « Disposer d’une telle portée d’intervention nous permet de garder les pieds au chaud à la maison tout en envoyant des effets et de la capacité n’importe où à la surface du globe. » C’est l’idéal, vraiment, pour un pouvoir américain si soucieux de ménager la vie de ses soldats et si indifférent à celle des autres.

Une réflexion éthique

La stratégie américaine qui considère le monde comme un terrain de chasse, qui en arrive à revendiquer, sous le couvert de lutte contre le terrorisme, une sorte de droit à l’exécution extrajudiciaire, est contraire au droit de la guerre. Comme catégorie juridique, cette dernière est un objet aux contours délimités dans l’espace. Dès le début, un haut gradé, Seymour Hersh, s’écriait : « Ils veulent transformer ces gars en assassins » ; car, remarque Grégoire Chamayou, le drone abolit la possibilité même d’une différenciation manifeste entre combattants et non-combattants.

Un véritable débat a donc eu lieu et se poursuit aux États-Unis. Certains affirment que les drones sont moraux parce qu’ils sauvent « nos vies ». Léon Panetta, ancien directeur de la CIA, déclara : « C’est très précis, c’est très limité en termes de dommages collatéraux. » Il est vrai que le New York Times estime qu’ainsi le président Obama évite les complications liées à la détention en décidant de ne faire aucun prisonnier vivant ! Plus grave est la déclaration de David Reisner, ancien responsable du département juridique de l’armée israélienne : « Si vous faites quelque chose pendant suffisamment longtemps, le monde finira par l’accepter. (…) Le droit international progresse par des violations. Nous avons inventé la thèse de l’assassinat ciblé et il nous a fallu l’imposer. » (Je précise que toutes ces citations proviennent de l’ouvrage de Grégoire Chamayou.)

En janvier dernier, le rapporteur spécial de l’ONU pour la protection des droits de l’homme, Ben Emmerson, a lancé une enquête sur les victimes civiles des drones. L’enquête va porter sur 25 attaques menées dans les quatre pays où opèrent les drones étatsuniens ainsi que dans les territoires palestiniens. Selon le rapporteur, « L’augmentation exponentielle de l’usage de la technologie des drones dans diverses situations représente un vrai défi pour le droit international actuel« , et il a appelé à la mise en place « urgente » d’un cadre légal pour réguler ces pratiques.

Des effets du drone

Ces engins peuvent, 24 heure sur 24 heures, par leur bourdonnement plus ou moins lointain, faire peser une menace de mort qui terrorise. C’est le cas en permanence pour les habitants de Gaza et sur certaines zones de l’Afghanistan et du Pakistan.

La stratégie du drone est de combattre ceux que l’on considère comme des terroristes. Mais la terreur peut engendrer aussi la volonté de riposte, voire de vengeance. Un chef taliban pakistanais témoigne : « J’avais passé trois mois à essayer de recruter et je n’avais réussi à trouver 10 à 15 personnes. En une seule attaque américaine, j’ai eu 150 volontaires. » Certains experts militaires américains sont conscients du danger de la stratégie américaine ; David Kilcullen, ancien conseiller du général Petraeus signa avec un expert en sécurité, le 17 mai 2009 dans le New York Times, une tribune dans laquelle ils affirmaient que la stratégie du drone au Pakistan était dangereusement contre-productive pour les intérêts américains parce qu’elle jetait les populations dans les bras des groupes extrémistes. Ils la comparaient aux bombardements français des campagnes algériennes dans les années cinquante. Ils y voyaient la continuation des politiques coloniales.

De surcroît, des études américaines ont constaté que les opérateurs eux-mêmes, bien à l’abri dans leur base du Nevada, n’échappaient pas toujours aux répercussions psychiques de la violence de leurs actes. La stratégie du drone dément donc la « théorie de la répugnance à tuer » de Dave Grossmann selon laquelle plus la distance est grande avec la cible et plus il serait facile de passer à l’acte. On ne manque pas d’ailleurs de dire aux opérateurs pour les rassurer : « Il n’y a pas de chair sur votre écran, juste des coordonnées. » Or, certains opérateurs ne se font pas à leur vie : 8 heures à faire la guerre à partir de leur écran, puis prendre leur voiture pour rentrer chez eux et retrouver leur famille, c’est-à-dire le temps de la paix. Mais on ne passe si facilement, chaque jour, d’un temps de guerre à un temps de paix, sauf si l’on est capable de cloisonner totalement sa vie. L’un de ces opérateurs s’est effondré après six ans de ce « travail » et a décidé de quitter l’Air Force.

Les drones dans le monde d’aujourd’hui

Laissons Grégoire Chamayou, en souhaitant que son livre sur la Théorie du drone ait beaucoup de lecteurs et ouvrons les yeux autour de nous.

Le drone peut avoir d’autres usages. Divers pays l’utilisent pour surveiller les incendies ou les inondations. Un drone écologique existe pour l’observation des fonds marins. Mais on en revient souvent aux missions de répression. Aux États-Unis, le Département de la Sécurité intérieure a utilisé un « Predator B » pour la surveillance des frontières à partir d’octobre 2005 ; à la suite d’une fausse manoeuvre, ce drone s’est écrasé dans le désert de l’Arizona à la fin avril 2006. Bilan de ses services : en 959 heures de vol, il avait permis l’arrestation de 2 309 personnes, la saisie de 4 véhicules et de 13 tonnes de marijuana. Un nouveau drone lui succéda. En France, en 2008, la police s’est doté d’un drone appelé ELSA pour surveiller les manifestations… mais aussi les quartiers de banlieue !

Comme d’autres pays européens, la France cherche à se doter de drones. Jusqu’à maintenant, elle ne disposait que de quatre drones d’observation Harfang, dont un a été endommagé en Afghanistan et deux sont utilisés au Mali à partir d’une base située à Niamey (Niger). Mais, depuis trois ans, des achats sont envisagés et deux pays sont susceptibles d’en vendre : Israël et les États-Unis. En 2011, une commande du drone Héron, fabriqué par la firme israélienne IAI et Dassault a été annulée. Des négociations sont en cours avec le Pentagone pour l’achat de deux Reaper, un drone fabriqué par General Atomics qui a déjà livré des exemplaires au Royaume-Uni et à l’Italie.

L’offre israélienne est pourtant très diversifiée et se spécialise actuellement dans la miniaturisation du drone ; drones Mosquito, drones-papillons destinés à accompagnés les avions de combat sur le champ de bataille. Mais ce sont d’autres drones, plus puissants, qui, en ce moment, survolent la Syrie. Le roi de Jordanie a autorisé l’aviation israélienne a utilisé deux couloirs aériens pour atteindre ce pays. Les drones israéliens effectuent leurs missions de nuit et on ne s’étonnera donc pas des bombardements récents sur Syrie effectués après repérage des cibles.

Le drone a un grand avenir devant lui.

 

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Du déclin du catholicisme en Amérique latine

 

On a beaucoup souligné que le sous-continent d’où vient le pape François concentre 40 % des catholiques du monde. On a moins dit que, dans tous les pays d’Amérique latine, le recul du catholicisme est spectaculaire. L’élection d’un pape latino-américain serait-elle une tentative d’enrayer ce déclin ?

Au Brésil, le pays qui rassemble le plus grand nombre de catholiques dans le monde, ces derniers représentaient 91,8 % de la population en 1970, en 2000, 73,6 % et seulement 64,6 % en 2010. En Argentine, l’Église aurait perdu en vingt ans 4 millions (10 %) de fidèles ; même situation au Mexique et, pire encore, en Amérique centrale. Tandis que dans les régions rurales le catholicisme reste dominant, les diverses Églises évangéliques et en particulier le pentecôtisme progressent spectaculairement dans les milieux urbains.

L’Église avait pourtant démontré un dynamisme remarquable pendant les années soixante et soixante-dix. La fameuse « option préférentielle pour les pauvres » qui avait été adoptée à la conférence de Medellin (1968) avait donné naissance à de multiples communautés de base, immergées dans les populations pauvres. Remarquons aussi que l’Église avait été la seule institution assez forte pour s’opposer, sauf en Argentine, aux pouvoirs militaires qui proliféraient.

Chacun a su l’assassinat, dans la cathédrale du Salvador en 1980, de Mgr Oscar Romero. On sait moins qu’un évêque argentin, Mgr Angelelli, a aussi payé de sa vie, en 1976, son engagement aux côtés des pauvres ; et, plus récemment, en 1998, au Guatemala, Mgr Gerardi. Quant aux prêtres, jésuites et laïcs, ils sont légion à être tombés sous les balles des militaires ou des para-militaires. Des militants catholiques avaient rejoint les syndicats et partis et, au Brésil, ils ont contribué à la création du Mouvement des Sans-Terre (MST) et à la victoire du Parti des Travailleurs avec Lula.

Le phénomène de désaffection à l’égard du catholicisme s’amorce dès le début des années quatre-vingt. Jean-Paul II, obsédé par la menace communiste, s’efforce de changer la donne. Il n’apporta aucun soutien à Mgr Romero menacé. En visite en Argentine, il pousse la complaisance à l’égard de la dictature militaires jusqu’à accepter la censure du Magnificat dont une strophe est trop audacieuse : « Il renverse les puissants de leur trône » ! Les évêques progressistes sont, en fin de mandat, remplacés par des conservateurs qui étouffent les communautés de base et les initiatives de leurs prédécesseurs ; suspectée de marxisme, la théologie de la libération est condamnée.

Donnons encore deux exemples. A la fin des années 80, Rome décida de diviser le diocèse de Sao Paulo pour affaiblir le cardinal Arns, archevêque de la ville, en nommant à ses côtés cinq évêques conservateurs ; il est vrai que le cardinal avait le grand tort de soutenir la théologie de la libération. Mais l’exemple le plus triste et spectaculaire est celui de Mgr Helder Camara, évêque de Recife, remplacé en 1985 par José Cardoso Sobrinho, un évêque de l’Opus Dei : ce dernier s’empressa de détruire tout ce qu’avait créé Dom Helder Camara. Mgr Sobrinho se fit d’ailleurs remarquer, en fin de mandat, en 2009, en excommuniant la mère d’une fillette de 9 ans qui avait avortée après avoir été violée par son beau-père ; il s’appuyait sur le droit canon et fut soutenu à Rome par le cardinal Battista Re, préfet de la congrégation romaine pour les évêques. « L’avortement est un crime pire que le viol », affirmait Mgr Sobrinho. Cette fois, c’était trop : la conférence des évêques du Brésil le désavoua en lui reprochant de ne pas avoir tenu compte des circonstances particulières.

L’incident illustre dramatiquement le positionnement actuel de l’Église catholique qui maintient ses structures hiérarchiques éloignées des humbles et de leurs besoins de compassion et d’amour. Le successeur du cardinal Arns, Mgr Moreira Neves suscita l’incompréhension en dénonçant le préservatif pour éviter le sida.

L’influence de l’Opus Dei

La nouvelle orientation catholique est défendue par diverses congrégations comme la Légion du Christ (fondée en 1941 par le P. Maciel, célèbre pour ses abus sexuels, et pourtant soutenu par Jean-Paul II), le Chemin Néo-catéchuménat (né dans les années soixante) et plus encore l’Opus Dei que Jean-Paul II a élevé au rang de prélature personnelle. L’Opus Dei cherche à s’implanter dans les élites. Ainsi, au Chili, où l’Oeuvre dispose d’un évêque, son influence est forte dans les milieux du pouvoir et de l’armée, elle possède de nombreux collèges et a ouvert une Université en 1990.

En Équateur, un évêque de l’Opus Dei, Antonio Arregui Yarza, préside la conférence épiscopale. Au Pérou, 11 évêques sur un total de 50 sont aujourd’hui membres de l’Opus Dei. Une fois nommés, ces évêques – qui dominent dans le sud du pays – débarquent dans leurs diocèses comme s’ils amenaient (enfin) la véritable Église. Ils disposent de ressources financières, de moyens de communications ; ils relèguent le clergé local au second rang. Le plus grave est leur attitude à l’égard de la culture locale andine. Rompant avec la pastorale d’inculturation, ces évêques considèrent la population comme inculte et païenne.

A Lima, l’archevêque, Juan Luis Cipriani Thorne, fut le premier cardinal de l’Opus Dei, nommé en 2001. Il s’est fait remarquer par ses positions de soutien au pouvoir en place ; ami de l’ancien président Fujimori, il a toujours minimisé la répression sanglante tout comme la corruption ; il est pour la peine de mort et n’a que sarcasmes pour les organisations qui défendent les droits de l’homme. Le péruvien Gustavo Gutierrez, considéré comme le père de la théologie de la libération, est entré dans l’ordre dominicain pour échapper à son autorité !

Cipriani n’a cependant le soutien que d’une partie de l’épiscopat péruvien et n’admet pas que le catholicisme soit traité à égalité avec les autres religions ; il rappelle le rôle de l’Église depuis l’indépendance et réclame des privilèges fiscaux.

La pastorale développée par tous ces évêques est centrée sur les sacrements. Elle réactive, bien inutilement, la piété traditionnelle et les pèlerinages. En développant le culte marial, les évêques se démarquent des églises protestantes.

Le succès des Églises évangéliques

L’exemple le plus frappant est celui de « l’Église Universelle du Royaume de Dieu » (EURD), créée au Brésil en 1977 par un ancien employé de la loterie nationale, Edir Macedo, qui, dès le début s’est autoproclamé « «évêque » pour attirer les catholiques. Venue du pentecôtisme, la nouvelle « Église » a connu une expansion foudroyante avec son slogan « Pare de Sufrir » (Arrêter de souffrir). Du sud du Brésil, elle a gagné l’Argentine, toute l’Amérique latine, sauf Haïti, le Canada, l’Afrique et principalement l’Afrique du Sud ; l’Asie commence à être touchée tout comme l’Europe.

Dans la doctrine de cette Église, le démon est à l’origine de tous les malheurs des hommes. Au Brésil, les démons sont identifiés avec les entités du panthéon afro-brésilien ; mais, ailleurs, l’EURD a su s’adapter à la culture locale. L’important est d’affirmer sa capacité à libérer ses fidèles par des exorcismes collectifs, le vendredi, dans ses milliers d’églises.

Ses moyens matériels sont puissants. Au Brésil, elle dispose d’un journal qui tire à un million d’exemplaires, de chaînes de radio et de télévision et n’hésite pas à faire élire des députés et conseillers municipaux afin de protéger ses intérêts. Car l’UERD ne manque pas d’argent. Il faut aussi souligner que les États-Unis ont soutenu la création et l’essor de ces Églises pentecôtistes qui sont généralement conservatrices. Il s’agissait de contrer l’influence des communautés catholiques de base qui continuent d’exister, des mouvements d’action catholiques et de la théologie de la libération.

Le bilan est le suivant : plus de 30 % de la population est protestante au Guatemala, au Honduras, au Nicaragua et au Salvador ; au Brésil, les protestants (donc essentiellement des Évangéliques) représentent 24 % et en Argentine, 9 %.

Certes, il y a encore des évêques au service du peuple. Au Mexique, un dominicain, Mgr Paul Vera Lopez avait été nommé évêque coadjuteur de Mgr Samuel Ruiz, l’évêque prophétique de San Cristobal de Las Casas (Chiapas), pour contre-carrer ce dernier. Au contact des réalités, Dom Lopez prit, à son tour, la défense des Indiens. Écarté de San Cristobal et nommé évêque de Saltillo, il ne cesse de dénoncer la corruption du gouvernement et sa complicité avec le cartel de la drogue. Au Brésil, la commission pastorale de la Terre continue son action ; au nordeste, Mgr Luis Flavio Cappio, un franciscain, n’a pas hésité à faire deux grèves de la faim contre le projet de dérivation du fleuve Sao Francisco destiné à favoriser la grande agriculture aux dépens de millions de pauvres vivant grâce au fleuve.

La politique des nominations d’évêques par le nouveau pape dessinera-t-elle un changement d’orientation par rapport à ces deux prédécesseurs ? Ce sera une question décisive pour l’Église catholique, tout particulièrement en Amérique latine.

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Le viol comme technique de guerre

On parle beaucoup de viols en ce moment, et l’Inde est le pays mis le plus souvent en accusation. Avec un déficit (obtenu par infanticides, bien sûr) de 40 millions de femmes par rapport aux hommes, des millions de mâles recherchent en vain une femme à épouser et, parfois, se défoulent. Les instinct sont là. On parle beaucoup moins des violences sexuelles pratiquées dans la province orientale du Congo RDC. Pourtant, une étude de l’ONU pour l’année 2012 a recensé 3 304 cas, dont 71 % de viols collectifs. On pense que ce phénomène est lié au conflit qui sévit dans la région ; or seulement 12 % des auteurs de ces viols appartiennent à des groupes armés et 4 % à l’armée congolaise ou à la police nationale.

Mais je voudrais évoquer aujourd’hui les victimes quasiment oubliées d’un autre conflit, celui qui déchira la Yougoslavie dans les années 1992 à 1995. Dans ce cas, il ne s’agit pas des débordements, quasi inévitables en période de guerre, mais d’une véritable technique utilisée par les troupes serbes contre les femmes de leurs adversaires croates et plus encore bosniaques musulmans. Avant d’en venir à ces dernières victimes, je signale que, puisque l’adhésion de la Croatie à l’Union Européenne est à l’ordre du jour, on évoquait récemment les réticences de certains Croates à accorder toutes les protections exigées par l’Europe à la minorité serbe qui réside en Croatie. Mais, nous avouait-on, à Vukovar, près de la frontière avec la Serbie, il arrive que des femmes croates croisent dans la rue des Serbes qui les ont violées… Impunité assurée.

En Bosnie, au moins 20 000 femmes, en grande majorité musulmanes, ont été victimes de violences sexuelles, souvent dans les pires conditions. Donnons l’exemple tristement célèbre de ce qui s’est passé à Foca, à 75 km au sud-est de la Bosnie, entre 1992 et 1993. Après la prise de cette ville de 40 000 habitants avec une majorité de musulmans par les forces serbes, les maisons ont été brûlées et les 13 superbes mosquées détruites. Tandis que les hommes étaient internés dans des camps, 2 000 femmes ont été détenues dans des conditions d’hygiène effrayantes, battues, sous-alimentées et soumises aux caprices de leurs geôliers serbes. Les soldats qui avaient un accès libre aux camps de détention venaient choisir des femmes pour les emmener et les violer, en particulier à la salle des sports Partizan. Certaines jeunes filles n’avaient que 12 ans. Les femmes étaient prêtées ou « louées » à d’autres soldats pour lesquels elles devaient faire la cuisine, le ménage tout en étant violées. Certaines ne furent jamais revues. Et ceci, pendant des mois. Foca ne fut pas un cas unique.

Des condamnations

En 1998, le Tribunal pénal international (TPI) pour l’ex-Yougoslavie a reconnu que les viols systématiques et l’esclavage sexuel constituaient un crime contre l’humanité. Une première, puisqu’au Rwanda, les viols n’avaient été qualifiés que de crimes de guerre. Mais les condamnations restèrent rares. En 2001, le TPI a, pour la première fois, condamné trois Serbes de Bosnie à 28, 20 ou 12 ans de prison pour des violences sexuelles commises à Foca. Trois autres accusés sont toujours en fuite. Le juge a déclaré : « Le viol a été utilisé par des membres des forces armées serbo-bosniaques comme un instrument de terreur. »

Trois serbes condamnés et combien d’autres continuent-ils de vivre tranquillement ?

Les « oubliées de la paix »

Si certaines n’ont pas survécu, aujourd’hui, en Bosnie, des milliers de femmes vivent avec ce lourd, ce terrible passé. Minées par la honte, elles n’arrivent pas à retrouver une vie normale. A l’hôpital de Sarajevo, une neuropsychiatre évoque « un pacte du silence. On suppose que quelque chose s’est passé mais on n’en parle pas. » Certaines familles ont implosé quand le mari a appris que sa femme avait été violée : il n’a pas pu l’accepter. La neuropsychiatre ajoute : « L’objectif du violeur qui est de détruire la sexualité de ses victimes est atteint. »

Certaines femmes ont été violées par leur voisin, presqu’un ami avant la guerre. Parfois, pendant que la mère était violée, un autre soldat s’emparait de la fille de 18 ans. Une autre – qui a été abusée devant ses parents – déclare : « Une partie de moi est morte. C’est une honte que je ne peux pas supporter. » Cette femme ne vit plus qu’en prenant des médicaments et en passant ses journées devant la télévision (témoignages recueillies par L’Orient le Jour, 8 novembre 2010). Vingt après, une femme – qui a maintenant plus de 70 ans – témoigne : « Le plus dur pour moi, c’est la nuit. Je n’arrive pas à dormir, je suis obligée de prendre des médicaments. Je suis une thérapie mais je ne pourrais jamais oublier. » Dépressions, insomnies, psychoses, mais aussi problèmes physiques liés au stress post-traumatiques, problèmes gynécologiques multiples. Souvent, ces femmes n’arrivent pas à payer leurs médicaments et ont du mal à trouver un emploi.

Une psychologue, Lucia Dighiero, qui a travaillé près de huit ans avec ces femmes dans l’unité psychologique de soutien aux témoins, pour le TPI, affirme : « certaines ont réussi à trouver un équilibre, d’autres sont dans un état psychologique lamentable. Tout dépend du type de traumatisme, de leur âge, de leur soutien familial, de leur niveau de vie. » (La Croix, 30 mai 2011)

Dans les villes, ces femmes peuvent trouver une aide psychologique mais dans les campagnes, le viol reste un sujet tabou. Pourtant, juste après la guerre, la communauté islamique a déclaré que ces femmes étaient des « shahida », des martyrs de l’islam. Le décret invitait les musulmans à les respecter ainsi que leurs enfants et à les soutenir dans le processus de guérison. Cela a aidé à leur intégration sociale mais n’a pas suffi. Ce n’est d’ailleurs qu’en 2006 qu’elles obtiendront le statut de victimes de guerre qui leur donne droit à une aide financière. Mais la procédure est compliquée : il faut plusieurs témoins et nombreuses sont celles qui ne veulent pas avoir à expliquer de nouveau ce qui leur est passé. Finalement, moins de 2 000 femmes en ont fait la demande et, d’ailleurs, cette loi n’est appliquée que dans la Fédération croato-bosniaque, une des deux entités du pays.

Les enfants du viol

N’oublions pas aussi que des milliers d’enfants sont nés de ces viols de guerre. Une psychothérapeute, Sabiha Husic, qui a créé dès 1993 une des premières ONG destinées à aider ces femmes et leurs familles, était interrogée en février 2008. Ces enfants du viol ne parviennent pas à se trouver une identité. Leurs mères ne savent pas comment leur expliquer ce qui s’est passé ; elles ont peur de les perdre et qu’ils passent dans l’autre camp pour rechercher leurs pères. Ces enfants qui deviennent adultes ont pourtant besoin de réponses. Il faudrait des programmes d’accompagnement pour les préparer à recevoir une vérité aussi violente mais le gouvernement n’accorde pas l’argent nécessaire.

Pourtant, en 2007, pour la première fois, 22 hommes sont venus spontanément demander de l’aide pour des thérapies individuelles. Ce fait est une petite révolution dans cette société traditionnelle. Les maris et les pères commencent à se rendre compte qu’ils ont besoin d’aide pour ne pas perdre leur femme et leurs enfants. Or, ces hommes sont d’anciens soldats. Cette ONG forme aussi les policiers, les juges ainsi que les enseignants.

A Foca, située désormais dans la république serbe de Bosnie, les Serbes règnent en maîtres. Ils ont rebaptisé la ville Srbinje, ce qui veut dire « lieu des Serbes ». Malgré les accords de paix de Dayton qui prévoyaient le retour des réfugiés dans leurs foyers, seuls 4 000 musulmans sont revenus à Foca-Srbinje : l’épuration ethnique a donc été « réussie ». Il y a quelques années encore, d’anciens criminels de guerre, connus de tous, déambulaient tranquillement dans les rues. Enfin, en octobre 2004, lorsqu’une association de femmes victimes a voulu apposer une plaque en face de la salle de sports où tant des leurs avaient été martyrisées, une manifestation de plusieurs centaines de Serbes les en a empêchée.

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La sexualité, une affaire d’Église ?

 

De la contraception à l’homosexualité

Tel est le titre du dernier livre que je viens de publier aux éditions Karthala. En fait, j’avais proposé, en 2008, une étude sur l’affaire Humanae vitae pour le 40ème anniversaire de l’encyclique qui avait condamné la contraception. On pouvait s’interroger : la hiérarchie catholique a-t-elle peur de la sexualité ? Mais il est aujourd’hui urgent de se poser une autre question : l’Église a-t-elle reçu du Christ la mission de dicter une morale sexuelle aux chrétiens ? Et, de surcroît, par le biais de la « loi naturelle » dont elle prétend être la gardienne, a-t-elle en droit de condamner des comportements sexuels à tous, quelles soient leurs convictions ? On ne peut que constater, avec le combat mené par des épiscopats des États-Unis à Paris, sans oublier l’Argentine de Bergoglio, l’acharnement mis par tous ces évêques contre les lois libéralisant l’avortement et le mariage gay. Plus rien d’autre ne compte à leurs yeux.

On sait qu’Humanae vitae a provoqué le départ de nombre de catholique, en particulier des femmes et parfois même aussi de prêtres. On sait moins qu’elle a été suivie par des déclarations des épiscopats du monde entier, certains, comme en France, l’interprétant pour en atténuer la portée.

Cette encyclique est une réaffirmation de la morale sexuelle traditionnelle fondée sur la loi naturelle. Entraînant toutes les conséquences que nous connaissons. Mais elle représente plus que cela : un véritable tournant dans l’histoire de l’Église contemporaine après la très courte période d’ouverture au monde initiée par Jean XXIII et poursuivie par le concile Vatican II.

Le magistère romain a fait d’Humanae vitae le point de départ d’une reconquête de son autorité sur l’Église tout entière. En imposant son enseignement, Paul VI, puis Jean-Paul II et Benoît XVI ont entrepris de mettre au pas les épiscopats comme les théologiens. Ils n’ont fait qu’accentuer le fossé qui sépare l’Église de la société moderne.

Au moment où une rupture de pontificat révèle l’échec d’une « politique » romaine autoritaire et le déclin de l’Église catholique, il faut bien constater que le sexe ne cesse de constituer un terrain majeur de l’affirmation catholique traditionnelle.

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L’ÉGLISE CATHOLIQUE PEUT-ELLE CHANGER ?

Le pape François est, bien sûr, un conservateur, comme tous les cardinaux qui l’ont élu ; il a pris la tête, en Argentine, d’une véritable croisade contre l’avortement et le mariage gay. Mais, il a bien compris que sa simplicité et son attention aux pauvres, en contraste avec son prédécesseur, vont lui valoir très vite une grande popularité, en particulier en Italie. Les médias sont d’ailleurs là pour orchestrer la campagne. Pourtant, son attitude pendant la dictature militaire argentine est accablante : il s’est tu, comme toute la hiérarchie catholique argentine, alors qu’un épiscopat comme celui du Brésil a pris parti en faveur des opprimés. Il fait aussi l’objet de graves accusations. Le Monde du 15 mars a osé écrire : « Le prélat s’est battu pour conserver l’unité des jésuites, taraudés par la théologie de la libération », avec la préoccupation d’éviter leur politisation. Un commentaire qui n’est pas de l’information mais de l’idéologie conservatrice ! Pendant ces mêmes années, des dizaines de jésuites et des centaines de prêtres ont lutté avec les pauvres, partout en Amérique latine, contre les dictatures et les oligarchies. Nombre d’entre eux l’ont payé de leur vie. Quant à Bergoglio, sa lutte déterminée contre la théologie de la libération qui lui a valu sa promotion : Jean-Paul II le nomme d’abord, en 1992, évêque auxiliaire de Buenos Aires puis, en 2001, lui accorde le chapeau de cardinal. Et maintenant ?

Du pape François – qui a 76 ans et un seul poumon -, on attend qu’il fasse ce que son prédécesseur n’a pas su réaliser : remettre de l’ordre dans le gouvernement central de l’Église, nettoyer les écuries du Vatican, que l’on a découvertes aussi sales que les écuries d’Augias, avec toutes les affaires de pédophilie que Jean-Paul II a laissé impunies, les trafics de la banque du Vatican et autres joyeusetés. Voudra-t-il aller plus loin et engager quelques réformes de fond devenues urgentes ? On peut en douter compte tenu, entre autres, de son âge. On peut aussi se demander si, au cours de leurs longs débats avant et pendant le conclave, les cardinaux ont pris la mesure de l’urgence des réformes que les deux papes polonais et allemand ont bloquées avec tant de persévérance pendant 35 ans.

L’état catastrophique de l’Église catholique

Effondrement de la pratique religieuse et crise du clergé (depuis plus d’un demi-siècle) dans les pays occidentaux, disparition des intellectuels catholiques, recul du catholicisme en Amérique latine et en Afrique devant l’engouement pour les églises évangéliques, nomination systématique d’évêques conservateurs, voire rétrogrades, crispation sur une morale sexuelle incomprise de la plupart des fidèles et sur des dogmes considérés comme immuables.

Le grand théologien suisse Hans Küng a publié, en septembre dernier, un ouvrage intitulé Peut-on encore sauver l’Église ? , traduit en français et publié au Seuil. On connaît le franc-parler de ce théologien qui a été le plus jeune expert officiel au concile Vatican II ; Joseph Ratzinger est de quelques mois plus âgé. Il est sévère : l’Église souffre « du système de domination romain qui, malgré toutes les résistances, s’est établi au cours du deuxième millénaire et s’est maintenu jusqu’à nos jours » : monopole du pouvoir et de la vérité, juridisme et cléricalisme, hostilité envers la sexualité et les femmes. Selon lui, les scandales d’abus sexuels du clergé sont le dernier symptôme de la crise.

Hans Küng cite les propos d’Alois Glück, le président du comité central des catholiques allemands lors du Kirchentag de 2010 : « L’alternative est : ou la résignation, le rétrécissement voulu, en tout cas accepté sans trop de regret, à une petite communauté de « chrétiens convaincus » ; ou la volonté et le courage pour un nouveau départ. »

Comment en est-on venu là ?

Voulu par Jean XXIII et amorcé par le Concile, l’aggiornamento n’a duré que quelques très courtes années. Dès 1967-68, Paul VI, angoissé et sous l’influence de la Curie romaine, publiait deux encycliques catastrophiques : Sacerdotalis caelibatus qui maintenait le célibat ecclésiastique (qui n’est pourtant que d’ordre disciplinaire et dont l’obligation peut être levé du jour au lendemain), et l’encyclique Humanae vitae qui condamne la contraception… parce que Pie XI l’avait déjà condamnée en 1930. Dès ces années, aux mesures d’application du Concile se mêle, avec de plus en plus de force, un courant de réaction.

Avec Jean-Paul II, la nomination d’évêques conservateurs partout dans le monde mène à l’immobilisme. Hans Küng souligne que, pour sélectionner les futurs évêques, un questionnaire – qu’il a vu de ses yeux – circule pour vérifier qu’ils approuvent Humanae vitae, l’obligation du célibat et rejettent l’ordination des femmes. Le théologien suisse donne l’exemple de trois cardinaux actuels qui, pour assurer leur promotion, ont changé radicalement de position. Aux États-Unis, l’épiscopat concentre ses efforts contre la politique de la santé d’Obama à cause du remboursement de l’IVG. Le cardinal-archevêque de New York, Timothy Dolan, président de la conférence des évêques des États-Unis, mène la campagne…

J’ai déjà, dans ces pages, souligné les dégâts provoqués par le cardinal Ratzinger, pendant ses 23 ans de règne, comme préfet de la congrégation de la foi, ex-Saint-Office. Paradoxalement, la liste de ses condamnations dessine les contours de certaines réformes à promouvoir. Sans oublier l’interdiction de l’ordination des femmes, plusieurs fois répétées, en particulier par une lettre apostolique de Jean-Paul II en mai 1994.

Le pape voudra-t-il et pourra-t-il faire des réformes ?

Voilà la grande question. Chacun songe (et rêve) d’un nouveau Jean XXIII mais l’histoire ne se répète pas ; elle est toujours nouvelle. On peut s’interroger d’ailleurs sur la marge de manoeuvre dont le pape François va disposer.

N’oublions pas qu’en démissionnant, Benoît XVI a pris des dispositions inquiétantes. En effet, en prenant sa retraite au sein du Vatican (4,4 hectares), il reste très près du pouvoir et n’a pas dit qu’il se consacrerait uniquement à la prière et à ses chères études. De surcroît, MgrGeorg Gaenswein, secrétaire particulier de Benoît XVI (qui l’accompagnera dans sa retraite), récemment nommé préfet de la Maison pontificale, le restera ! Le P. Lombardi, directeur de la salle de Presse du Vatican, a précisé, bien sûr, qu’il n’aurait, par cette fonction, aucun type d’influence sur le nouveau pape, car “ses compétences ne concernent pas le gouvernement ou les décisions de l’Eglise”, mais “des fonctions pratiques et logistiques relatives à l’organisation des audiences de Sa Sainteté”. Contre-vérité : en préparant les audiences publiques mais aussi privées, Mgr Gaenswein recueillera nombre d’informations qu’il pourra transmettre à son patron, le « pape émérite ». Enfin, après avoir annoncé le 11 février sa démission effective pour le 28, Benoît XVI a nommé, le 15 février, à la tête de l’Institut pour les Oeuvres de religion, c’est-à-dire de la banque du Vatican, un industriel allemand, Ernst von Freyberg, chevalier de l’Ordre de Malte et constructeur de navires de guerre… On devine le souci du « pape émérite », convaincu de détenir la Vérité, de veiller à ce que son successeur ne touche pas à la sainte doctrine dont lui, Ratzinger, est le gardien.

Le nouveau pape a reçu la mission de remettre de l’ordre dans le gouvernement central de l’Église : rien de plus ? Je crois donc utile de rappeler un texte conciliaire, promulgué le 21 novembre 1964 : « L’Église, au cours de son pèlerinage, est appelée par le Christ à une réforme permanente dont elle a perpétuellement besoin en tant qu’institution humaine. » (Décret Unitatis Redintegratio, n° 6)

Pour terminer, je voudrais citer les paroles du grand théologien Karl Rahner, lors d’une conférence à Paris en février 1965 : « La théologie d’aujourd’hui et de demain devra se faire théologie du dialogue avec les hommes qui pensent ne pas pouvoir croire. Il lui faudra donc réfléchir à fond, avec une sincérité radicale, sur ce qu’elle pense et veut dire quand elle parle de Dieu et du Christ. Ces questions ne peuvent être résolues par un biblisme naïf. » Et Karl Rahner d’appeler de ses voeux une théologie oecuménique qui serait « accompagnée, entourée d’une théologie du dialogue avec le monde d’aujourd’hui. (…) Quand nous disons théologie du dialogue avec le monde, il ne s’agit pas tellement d’une question d’apologétique ou de pédagogie religieuse, donc de savoir comment rendre le dogme de l’Église acceptable à nos contemporains. Mais qu’on se pose sérieusement cette question et l’on ne pourra échapper à la nécessité de repenser théologiquement ce que le christianisme proclame. »

Karl Rahner ajoute, certes, que « le dogme demeure » mais souligne qu’il porte « des possibilités de développement dogmatique et théologique. »

Qui peut dire ce que fera demain le nouveau pape ? Qu’au moins, il renverse le courant qui, depuis 1968, fait de l’Église, malgré ses fastes et grands rassemblements, un petit monde clos, dérivant vers la secte.

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L’inoubliable Maximos IV


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Au moment où à Rome les cardinaux se préparent à élire un pape, avez-vous remarqué qu’il n’est jamais question des patriarches catholiques de l’Orient ? Et pour cause : seul le patriarche maronite est cardinal et, compte tenu de son âge, ne fera pas partie des cardinaux électeurs. Les quatre autres patriarches, et en particulier celui de Jérusalem, sont écartés de la désignation du chef de l’Église universelle alors même qu’aux origines de l’Église, le pape n’était que le patriarche de l’Occident.

Raison de plus pour présenter aujourd’hui un patriarche et pas n’importe qui : Maximos IV, patriarche grec-melkite, « patriarche d’Antioche et de tout l’Orient, d’Alexandrie et de Jérusalem » de 1947 à sa mort en 1967. Je ne l’ai rencontré qu’en travaillant sur Vatican II pour écrire mon livre Feuilleton d’un Concile. Je savais que Maximos IV Saigh avait joué un rôle majeur au concile mais je n’imaginais pas la hardiesse de ses prises de parole et comment il avait plaidé pour la liberté des Églises d’Orient, avec leurs traditions, leur théologie et leur spiritualité diverses en face d’un Occident latin quasi monolithique. Plus que tout autre, il voulait favoriser le rapprochement entre le catholicisme et l’orthodoxie, la grande Absente de Vatican II.

Après le schisme de 1054 qui sépara le christianisme romain (catholicisme) du christianisme grec (orthodoxie), les fidèles des patriarcats d’Antioche, de Jérusalem et d’Alexandrie cherchèrent à rétablir l’unité avec Rome. En 1724, ces trois patriarcats établirent une communauté melkite catholique unie à Rome tout en conservant le rite byzantin ; le patriarche melkite de l’époque fut donc excommunié par le patriarche orthodoxe de Constantinople. Dans l’Église melkite, la langue vivante étant la langue liturgique, les célébrations se font en arabe… la langue du Coran, comme le fit remarquer au concile l’évêque auxiliaire de Maximos IV.

L’itinéraire d’un patriarche

Amine Saigh est né à Alep (Syrie) en 1878 ; il fait ses études secondaires à Jérusalem, est ordonné prêtre au Liban en 1905 et devint métropolite (évêque) de Tyr (Liban) en 1919. La domination ottomane, tant décriée, donnait une liberté de déplacement inimaginable aujourd’hui. A Tyr, Mgr Saigh réorganise églises et écoles ; il achète des terrains, plante des oliveraies en même temps qu’il publie des ouvrages liturgiques. Devenu métropolite de Beyrouth, il poursuit son oeuvre et fonde une congrégation féminine missionnaire. En octobre 1947, les évêques melkites l’élisent patriarche sous le nom de Maximos IV Saigh.

Malgré son âge, Maximos IV parcourt le monde pour porter ses encouragements à ses fidèles du Proche-Orient et aussi à ceux qui ont émigré en Amérique. En 1948, il publie une lettre pastorale en faveur des réfugiés de Palestine. En face des régimes arabes, il s’efforce de protéger les chrétiens contre les discriminations ; à plusieurs reprises, il prend l’initiative de réunir tous les chefs religieux des communautés chrétiennes pour défendre les revendications des chrétiens. En avril 1957, devant le président de a République syrienne, il affirme : « Nous sommes les enfants de cette patrie. (…) Lorsque nous travaillons en faveur de notre patrie à l’étranger, nous nous efforçons de bien montrer les droits des Arabes en tant que nations. » Et d’ajouter que lors de sa visite au Brésil et aux État-Unis, entreprise pour des motifs purement religieux, il a fait en quelques mois plus de propagande en faveur des nations arabes que toutes les ambassades arabes depuis des années ! De fait, le prestige de Maximos IV dans le monde arabe est immense.

En 1960, il dut défendre l’usage de la langue vivante dans la célébration de la messe contre un décret du Saint-Office voulant imposer le latin aux prêtres melkites en Amérique et en Europe. S’étant adressé à Jean XXIII, il obtint gain de cause, sauf pour le canon. Il n’hésitait pas à déclarer un jour au sujet du Saint-Office : « un organisme qui n’agit pas selon la justice n’est pas saint et il ne sert pas l’Église, ce n’est pas un office. »

Au concile, Maximos IV trouva une tribune exceptionnelle. En 1962, il a 84 ans et dirige une Église de 600.000 fidèles.

Maximos IV au Concile

Dès la première session, il prit tranquillement la parole en français alors que le règlement prévoyait que les Pères conciliaires s’expriment en latin ; jamais il ne se plia à la règle. Il est de tous les grands combats de ce qu’on a appelé la « majorité conciliaire ». Maximos IV veut en particulier restaurer la collégialité épiscopale et dénonce la « monarchie absolue et la centralisation presque totale de tous les pouvoirs de juridiction entre les mains du seul évêque de Rome » alors que l’Orient chrétien a adopté des formes d’organisation plus démocratiques. Il affirme haut et fort que l’évêque de Rome n’est que le patriarche de l’Occident en face des patriarches d’Orient avec seulement une primauté d’honneur. En novembre 1963, pour aider le pape à gouverner, il propose de former un vrai Sacré Collège avec des cardinaux-archevêques, les patriarches et des évêques choisis par les conférences épiscopales qui serait convoqué par le pape ; de surcroît, un « synode d’évêques » resterait constamment à Rome et tout les bureaux romains lui seraient subordonnés. Aucun autre Père conciliaire ne proposa un plan plus précis pour réformer le gouvernement de la papauté. Un voeu resté pieux…

Maximos IV intervint aussi avec son habituelle franchise sur les questions de morale sexuelle. Si les cardinaux Suenens et Léger surent dénoncer l’enseignement traditionnel de l’Église en matière de régulation naissances, c’est encore Maximos IV qui fit le plaidoyer le plus ferme et percutant. Ajoutons qu’il avait l’intention d’aborder la question du célibat sacerdotal mais que Paul VI le lui interdit. On a publié plus tard la lettre qu’il écrivit à Paul VI dans laquelle il évoquait sans détour l’ampleur du problème pour le clergé latin et soulignait qu’il existait une solution : le clergé marié de l’Église d’Orient.

Une question mit Maximos IV en porte-à-faux avec la majorité conciliaire, celle du paragraphe concernant les juifs dans le schéma sur l’oecuménisme. Comme tous les évêques venant des pays arabes, il était sensible à l’interprétation politique qu’on ne manquerait pas de faire : l’Église reconnaissait l’État d’Israël. Maximos IV déclara donc qu’un tel texte était inopportun et qu’une note condamnant à la fois l’antisémitisme et la ségrégation raciale suffirait ; mais si l’on parlait des juifs, il fallait parler aussi des musulmans. En novembre 1964, devant les réactions négatives du monde arabe, Maximos IV publia une mise au point qui fut lue dans toutes les églises de Jordanie ; il soulignait que la déclaration conciliaire était purement religieuse et que le peuple juif tout entier et de tous les temps ne pouvait être accusé d’avoir tué le Christ. Grâce à lui et aux autres évêques melkites, Nostra Aetate contient aussi un paragraphe positif sur l’islam.

« Un pont entre l’orthodoxie et l’Église romaine »

Telle a été la préoccupation dominante de Maximos IV et des autres évêques melkites au concile. Dans son Mandement à l’occasion de son départ pour le concile, en octobre 1962, il écrivait d’ailleurs : « Nous avons pris sur nous la charge de représenter au Concile le véritable esprit oriental, cet esprit de tradition apostolique. » Rencontrant le patriarche orthodoxe de Constantinople, à l’occasion du voyage de Paul VI en Terre Sainte, Athénagoras dit à Maximos IV : « Vous nous représentez tous ; merci ! » Ainsi, à travers Maximos, l’orthodoxie était présente au concile.

La décision de Paul VI, en février 1965, de nommer cardinal Maximos IV fut mal perçue en Orient : le collège des cardinaux était une institution propre à l’Église d’Occident. « C’est la plus grade épreuve de ma vie », confia-t-il à un prêtre ami. Pour faire partie du Sacré Collège, la dignité de patriarche ne suffisait-elle donc pas ?

Maximos IV meurt en novembre 1967. Un jésuite français a pu écrire qu’il a été une des grandes figures de l’Église au XXe siècle. Il a fait découvrir aux Pères conciliaires que l’Orient chrétien n’est pas un appendice de l’Occident. Pourtant, 45 ans après, l’oeuvre de Maximos IV n’est-elle pas effacée ?

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Une spécialité bien française

Ne vous imaginez pas que je vais parler aujourd’hui de notre cuisine de réputation mondiale. Non, je veux attirer l’attention sur une cuisine moins glorieuse mais bien de chez nous, le cumul des mandats, c’est-à-dire l’exercice simultané de plusieurs fonctions politiques électives, au niveau national et local. Selon une étude publiée en mai dernier, la proportion des députés ayant un mandat local était, en 2011, de 3 % au Royaume Uni, de 24 % en Allemagne, de 66 % en Belgique et de 83 % en France ! On peut donc bien parler de spécialité française.

Souvent, les députés sont maires d’une commune mais d’autres fonctions peuvent être exercées : présidents et vice-présidents de Conseil général, présidents et vices-présidents de Conseil régional, conseillers régionaux, etc. Nombreux sont donc les députés qui ne cumulent pas qu’un seul mandat local mais 2 mandats (pour 318 d’entre eux), 3 mandats (pour 149 autres), 4 mandats (pour 29 autres) et même 5 mandats pour 3 autres ! Il en est de même pour les sénateurs. On s’explique l’absentéisme si fréquent dans les deux assemblées.

Pourtant, la question a été débattue depuis longtemps et la loi du 5 avril 2000 a déjà limité le cumul. Ainsi, un parlementaire (député européen ou à l’Assemblée nationale, sénateur) ne peut exercer un autre mandat parlementaire et ne peut avoir non plus qu’un seul mandat dans une assemblée locale (conseil général, conseil municipal dans une commune de plus de 3.500 habitants). Ces mesures sont à l’évidence insuffisantes. L’étude portant sur les députés de l’Assemblée dissoute en mai 2012 a montré que 19 d’entre eux étaient présidents ou vice-président de Conseil régional (il n’y a que 22 régions). Sur 36 villes françaises de plus de 100.000 habitants, 15 ont des maires qui sont en même temps députés et 9 autres ont des maires sénateurs. Comment remplir correctement ces deux mandats à la fois ?

Quelques exemples

Le maire de Toulouse (442.000 habitants), Pierre Cohen, est en même temps député du Lot-et-Garonne et président de la Communauté urbaine du Grand Toulouse ; il cumule donc trois mandats très lourds. Michel Destot, maire de Grenoble (157.000 habitants), est député de l’Isère ; avant la formation du gouvernement socialiste, Jean-Marc Ayrault était aussi un cumulard avec son mandat de maire de Nantes (près de 300.000 habitants), de président de Nantes Métropole, de député de Loire-Atlantique ainsi que président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale.

Certains sénateurs sont également à la tête de grandes villes. C’est le cas de Jean-Claude Gaudin, maire de Marseille (850.000 habitants) et de Roland Ries, maire de Strasbourg (264.000 habitants).

Il y a aussi des cas qui méritent quelques lignes. C’est le cas de Maryse Joissains-Masini, aujourd’hui maire d’Aix-en-Provence et députée des Bouches-du-Rhône. En 1977, son époux, Alain Joinssains, avait été élu maire d’Aix malgré deux annulations successives par le Conseil d’État ; mais le nouveau maire fut accusé d’avoir financé une partie de la villa de son beau-père avec l’argent de la municipalité. Alain Joinssains est condamné à deux ans de prison avec sursis et à 150.000 fr d’amende. Sa femme Maryse voulut effacer cet échec ; en 2001, à 58 ans, elle fut élue à la mairie d’Aix-en-Provence… et nomma son mari chef de cabinet ! Sept ans plus tard, le tribunal administratif jugea excessive la rémunération du mari excessive ( 476.000 euro en sept ans). Le pauvre mari a donc dû prendre sa retraite en 2008. Élue députée des Bouches-du-Rhône en 2002, Maryse est réélue en 2007, mais a perdu les élections en juin 2012. Cependant, elle assura la carrière de sa fille Sophie : d’abord nommée au poste d’adjointe à la culture, elle fut élue, à 37 ans, en septembre 2008… sénatrice ! J’ai préféré donné cet exemple à celui, plus connu, de l’inénarrable couple des Balkany qui continue de régner sur Levallois-Perret.

On me dira que les citoyens qui acceptent de voter pour ces personnages sont les premiers coupables : certes, mais les appareils des deux grandes formations politiques qui dominent la vie citoyenne en France jouent aussi un rôle souvent néfaste. A la mairesse d’une ville de 146.000 habitants, en place depuis 7 ans, l’UMP pouvait-elle refuser de choisir sa fille pour les élections sénatoriales ?

Il y a aussi un nomadisme politique qui s’ajoute parfois au cumul mais témoigne d’un acharnement déplacé à prolonger sa carrière politique. Jack Lang en est un bon exemple. Remarquable ministre de la culture sous François Mitterrand, pendant dix ans, de 1981 à 1986 puis de 1988 à 1993, il fut aussi maire de Blois à partir de 1989 et député du Loir-et-Cher à partir de 1986, conseiller régional du Centre… ainsi que député européen de 1994 à 1997. Ce qui ne l’empêcha pas de cumuler encore le poste de ministre de l’Éducation nationale avec celui de la Culture à deux reprises, de 1991 à 1993 et de 2000 à 2002 ! Mais en 2001, il perdit la mairie de Blois et préféra prudemment l’année suivant se faire élire député à Boulogne, dans le Pas-de-Calais. Une boulimie qui ne comblait pas, bien sûr, ses ambitions : à deux reprises, en 2002 et 2007, il a rêvé d’être le candidat socialiste aux élections présidentielles. Pour les élections législatives de 2012, il se fait « parachuter » dans les Vosges en se souvenant, soudain, que c’est sa terre natale. Mais il est battu. La longue carrière politique de Jack Lang est donc finie et chacun pouvait estimer qu’à 73 ans, il était temps qu’il prenne sa retraite. Eh bien, non, en janvier 2013, il était « désigné à l’unanimité » directeur de l’Institut du Monde arabe !

La promesse de François Hollande

Légiférer pour interdire le cumul des mandats avait été l’une des promesses de François Hollande durant sa campagne électorale. Les ministres du gouvernement Ayrault ont d’ailleurs abandonné toute autre fonction. Quant aux députés socialistes, ils s’étaient engagés à anticiper la future loi en renonçant, dans les trois mois, à cumuler leur mandat parlementaire avec celui d’un exécutif local. Mais parmi les parlementaires socialistes aussi, c’est la fronde. Une pétition circule actuellement parmi les députés pour défendre un « cumul intelligent », limitant l’interdiction aux maires des grandes villes. Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, a estimé qu’une telle loi ne pourrait être appliquée avant la fin de 2016 ou début 2017, soit à la fin des mandats parlementaires en cours. Si elle était appliquée en 2014, lors des élections municipales, elle amènerait des dizaines de parlementaires à choisir leur mandat local et provoquerait donc, selon Valls, une mini-dissolution de l’Assemblée nationale. Avec son souci habituel de calmer le jeu, le président Hollande s’est résigné, semble-t-il, à repousser l’application du non-cumul à la fin de son mandat, en risquant qu’un retour de la droite au pouvoir annule l’application de cette loi.

On comprend pourquoi, le 27 février, 39 députés socialistes publiaient dans Le Monde une tribune demandant au gouvernement de mettre en application le non-cumul des mandats dès les élections municipales de 2014. Mais 39 députés, élus obscurs pour la plupart, cela n’est pas beaucoup si l’on songe que le PS dispose aujourd’hui de 214 députés ! D’ailleurs, à la fin de 2012, ils étaient encore un peu plus de 200 députés socialistes cumulards. A leur tête, le sénateur-maire de Dijon, François Rebsamen, qui dénonce le « populisme » et la « démagogie » du projet de non-cumul.

A l’UMP, le député Daniel Fasquelle qui est aussi maire du Touquet, a constitué une association des parlementaires favorables au cumul des mandats. Il a déjà reçu l’adhésion d’une cinquantaine de parlementaires de droite. Il plaide : « Quand un député est aussi maire, il doit gérer un budget et du personnel, et c’est une formidable formation pour être un parlementaire efficace », affirme-t-il.

Des avantages financiers du cumul

Si un parlementaire touche un peu plus de 7.000 euros brut par mois, il reçoit aussi une indemnité de frais de mandat de 5.800 euros – exonérés de l’impôt sur le revenu – pour couvrir ses frais de déplacement, de loyer, de réception, etc. Avec des mandats locaux il peut atteindre un plafond de 9.730 euros mensuels. Pour un ministre cumulard, les règles changent car être ministre est une fonction et non un mandat. Le plafond atteint alors 21.000 euros. Mais, bien entendu, les parlementaires peuvent aussi percevoir des revenus du secteur privé. Certains d’entre eux sont avocats, tel François Copé qui fut accusé, d’ailleurs, d’avoir fait barrage à une proposition de loi susceptible de nuire aux intérêts de son cabinet d’avocat.

On n’oubliera pas non plus les avantages des retraites. Ainsi, selon le magazine Capital, Alain Juppé touche depuis 2003 sa retraite d’inspecteur général des Finances et a fait valoir, depuis 2007, ses droits à la retraite parlementaire. Le montant cumulé de ces deux retraites se montrait à 12.000 euros auxquels vient s’ajouter son traitement de maire de Bordeaux. Alain Juppé toucherait ainsi un revenu total de 20.000 euros.

Bien entendu, cette démonstration pourrait être faite aussi pour des élu de gauche.

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Après la jupe, le pagne.

Tout le monde n’a pas la chance, comme les catholiques du diocèse de Paris, d’avoir pour archevêque le cardinal Vingt-Trois. On sait qu’interrogé par Radio-Notre-Dame sur le rôle des femmes dans la célébration des offices, il s’était illustré, en novembre 2008, en répondant que « le plus difficile, c’est d’avoir des femmes formées. Le tout n’est pas d’avoir une jupe, c’est d’avoir quelque chose dans la tête. » Cette délicieuse boutade avait suscité la constitution d’un « Comité de la jupe » qui existe toujours aujourd’hui.

Poursuivant dans cette veine humoristique qui lui réussit si bien, notre cardinal, interrogé le 11 février sur l’éventuelle élection d’un pape africain, répondait : « Même si on avait un pape africain, je ne crois pas qu’il irait danser en pagne sur la place Navone », place la plus touristique de Rome.

Voilà qui va mettre une bonne ambiance quand, au conclave, notre cardinal va rencontrer ses onze collègues africains… A Rome, on avait longtemps résisté aux pressions du cardinal Lustiger qui, démissionnaire depuis l’automne 2001, voulait faire nommer son « poulain », André Vingt-Trois, à sa succession. Il n’obtint cette nomination de Jean-Paul II que le 11 février 2005, alors que le pape était hospitalisé depuis le 9 février et devait mourir deux mois plus tard. Du haut du ciel où il suit nos petites affaires humaines, Jean-Paul II doit se demander avec inquiétude jusqu’où ira sa dernière recrue.

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Chapeau, Benoît !

En annonçant sa décision de démissionner de sa charge pontificale, le 28 février prochain, Benoît XVI a su terminer en beauté une longue carrière. Sans doute, d’avoir assisté à la longue et tragique dégradation de son prédécesseur, Jean-Paul II, l’a-t-il dissuadé de prendre le même chemin. Il lui a fallu cependant transgresser le poids des traditions si fortes dans l’Église. Il ne s’est pas posé, comme Jean-Paul II, la question : à qui remettre ma décision ? S’est-il souvenu de sa hardiesse du temps de Vatican II où il était le théologien personnel du cardinal Frings ? Un temps où il envisageait une réforme du Saint-Office et aida le cardinal à préparer sa sensationnelle intervention dans l’assemblée conciliaire sur ce thème ? En 1969 encore, il figurait parmi les 35 théologiens signataires d’une déclaration pour le droit à la liberté de recherche dans l’Église avec, entre autres, Küng, Rahner et Schillebeeckx.

Mais les temps changent ; après avoir été pendant quatre ans cardinal-archevêque de Münich, il devint en novembre 1981 Préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi. Ce sont ces 23 années que je voudrais rappeler, celles durant lesquelles il se révéla comme un nouveau grand inquisiteur.

Si l’on examine les documents émanant de cette congrégation et donc signés par Ratzinger, on trouve, dans les premières années (1982-1983) des réponses à des questions diverses, d’une importance inégale. Ainsi, la congrégation se prononce sur la communion de prêtres alcooliques (1982), évoque la réception, en mai 1983, de l’abbé Georges de Nantes, malgré ses accusations offensantes contre Paul VI et Jean-Paul II, par Mgr Hamer, secrétaire de la congrégation ; elle maintient l’incompatibilité entre l’appartenance à l’Église catholique et à la Franc-Maçonnerie (novembre 1983) et se prononce sur la traduction du « Carnis resurrectionem » dans le Symbole des apôtres.

Des prêtres et de l’Eucharistie

Dès août 1983, la question du ministère de l’Eucharistie préoccupait Ratzinger et la congrégation. Dans une lettre intitulée Sacerdotium Ministeriale, adressée à tous les évêques de l’Église catholique, Ratzinger mettait en garde contre des opinions erronées selon lesquelles les communautés privées longtemps de l’Eucharistie faute de prêtres pourraient désigner un président qui consacrerait l’Eucharistie. Ces idées étaient contraires à la doctrine traditionnelle de l’Église. Mais que répondre à ces catholiques ? La lettre tentait de les réconforter par les propos suivants : « Si, animés profondément par le désir du sacrement et unis dans la prière avec toute l’Église, ils invoquent le Seigneur et élèvent vers lui leurs cœurs, par la force de l’Esprit Saint ils vivent en communion avec l’Église, Corps vivant du Christ, et avec le Seigneur lui-même. Grâce au désir du sacrement en union avec l’Église, pour autant qu’ils soient loin extérieurement, ils sont intimement et réellement unis à elle et par conséquent reçoivent les fruits du sacrement. » Propos peu convaincants si l’on songe à l’insistance de l’Église sur la pratique sacramentelle.

La théorie erronée visée par Ratzinger était celle-là même que soutenait le grand théologien hollandais, Edward Schillebeeckx, un confrère de Ratzinger au Concile. Dans son ouvrage Le Ministère de l’Église (1981), le dominicain hollandais estimait établi « une possibilité dogmatique » d’un « ministère extraordinaire » permettant à des communautés sans prêtres de choisir en leur sein un président qui pourrait consacrer l’Eucharistie sans avoir reçu l’ordination sacramentelle. Dès le 13 juin 1984, Ratzinger écrivait à Schillebeeckx pour dénoncer ces théories et lui demander d’adhérer à l’enseignement de la Lettre Sacerdotium Ministeriale. On voit la manoeuvre : d’abord un texte qui condamne des « erreurs » sans viser personne et, dix mois plus tard, une mise en demeure contre le théologien coupable. Ratzinger ne vint pas à bout de la résistance du dominicain. L’affaire aboutit, en septembre 1986, à une « Notification » précisant que le professeur Schillebeeckx demeurait « en désaccord avec l’enseignement de l’Église sur des points importants. »

Contre les théologies de la libération (1984-1986)

C’est en août 1984 que Ratzinger commença son offensive contre la théologie dite de la libération avec une très longue Instruction, Libertatis nuntius, sur quelques aspects de la théologie de la libération. Il s’agissait d’attirer l’attention des pasteurs comme des fidèles sur les déviations et les risques « ruineux pour la foi » de certaines formes de cette théologie recourant à des concepts empruntés à la pensée marxiste. Le document reconnaissait que l’aspiration à la libération rejoignait un thème fondamental dans l’Ancien et le Nouveau Testament. Cependant, il ne fallait pas localiser « le mal principalement et uniquement dans les « structures » économiques, sociales ou politiques mauvaises. » L’instruction concluait au nécessaire redressement théologique par la mise en valeur de l’enseignement social de l’Église.

En mars 1985, une Notification visait le livre Église : charisme et pouvoir, du brésilien Leonardo Boff. Certaines options de ce livre s’avéraient « insoutenables » : une conception relativisante de l’Église, un même relativisme pour les dogmes et la dénonciation de l’exercice hégémonique du pouvoir sacré. C’était « mettre en péril la saine doctrine de la foi. » Un an plus tard, une nouvelle Instruction, Libertatis conscientia, sur la liberté chrétienne et la libération, appelait à l’élaboration d’une théologie qui ne serait pas détournée vers un projet de libération purement terrestre.

En condamnant la théologie de la libération et un de ses principaux théologiens, Rome s’attaquait à tout le mouvement de rénovation de l’Église en Amérique latine ; en même temps, Rome remplaça peu à peu les évêques qui avaient soutenu, sinon cette théologie, du moins les « communautés de base », par des conservateurs bornés ; ainsi, Mgr Helder Camara vit son successeur, à partir de 1985, détruire toute son oeuvre. On ne s’étonnera donc pas que l’Église catholique soit aujourd’hui en perte de vitesse sur le sous-continent tandis que les églises évangéliques connaissent un succès foudroyant et inquiétant.

La morale sexuelle toujours sous surveillance

Avec Ratzinger, la congrégation pour la doctrine de la foi continua de produire des mises en garde concernant les questions sexuelles. Première victime, le grand moraliste américain Charles Curran qui recevait en juillet 1986 une lettre du cardinal Ratzinger. Curran, dès la publication de l’encyclique Humanae vitae (1968), avait dit publiquement son désaccord qui, finalement, s’étendit à tous les sujets : indissolubilité du mariage consommé, avortement, euthanasie, masturbation, contraception artificielle, relations pré-conjugales, actes homosexuels. A Charles Curran qui y voyait un « désaccord responsable », Ratzinger répondit dans sa lettre de 1986 que ces positions ne pouvaient être permises par l’Église et, en conséquence, qu’il lui était désormais interdit d’exercer la fonction de professeur de théologie catholique.

En octobre 1986, Ratzinger publiait une Lettre sur la pastorale à l’égard des personnes homosexuelles qui estimait que la déclaration Persona Humana (décembre 1975) de la même congrégation avait donné lieu à de interprétations « excessives » et « bienveillantes » en distinguant entre la tendance homosexuels et les actes homosexuels. « Bien qu’elle ne soit pas en elle-même un péché, l’inclinaison particulière de la personne homosexuelle constitue néanmoins une tendance, plus ou moins forte, vers un comportement intrinsèquement mauvais. » Il en résultait que « bien qu’elle ne soit pas en elle-même un péché », cette inclinaison devait être « considérée comme objectivement désordonnée. »

En juillet 1992, des Observations étaient publiées au sujet des propositions de loi sur la non-discrimination des personnes homosexuelles. Se référant à la Lettre de 1986, Ratzinger y affirmait : « Les personnes homosexuelles, en tant que personnes humaines, ont les mêmes droits que toutes les personnes, y compris le droit de ne pas être traitées d’une manière qui porte atteinte à leur dignité personnelle. Entre autres droits, toute personne a le droit au travail, au logement, etc. Néanmoins, ces droits ne sont pas absolus. Ils peuvent être légitimement limités en raison d’un comportement externe objectivement désordonné. Ceci est parfois non seulement licite mais obligatoire. »Heureusement que nous vivons sous le régime de la séparation de l’Église et de l’État !

Ce n’est pas tout. L’Instruction Donum vitae condamnait en février 1987 la fécondation artificielle, même homologue (entre époux) et toute expérimentation sur les embryons. Plus tard, il renouvelait l’interdiction d’accès à l’Eucharistie pour les divorcés-remariés.

Les théologiens sous surveillance

Dès 1988, une profession de foi et un serment de fidélité étaient exigés des fidèles qui auraient une fonction à exercer au nom de l’Église. La nouveauté du document – qui fut très commentée par les théologiens – fut l’introduction d’un paragraphe demandant une adhésion à des vérités que l’Église propose « de façon définitive » bien qu’elles ne relèvent pas de la Révélation. (Pour plus de précisions, on consultera Jean-François Chiron, L’autorité du magistère infaillible s’étend-elle aux vérités non révélées ? Cerf, 1999).

La mise au pas des théologiens catholiques était en marche. Elle se concrétisa avec l’Instruction Donum veritatis (juin 1990) sur la vocation ecclésiale du théologien. Le cas de divergence entre le magistère et le théologien est longuement abordé et Ratzinger écrit : « Même si la doctrine de foi ne lui apparaît pas être en cause, le théologien ne présentera pas ses opinions ou ses hypothèses divergentes comme s’il s’agissait de conclusions indiscutables. Cette discrétion est commandée par le respect de la vérité ainsi que par le respect du Peuple de Dieu (cf. Rm 14, 1-15; 1 Co 8; 10, 23-33). Pour les mêmes raisons, il renoncera à leur expression publique intempestive. » Le théologien s’adressera à ses supérieurs mais il évitera, bien sûr, de recourir aux médias ! Il est appelé à « souffrir dans le silence et la prière. » Après quoi, on ne s’étonnera pas d’une série de Notifications mettant en garde contre des théologiens, principalement asiatiques. La plus grave sanction fut l’excommunication du Sri-lankais Tissa Balasuriya, en janvier 1997, pour son livre Marie ou la libération humaine. Mais une mise en garde visa aussi le jésuite indien Antony de Mello auquel on reprocha de considérer le Christ comme un maître parmi d’autres. En janvier 2001, ce fut le tour du jésuite Jacques Dupuy visé pour son livre Vers une théologie chrétienne du pluralisme religieux. Retenons au moins ce passage de la Notification : « Il est contraire à la foi catholique de considérer les diverses religions du monde comme des voies complémentaires à l’Église pour ce qui est du salut. » Désormais, les théologiens n’ont plus qu’à s’aligner sur Rome ou se taire.

Dominus Jesus (septembre 2000)

Enfin, la déclaration Dominus Jesus fut un document particulièrement important et grave puisqu’il fermait la voie à une théologie des religions. On relève, par exemple, l’affirmation suivante : « Il serait clairement contraire à la foi catholique de considérer l’Église comme un chemin de salut parmi d’autres. Les autres religions seraient complémentaires à l’Église, lui seraient même substantiellement équivalentes, bien que convergeant avec elle vers le Royaume eschatologique de Dieu. » Et de réaffirmer la médiation unique et universelle de Jésus.

On comprendra que Ratzinger ait été appelé le « panzer-cardinal ». Puisqu’aujourd’hui, on ne parlera plus que du pontificat de Benoît XVI, il n’était sans doute pas inutile de rappeler la « carrière » de celui qui fut le Préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi.

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Un homme politique français bientôt béatifié ?

Mgr Raffin, évêque de Metz, a annoncé, le 29 mai 2004, que le procès diocésain de Robert Schuman était achevé et que le dossier avait été transféré à Rome auprès de la Congrégation pour la Cause des saints.

On savait que le Lorrain Robert Schuman (1886-1963) avait été un catholique fervent, mais rappelons que la béatification suppose la pratique « héroïque » des trois vertus théologales (foi, espérance et charité) et des quatre vertus cardinalices (prudence, justice, force et tempérance). Pour un homme qui a eu une longue vie politique (député de Lorraine pendant 34 ans) et surtout de hautes responsabilités nationales, de 1946 à 1956, on peut se demander, comme le fait Mgr Raffin, s’il a « privilégié la venue du Royaume à travers la gestion des tâches temporelles au moment des choix les plus décisifs. » Cette description rapide de l’itinéraire de Robert Schuman permettra à chacun de se faire une idée.

Robert Schuman qui était avocat entra en politique, au lendemain de la guerre, à la demande de l’évêque de Metz pour « défendre les intérêts des catholiques lorrains au sein d’une République réputée anticléricale ». Il fut donc élu député en 1919 et travailla activement à l’adoption du fameux statut juridique de l’Alsace-Moselle qui a préservé, au sein d’une République laïque, ayant séparé l’Église et l’État, un régime concordataire toujours en vigueur aujourd’hui ! Grâce à ce statut, les prêtres, tout comme les pasteurs et les rabbins, sont traités comme des fonctionnaires rémunérés. La religion est enseignée à l’école primaire et au collège ; les deux universités de Strasbourg et de Metz comportent chacune un département de théologie. Depuis 1919, rien n’a bougé. En avril 2012, le candidat François Hollande a bien précisé qu’il ne remettrait pas en cause le régime concordataire. On comprend que l’Église ait de la reconnaissance pour Robert Schuman, même si son rôle dans l’élaboration de ce concordat soit souvent tu.

Dans l’entre-deux-guerres, Robert Schuman apparaît comme un homme du centre-droit qui s’oppose au Cartel des Gauches, jugé anticlérical. En septembre 1938, il approuve les accords de Munich et, en juillet 1940, vote les pleins pouvoirs à Pétain. Faut-il lui reprocher d’avoir manqué de lucidité ? Tant d’autres ont fait comme lui. En tout cas, cela démontre que d’aller à la messe tous les matins et de recevoir l’Eucharistie n’empêchent pas des erreurs lourdes de conséquences pour ses frères. Mais on lui sera gré d’avoir refusé d’entrer dans le gouvernement de Pétain et de coopérer en Moselle avec les Allemands. Emprisonné ensuite, il s’évade en août 1942 et mène une vie clandestine dans des couvents où il prie et médite mais reste à l’écart de la Résistance.

Le « père de l’Europe »

Dans un article publié dans la revue dominicaine Lumière et Vie d’avril juin 2012, Mgr Raffin se contente d’énumérer les responsabilités ministérielles de Robert Schuman, devenu un des leaders du MRP (le « Mouvement des Révérends Pères », selon Le Canard Enchaîné). Car pour l’évêque de Metz, ne compte que le rôle de Schuman dans les débuts de la construction européenne. Et, certes, la fameuse déclaration de Schuman, comme ministre des Affaires étrangères, le 9 mai 1950, est une initiative majeure, presque révolutionnaire, qui déboucha, en 1952, sur la Communauté du charbon et de l’acier (CECA) et enclencha le processus européen. Décision très politique, me direz-vous : quel rapport avec la béatification ? La question trouve sa réponse sous la plume de l’évêque de Metz : l’Église était et reste très attachée à ce projet européen que Pie XII soutenait. Mgr Raffin nous indique d’ailleurs que le procès diocésain a été, au départ, souhaité par l’Institut Saint-Benoît, patron de l’Europe, regroupant des amis et anciens collaborateurs de Schuman, Allemands comme Français.

A travers Robert Schuman, la béatification qui se prépare est donc celle de l’Europe ! On sait pourtant que la béatification – qui est tout de même celle d’un homme – suppose, non point seulement de la piété et une vie personnelle exemplaire, mais des vertus « héroïques ». Il faudra donc bien, au cours de son procès à Rome, que l’on démontre que les choix et décisions politiques de Robert Schuman ne sont pas entachée de défaillances.

Questions sur les responsabilités d’un homme d’État

Mes interrogations portent donc sur la période 1947-1956 durant laquelle Robert Schuman eut des fonctions nationales. Il fut d’abord ministre des Finances de juin 1946 à novembre 1947 et déclara à ce sujet : « Les finances sont insensibles à toute idéologie, à toute rêverie, dans le budget d’un État comme d’une famille. » Rome se satisfera sans doute d’une telle conception, mais nombre d’économistes récuseront cette comparaison entre la gestion du budget d’un État et celle du budget d’un père de famille ! Gestion, en tout cas, typiquement conservatrice.

Voici ensuite notre Lorrain président du Conseil de novembre 1947 à la fin de juillet 1948. Il est confronté à des grèves insurrectionnelles orchestrées par le Parti communiste. Certes, depuis leur expulsion du gouvernement en mars 1947, les communistes soufflent sur le feu et, en novembre 1947, Jacques Duclos n’hésite pas à accueillir Schuman à l’Assemblée nationale par cette infâme apostrophe : « Voilà le Boche ! ». Mais on oublie trop vite la très grande misère ouvrière (les cartes de rationnement alimentaires existent jusqu’en 1949) et l’effort demandé à la classe ouvrière pour reconstruire la France fut immense. Le PC ne retient plus les explosions populaires comme il le faisait quand il participait au pouvoir, mais ces grèves partaient de « la base » et exprimaient une frustration réelle. Ministre de l’Intérieur, le socialiste Jules Moch mobilisa non seulement les CRS mais des troupes pour étouffer le mouvement. Robert Schuman n’eut, semble-t-il, pas d’état d’âme pour les grévistes licenciés qui ne parvinrent pas à retrouver du travail ailleurs.

Les questions coloniales

La question se pose encore plus pour la répression terrible de l’insurrection malgache qui éclata en mars 1947 et se poursuivit jusqu’en été 1948. Si le président du Conseil, en mars 1947, était Paul Ramadier, Robert Schuman lui succède dès novembre. Or, la répression par les troupes françaises fut massive et aveugle, dirigée contre l’ensemble de la population malgache, femmes et enfants inclus. On utilisa même la technique consistant à jeter des suspects vivants d’un avion pour terroriser la la population villageoise. Difficile d’avancer un bilan : il varie entre 11.000 et 80.000 morts. Si cette sinistre affaire fut à peu près ignorée des Français, le président du Conseil était le premier informé et, à ce titre, le premier responsable.

Pourtant, c’est au poste de ministre des Affaires étrangères que Robert Schuman resta le plus longtemps, de fin juillet 1948 à début janvier 1953. Durant toute cette période, la question coloniale est très présente mais, nous disent les historiens, Schuman s’y intéresse peu et la connaît mal parce qu’il concentre son attention sur l’Europe. On ne peut que s’interroger sur son action concernant la guerre que la France mène en Indochine. Cependant, son action en Afrique du Nord, du moins pour les deux protectorats du Maroc et de la Tunisie, est mieux connue. Au sein du MRP, il se heurte à l’hostilité déclarée de Georges Bidault, partisan de la manière forte et, en comparaison, apparaît nettement comme un modéré. Ainsi, le 10 juin 1950, il donne pour mission à Louis Périllier, qui vient d’être nommé résident général de France en Tunisie, la mission de « conduire la Tunisie vers le plein développement de ses ressources et et vers l’indépendance qui est l’ultime objectif de tous les territoires de l’Union française. » Otage des Français de Tunisie, des milieux de droite et du centre, Georges Bidault, alors président du Conseil, désavoua les propos de Robert Schuman ; plus tard, ce dernier fut attaqué à l’Assemblée nationale pour avoir semé le désordre et le sang en Tunisie.

Au Maroc, le maréchal Juin, résident général de 1947 à 1951, avait les mains libres. Son successeur – désigné par Juin ! – réprima dans le sang la manifestation du 7 décembre 1952 et, le 9, les chars français tirèrent sur la foule. Aux dizaines de morts s’ajoutèrent des centaines d’arrestations. Mais, en janvier 1953, Georges Bidault succédait à Robert Schuman. Reste la dernière fonction ministérielle de notre Lorrain, celle de Garde des Sceaux, ministre de l’Intérieur du 23 février 1955 au 1er février 1956 alors que sévit la guerre d’Algérie. Trop tôt sans doute pour être confronté comme son successeur, François Mitterrand, à des décisions dramatiques.

Ceux qui ont mené le « procès de béatification » à Metz ont-ils examiné de près cette longue carrière politique ? Se sont-ils entouré d’historiens pour une telle évaluation ? Ont-ils répondu positivement à la question de Mgr Raffin : Robert Schuman a-t-il privilégié la venue du Royaume à travers la gestion des tâches temporelles ? Et puisque cette période de la IVe République a été particulièrement agitée, comment échapper aux jugements idéologiques pour se prononcer ?

Je crains que l’on se fonde sur quatre caractéristiques pour trancher : une vie personnelle pieuse et irréprochable, l’appartenance à un parti de démocratie chrétienne (le MRP), un zèle peu commun à appliquer les consignes venues de Rome, et surtout une action exemplaire en faveur de l’Europe. A chacun d’évaluer si ces mérites sont suffisants ou s’il s’y mêle beaucoup – et trop – d’idéologie.

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L’intervention militaire française au Mali

Ce n’est pas un petit événement que l’engagement des forces françaises au Mali. Après avoir quitté l’Afghanistan, voici que la France se retrouve sur un terrain mieux connu, celui d’une ancienne de « nos » colonies. Le monde applaudit tout en restant spectateur : et si l’on s’enlisait dans le désert ?

Je reproduis ci-dessous le communiqué d’une association courageuse, Survie, qui, depuis 1984, dénonce la politique néo-coloniale en Afrique, la « Françafrique », selon l’expression de son fondateur Xavier Verschave, le business français avec les dirigeants africains au détriment des droits de l’Homme et du développement des populations :

 La France intervient au Mali et réaffirme son rôle de gendarme en Afrique

Communiqué, le 14 janvier 2013

C’est finalement le 10 janvier 2013 que la France est entrée en guerre au Mali. La communication du gouvernement français, reprise sans questionnement par les principaux médias, tend aujourd’hui à légitimer par tous les moyens et tous les arguments cette nouvelle intervention militaire française sur le sol africain et son rôle de « gendarme de l’Afrique ». Pour Survie, association qui dénonce depuis longtemps l’ingérence et la domination de la France envers ses anciennes colonies africaines, il est important de rappeler quelques éléments de contexte et d’analyse critique sur cette intervention française, sans minimiser l’ampleur de la crise que connait le Mali.

La menace que font peser ces groupes armés sur la population et l’intégrité du Mali est indéniable. Leurs exactions sont connues et ont provoqué la fuite de centaines de milliers de personnes. Après le calvaire vécu par les populations dans le Nord, le soulagement des Maliens en ce moment est compréhensible. Si l’intervention française semble effectivement avoir mis un coup d’arrêt à l’offensive vers le sud du pays de mouvements armés qui se revendiquent d’un islam radical, il existe cependant d’autres motifs, militaires et politiques, à l’opération Serval rendant la conduite française des opérations critiquable.

Le camouflage multilatéral d’une opération française

Cette intervention ne s’inscrit pas dans le cadre des résolutions de l’ONU. Des mois de négociations ont permis de faire voter trois résolutions du Conseil de Sécurité, ouvrant la voie à une intervention internationale sous responsabilité africaine et pouvant faire usage de la force, mais officiellement sans implication directe des militaires français. En informant simplement le Conseil de Sécurité sur le fait que son intervention urgente « s’inscrit dans le cadre de la légalité internationale » eu égard aux dispositions de la Charte de l’ONU, elle a finalement pu justifier une décision bilatérale. Ce changement majeur, qui met ses « partenaires »devant le fait accompli, est complaisamment occulté afin de laisser à nouveau croire que la France met en œuvre une volonté multilatérale actée au sein de l’ONU. Il est donc nécessaire qu’elle respecte au plus vite les résolutions de l’ONU.

Une fois de plus, la France joue le rôle de gendarme de l’Afrique, en appuyant sa stratégie sur ses relations bilatérales avec des « régimes amis » africains, sur la présence permanente de son armée dans la région et sur sa capacité de projection de forces. Ainsi, les hélicoptères utilisés pour stopper l’offensive adverse sont ceux des forces spéciales françaises de l’opération Sabre, présentes au Burkina Faso voisin (et en Mauritanie) depuis deux ans et renforcées au mois de septembre. C’est surtout le dispositif Epervier, en place au Tchad depuis 1986 alors qu’il était supposé provisoire, qui est mobilisé. À travers l’opération baptisée Serval, ce sont donc les liens que Paris entretient avec des régimes totalement infréquentables, ceux d’Idriss Déby et de Blaise Compaoré, qui se trouvent une nouvelle fois renforcés. Le rôle phare de la France est reconnu par la plupart de ses partenaires occidentaux qui lui emboitent le pas timidement dans cette intervention (Royaume-Uni, Etats-Unis, Allemagne) sans pour autant engager de troupes combattantes, tandis que d’autres restent en retrait.

Une intervention directe décidée dans l’ombre

Ce scénario rentre dans la logique développée par le nouvel exécutif français, prônant l’intervention militaire comme un « préalable » à la restauration de la paix dans le pays (également en proie à une crise institutionnelle grave). Ces derniers mois, la France n’avait en rien contribué à l’émergence d’une solution collective discutée par l’ensemble des Maliens et de nature à favoriser un consensus politique, préalable à une réorganisation rapide des forces de sécurité. Aujourd’hui, la présence de soldats français jusque dans Bamako – sous couvert de protection des ressortissants – représente une pression importante sur les autorités maliennes en état de grande faiblesse.

L’option d’une intervention directe et rapide des forces françaises était déjà prévue, au vu de la rapidité de mise en œuvre, et ce bien avant que l’offensive ne se rapproche de Sévaré-Mopti. L’aval du Parlement n’est pas nécessaire à l’Élysée pour déclencher une opération extérieure, ce qui marque l’insuffisance de la modification constitutionnelle de juillet 2008 relative au contrôle parlementaire des opérations extérieures. De rares réactions critiques dans la classe politique soulignent cette absence de concertation. La nature préméditée de cette intervention armée aurait indiscutablement dû susciter une prise de décision parlementaire.

Dans l’immédiat, l’opération Serval a déjà basculé dans une phase offensive et semble devoir se prolonger dans la durée. Cette logique occulte délibérément les risques pour la population malienne et les Etats de la région, de même que les perspectives politiques et la période post-conflit. Le bilan accablant des récents antécédents français en Afrique montre pourtant que ces risques sont bien réels. Les interventions de 2011 en Côte d’Ivoire et en Libye ont en effet débouché sur des situations internes explosives, passées sous silence.

En conclusion, la crise malienne et cette nouvelle intervention militaire française en Afrique révèlent l’échec de 50 années de « coopération » avec l’Afrique : armées incapables de protéger leurs populations, chefs d’Etat médiateurs de crises eux-mêmes putschistes, accords de défense et bases militaires qui ont perpétué le rôle de gendarme de l’Afrique que la France s’est historiquement octroyé. On ne peut que constater l’incapacité des institutions africaines et multilatérales à organiser la moindre opération de sécurisation dans la région sans avoir recours au poids lourd français, qui a tout fait pour se rendre incontournable. Ces événements appellent une fois de plus à une remise en cause de l’ensemble du cadre des relations franco-africaines. »

Association Survie

107, boulevard de Magenta. 75010 Paris, http://survie.org

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Des chrétiens homosexuels

 

Nos bons évêques français sont sur le pied de guerre. Pensez donc, le gouvernement veut faire adopter une loi légalisant le mariage gay ! On veut bien avoir quelque compassion pour les malheureux homosexuels que l’Église condamne d’ailleurs à la continence absolue mais imaginer qu’ils puissent vivre en couple et « passer devant M. le maire », c’est trop ! Je ne me prononcerai pas sur ce qu’on appelle vulgairement, et trop légèrement à mon avis, le « mariage pour tous ». Je voudrais seulement rappeler une évidence : les évêques prétendent s’exprimer au nom de tous les catholiques sans leur avoir demandé leur avis et sans tenir compte d’un fait irréfutable : il y a des homosexuels qui se revendiquent chrétiens, et même catholiques, et qui attendent d’être pris en considération par l’Église. Cette question ad intra est, comme le remarquait tout récemment l’historien et universitaire, Anthony Favier, dans Golias Magazine, un grand défi.

Il se trouve qu’il y a un peu plus de trente ans déjà, un religieux salésien, Xavier Thévenot, a soutenu sa thèse de théologie à partir d’une enquête menée en 1976 sur 350 homosexuels chrétiens. 95,5 % étaient catholiques, et 67 d’entre eux (soit 19 %) étaient des prêtres, religieux, pasteurs ou séminaristes. Dirigée par le grand théologien moraliste René Simon, professeur à l’Institut catholique de Paris, cette thèse est consultable à la « Catho de Paris », comme on dit, et ses principaux résultats ont été rassemblés dans un livre qui a été très remarqué, Homosexualités masculine et morale chrétienne (Cerf, 1985). Il m’a paru instructif, en plein débat sur le mariage gay, de revenir sur cette enquête.

La foi des homosexuels chrétiens en 1976

L’ouvrage ne reprend pas le plan de la thèse, ce qu’on peut comprendre, mais plus curieusement, on constate que des questions portant sur la foi chrétienne des homosexuels ont disparu du livre. Pourtant, dans sa thèse, le P. Thévenot commence, aux pages 26 à 31, par donner les résultats à des questions sur l’importance de la foi, l’intensité de la pratique religieuse (participation à la messe, confession). On apprend ainsi que leur tendance sexuelle n’a pas éloigné les homosexuels de la pratique religieuse : 56 % déclaraient que la foi chrétienne avaient « beaucoup d’importance dans leur vie actuelle » et 30 % « de l’importance » ; seulement 14 % répondaient qu’elle en avait « peu ».

48 % assistaient régulièrement à la messe et 32 % se confessaient plusieurs fois par an (Rappelons que l’enquête date de 1976 et qu’aujourd’hui les chiffres de la pratique auraient évidemment beaucoup diminué).). De surcroît, l’appartenance à un groupe de chrétiens homosexuels (à l’époque le mouvement Arcadie ou Christianisme et Homophilie devenu David et Jonathan) contribuait à augmenter leur pratique religieuse : 59,5 % d’entre eux assistaient à la messe hebdomadaire contre 40 % pour les autres. Le P. Thévenot en conclut donc que les homosexuels de son enquête sont « des chrétiens à part entière, du seul point de vue extérieur où nous nous plaçons » » ; affirmation qui n’apparaît plus dans le livre tandis qu’il y souligne que 35 % de ceux qui avaient un engagement dans l’Église l’ont abandonné à cause de leur homosexualité.

Des chrétiens à part mais peu complexés

D’autres questions permettent aussi d’approcher la mentalité de ces homosexuels. 95 % estiment que leurs actes ne sont pas contre nature ; 70 % jugent que l’homosexualité pratiquée peut être une voie d’épanouissement égale à celle de l’hétérosexualité. Enfin, seuls 10 % estiment que leurs actes homosexuels sont des péchés. Quel désaveu de la doctrine catholique traditionnelle !

L’ouvrage reprend deux tableaux. Le premier (p. 32 en note) présente les réponses à la question : « Actuellement, et globalement, j’estime que ma condition d’homosexuel :

– a contribué à me rapprocher de Dieu…………………………………..39 %

– a contribué à m’éloigner de Dieu………………………………………..14 %

– a été indifférente pour la qualité de ma relation à Dieu………….26 %

– je ne peux pas me prononcer……………………………………………..18 %

Un peu plus loin dans le livre (p. 88), « Quel est pour vous l’idéal de la vie affective que vous visez ? » Seuls 4 % disent rechercher une amitié unisexuée et continente, comme le magistère catholique le demande. Mais 34 % seulement ont pour idéal de vivre en couple avec un ami sans avoir d’actes sexuels avec d’autres. Par ailleurs, 23 % recherchent un « amour homophile profond, s’exprimant parfois charnellement, mais sans vie commune ». Le P. Thévenot souligne avec raison le poids de la société comme obstacle à la vie en couple et l’on peut se demander si là n’est pas le grand changement en ce début du XXIe siècle. Je relève d’ailleurs que, dans le document publié par les évêques français à la fin de septembre dernier pour s’opposer au mariage des homosexuels, ils reconnaissent que l’aspiration à vivre une relation affective stable se rencontre aujourd’hui beaucoup plus fréquemment que par le passé.

Reste, tout de même, 17 % dont l’idéal est de « vivre en couple avec un ami tout en ayant parfois des actes sexuels avec d’autres partenaires. » Dans son livre, Thévenot insiste dès le début sur le phénomène de la « drague » et l’infidélité fréquente au sein même des couples homosexuels ; il évoque « les passages à l’acte trop dégradants, pas assez chargés d’affection, respectant trop peu l’autre » (p. 57). S’il reconnaît plus loin que « des liaisons homosexuelles, même très limitées, ont permis à certains de grandir en humanité et dans la foi », il ajoute au paragraphe suivant que « le plus souvent l’observateur prend vite conscience des carences qui marquent ces liaisons, carences que le milieu homosexuel cherche parfois à camoufler (p. 74-75). On se demande si une observation aussi vigilante des hétérosexuels n’aurait pas révélé, elle aussi, de sérieuses carences…

Xavier Thévenot se penche sur la morale de l’amour mise en avant par les homosexuels et rappelle qu’en 1978, lors du congrès de Nantes du mouvement devenu aujourd’hui David et Jonathan, le thème de réflexion était : « Il n’y a pas de morale, hormis celle de l’amour ». Les homosexuels auraient-ils donc, comme certains d’entre eux l’affirment, une autre conception de l’amour que les hétérosexuels ? Encore faudrait-il comparer les comportements des uns et des autres car il n’est pas sûr que les règles du mariage monogame soient si bien respectées, surtout par les maris.

Dans le livre de Thévenot, l’abord de l’homosexualité est souvent négative et s’appuie volontiers sur la psychanalyse pour disqualifier l’homosexualité : « immaturité psychologique des amours homosexuels », sexualité prégénitale, sexualité « inachevée », etc. Il évoque aussi la Bible et les Pères de l’Église qui condamnent l’homosexualité et dénonce l’utilisation, fréquente dans le milieu homosexuel, des « repères éthiques du christianisme sur le mode pervers. » Ainsi, l’aphorisme de saint Augustin, « Aime et fais ce que tu veux ».

Persona humana (29 décembre 1975)

Dernier texte du magistère, Persona humana est un document de la congrégation pour la doctrine de la foi (ex-Saint Office) que Xavier Thévenot commente longuement. Ce document condamne l’homosexualité tout comme la masturbation et les relations pré-conjugales ! Notre auteur ne signale pas ces deux autres condamnations du document romain qui auraient pourtant permis, peut-être, de relativiser la gravité de l’homosexualité. Au moment de sa publication, Persona humana avait d’ailleurs suscité plus de railleries que de profondes réflexions. Cependant, le directeur de thèse de Thévenot, le P. René Simon, avait eu l’audace de publier dans La Croix, au début de février 1976, une critique virulente du texte romain. Mais comment un doctorant en théologie aurait-il pu, en traitant de l’homosexualité, ne pas prendre au sérieux un document provenant d’une congrégation romaine ?

Persona humana est donc cité à plusieurs reprises. Un passage semble régler définitivement la question homosexuelle : « Nulle méthode pastorale ne peut être employée qui, parce que ces actes seraient estimés conformes à la condition de ces personnes, leur accorderait une justification morale. » Xavier Thévenot ose cependant formuler quelques critiques : ce texte doctrinal est coupé de toute réflexion pratique. Il avait d’ailleurs, en exergue, citer un texte de saint Thomas d’Aquin : « Dans le domaine de la morale il faut partir comme d’un principe de ce qui est. On doit donc interroger l’expérience et la coutume. » Deuxième critique, tout aussi fondamentale : Persona humana témoigne encore de la méfiance séculaire de l’Église par rapport à l’érotisme. Et de rappeler que « la fonction plaisir est une des fonctions les plus importantes de la sexualité » (p. 259). Thévenot souligne ainsi une carence essentielle de la morale sexuelle catholique. On me permettra de commenter brièvement ce point avec ma longue fréquentation de la littérature catholique du XXe siècle : certes, le plaisir n’est pas interdit par l’Église mais il inquiète par ses débordements possibles ; il doit donc être maîtrisé (le mot et le verbe reviennent souvent) et contenu dans de « saines » limites. 

Reprenons la lecture de notre ouvrage. Parce que Persona humana se situe dans la ligne de la Tradition catholique, Xavier Thévenot s’incline : « l’homosexualité est une forme a-normative de sexualité » ; affirmation qu’il répète deux fois tout en cherchant à la nuancer. Car la préoccupation de notre auteur est pastorale et qu’on ne saurait sous-estimer son « ouverture » novatrice au sein du monde clérical français. Pourtant, quand on lit son ouvrage à trente ans de distance, on a le sentiment d’un décalage avec la société que nous connaissons. Si Thévenot était encore vivant écrirait-il que le couple homosexuel ne peut être LA « solution » ? En effet, nous dit-il, « dans la mesure où le couple homosexuel met en oeuvre une dénégation de la différence sexuelle, dans cette mesure (italiques dans le texte) les personnes ressentent, après quelques temps, un malaise psychologique assez important » (p. 293). Thévenot est prudent : il rend compte de la diversité des situations et admet – ô scandale pour le magistère romain – que « des sujets », dans « telle période de leur vie », puisse vivre au moins provisoirement une relation de couple.

Xavier Thévenot a ainsi ouvert une voie. Il est temps que d’autres théologiens moralistes catholiques prennent le relais en partant, comme le dit saint Thomas, de l’expérience et de ce qui est.

Désormais, je publierai un article toutes les deux semaines 

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Guerre de mémoire autour de notre passé colonial

«Pendant 132 ans, l’Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal. Ce système a un nom : c’est la colonisation. Je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien. » Par ces mots prononcés à Alger, le président Hollande entendait solder la dette de la France envers le peuple algérien. Paroles timides, vraiment, mais on sait que toute une partie de l’opinion française refuse toujours de regarder notre passé colonial en face. Un tout récent sondage montrait que 35 % des Français étaient hostiles à des excuses présentées à l’Algérie contre 13% de favorables.

Hollande a-t-il été plus loin que Nicolas Sarkozy qui, le 4 décembre 2007, à Constantine, avait déclaré : « Le système colonial était injuste par nature et il ne pouvait être vécu autrement que comme une entreprise d’asservissement et d’exploitation » ?

Fait positif pourtant, à l’actif du Président Hollande, la reconnaissance, à l’automne dernier de la « sanglante répression » des « Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance« , le 17 octobre 1961. « La République reconnaît avec lucidité ces faits, précise le communiqué présidentiel. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes. »Or la droite dénonça cette reconnaissance et l’ancien premier ministre, François Fillon, regretta la « culpabilité permanente » dans une France « en dépression nerveuse quasi permanente ». Le 20 octobre, Christian Estrosi, le député-maire de Nice, terminait un discours devant des anciens combattants et des harkis par un : « Vive l’Algérie française ! » Quant à Gérard Longuet, au passé d’extrême droite bien connu, l’idée même d’une repentance suscita un geste obscène de sa part sur une chaîne de télévision ; bras d’honneur qui fut ensuite imité par Gilbert Collard, député du Front national.

Les défenseurs du colonialisme français

Ils restent très nombreux aujourd’hui encore. Anciens militaires de carrière et certains anciens combattants d’Algérie entretiennent une nostalgie de « l’Algérie française », pieds-noirs rentrés en « métropole » particulièrement nombreux dans le Sud-Est où ils entretiennent un climat de haine de l’Arabe constituent le terreau qui nourrit cet aveuglement. La droite et l’extrême-droite s’accrochent au mythe du rôle civilisateur de la France. En 1998, Pierre Joxe, ancien ministre socialiste, remarquait l’absence d’une prise de conscience sur les crimes commis au nom de la France pendant la période coloniale ; pour en sortir, il faudrait faire appel à une « culture historique qui existe chez une partie de la gauche et l’intelligentsia mais qui n’a pas été présente dans le débat politique, qui a été occultée. » Les historiens auteurs d’un livre important sur La fracture coloniale (La Découverte, 2005) situent au milieu des années 90 le développement d’un discours de réaction conservatrice face à la période coloniale. Le 11 novembre 1996, Jacques Chirac, président de la République, inaugurait un monument « à la mémoire des victimes civiles et militaires tombées en Afrique du Nord » et insistait sur « l’importance et la richesse de l’oeuvre que la France a accomplie là-bas et dont elle est fière. » C’est le retour d’une « droite décomplexée », favorisée par des intellectuels comme Alain Finkelkraut et Pascal Bruckner (La tyrannie de la pénitence, livre publié en 2006). Et cet état d’esprit s’est traduit par l’édification de monuments en hommage à l’Algérie française et même aux morts de l’OAS à Nice, Toulon, Béziers, Marignane, Perpignan !

On ne s’étonnera donc pas du vote de la loi du 23 février 2005 rendant hommage à l’oeuvre des pieds-noirs en ces termes : « La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l’œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d’Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française (article 1). »L’article 4, 2 précisait encore : « Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit. » La protestation des historiens fut telle que cet article fut abrogé mais l’article 1 existe toujours dans notre législation.

Dans le débat parlementaire, Christiane Taubira, députée de Guyane, déclarait cette loi « désastreuse », faite par clientélisme pour certains milieux harkis et pieds-noirs. Par contre, le 7 décembre 2005, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, expliquait « qu’il faut cesser avec la repentancepermanente [qui consiste à] revisiter notre histoire. Cette repentance permanente, qui fait qu’il faudrait s’excuser de l’histoire de France, parfois touche aux confins du ridicule. » Notre « histoire de France » serait donc au-dessus de tout soupçon et de tout examen ? Propos cocardier destiné à flatter les instincts les plus primaires de ceux qui ne savent rien – ou ne veulent rien savoir – de « notre » histoire coloniale, sinon « l’outrage » du coup d’éventail infligé par le bey d’Alger à « notre » représentant, ce qui méritait bien d’envahir l’Algérie ! Sinon « l’épopée » de Bugeaud, etc.

Cette histoire-là a été enseignée, il y a quelques dizaines d’années encore, dans « nos » écoles primaires ; et aujourd’hui, dans les lycées, l’enseignement de la période coloniale reste bien marginale.

Ce que fut la conquête de l’Algérie

Je ne reviendrai pas ici sur la guerre d’Algérie et ses horreurs. Le FLN, d’ailleurs, y apporta sa quote-part, si l’on peut dire, en éliminant en Algérie et en France, les militants partisans de Messali Hadj. Mais le déroulement de la conquête de l’Algérie à partir de 1830 est bien plus méconnu. Deux noms émergent, ceux du général Bugeaud et de son adversaire l’émir Abd El-Khader qui finit par se rendre en 1847. Mais pourquoi ? On sait vaguement que Bugeaud adopta la stratégie de la terre brûlée. Pour en savoir plus, il faut lire l’historien Olivier Le Cour Grandmaison qui a publié en 2005 un livre saisissant intitulé Coloniser, exterminer. Sur la guerre et l’État colonial. Que nous apprend-il ?

D’abord, la vision de l’Arabe véhiculée par nos écrivains, médecins et politiciens : celle d’un barbare, d’un polygame dépravé dont les deux vices sont la syphilis et la sodomie. L’indigène d’Algérie est, à l’inverse du « bon nègre », inapte au travail, violent et nuisible par ses moeurs. C’est l’islam qui est responsable de leur « fanatisme sauvage » et, affirme Tocqueville, cette religion est « la principale cause de la décadence aujourd’hui visible du monde musulman. » Dans son célèbre livre De la démocratie en Amérique , notre grand Tocqueville n’hésite pas à écrire : « Ne dirait-on pas, à voir ce qui se passe dans le monde, que l’Européen est aux hommes des autres races ce que l’homme lui-même est aux animaux ? Il les fait servir à son usage et, quand il ne peut les plier, il les détruit. » (tome I, chapitre X) On ne s’étonnera donc pas que l’Arabe soit qualifié de « hyène », « renard », « chacal », de « bête fauve » que l’on pourchasse sans trêve.

S’il y eut quelques députés pour s’élever contre la conquête de l’Algérie et surtout les méthodes utilisées par l’armée française, comme le député-poête Lamartine, nombreux furent les écrivains qui, comme Victor Hugo, Renan, Sainte-Beuve ne voient rien à critiquer ou qui, comme Maupassant, décrit la femme arabe comme un animal sexuel qui « se prostitue au premier venu. »

Pour venir à bout de ces Arabes, on utilisa donc les pires méthodes : massacre des populations civiles, prisonniers aux corps mutilés et dont les soldats exhibent têtes ou oreilles, destruction des villages, cultures incendiées, tous les moyens sont bons, y compris les sinistres « enfumades », sur ordre de Bugeaud, destinées à asphyxier des populations réfugiées dans des cavernes.

Le bilan est démographique est lourd : la population est passée de 3 millions environ en 1830 à 2 millions 100.000 en 1871. Aux expéditions militaires s’ajoutent le typhus et la famine. En 1866, un diplomate français appelait de ses voeux une « diminution de nos Arabes dans la même proportion que celles qui s’observent sur les sauvages du Nouveau Monde. » La comparaison avec la colonisation de l’Amérique du Nord en dit long sur le sort que certains réservaient aux Arabes d’Algérie. D’ailleurs, selon les thèses racistes de l’époque, l’extermination de « races inférieures » permettrait à la race blanche d’étendre son espace vital. Si certains ouvrages revendiquent les destructions et même l’extermination, il n’en reste pas moins, à les lire, que « l’indigène » a une alternative : la soumission. C’est pourquoi je me demande si Olivier Le Cour Grandmaison peut légitimement écrire qu’il y a eu « un projet cohérent de génocide » (p. 123). Cela ne diminue en rien la violence de la colonisation et l’intérêt de découvrir tous les textes que cet historien nous apporte.

Pour conclure, je voudrais rappeler que, sujets français, les musulmans d’Algérie eurent, certes, depuis 1865, la nationalité française mais non point la qualité de citoyens. Ils restèrent soumis jusqu’en 1946, avec le Code de l’indigénat, à une législation discriminatoire. Lorsqu’en 1936, un projet de loi voulut accorder cette citoyenneté à 20 ou 25.000 musulmans, la protestation des Français d’Algérie fut telle que le gouvernement de Léon Blum retira son texte. Quant à l’Assemblée algérienne créée en 1947, deux collèges mirent à égalité les 800.000 Européens avec les 8 millions de musulmans !

Ce bref rappel de ce que fut la colonisation de l’Algérie devrait nous inciter, non à une inutile repentance, mais à de la modestie devant notre histoire nationale.

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Noël selon Roger Parmentier

 

J’ai déjà eu l’occasion, dans ce blog, de présenter ce pasteur qui, à la fin de sa vie, fini par se déclarer non chrétien mais disciple de Jésus, plus que jamais. Je reproduis deux textes que ses amis avaient publiés pour Noël sur le site guetteur-rebelle. Vous trouverez sur ce site beaucoup d’autres textes de Roger Parmentier.

Noël

Et si Jésus avait été une fille ?

Ça franchement ç’aurait été une surprise, une bonne surprise !

J’aurais bien aimé…

Notez qu’il y avait à peu près une chance sur deux !

Et pour le coup Joseph aurait réellement dit : « On ne peut vraiment plus compter sur personne ! ».

Mais quelle difficulté ! Il aurait fallu inventer un féminin au prénom de Jésus… Ça ne fait rien : les auteurs des évangiles ont tellement d’imagination qu’ils auraient bien inventé quelque chose. Déjà qu’on n’avait pas respecté la demande expresse de l’appeler Emmanuel. Tiens, c’est vrai, on aurait pu la prénommer Emmanuelle… ça aurait beaucoup plu aux messieurs. Et on n’a jamais réussi à lui donner un nom de famille.

Et surtout un Jésus-femme, cela lui aurait beaucoup compliqué la vie, déjà qu’il ne l’a pas eue facile. Et puis il aurait dû sans doute choisir douze femmes comme disciples et leur adjoindre quelques hommes de bonne volonté comme simples auxiliaires. Comme on connait les humains, on en aurait sûrement jasé dans les chaumières.

D’accord on a souvent maltraité les femmes… Mais s’il avait fallu aller jusqu’à en crucifier une, vous vous rendez compte ?

Quand même, s’il devait y avoir un jour un nouveau véritable Noël (et non pas ces fêtes dénaturées qui ne ressemblent à rien, où l’on pense à tout sauf à Jésus prophète, sage, homme de grande foi), j’aimerais bien que ce soit un bébé fille, en lui souhaitant bon courage…

Fêtes ?

Mercredi, 09 Novembre 2011

Amis chrétiens,


aujourd’hui soyons joyeusement sérieux,


soyons véritablement disciples de Jésus.





Cessons de célébrer « le petit Jésus »,


laissons cela à ceux qui pensent en avoir besoin,


ou à qui on le fait croire…


et célébrons et suivons le grand Jésus,

le prophète courageux,


le serviteur des humains en difficulté,

le réalisateur-proclamateur


de son grandiose plan de sauvetage


de petites équipes sans moyens,


pratiquant le renversement modeste et grandiose

du fonctionnement du monde… Un jour, a-t-on écrit : « Jésus commença… »


c’est ce commencement oublié

qu’il convient de fêter à Noël…


Oui, à Noël, fêtons le grand Jésus, le vrai. (…)

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