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Requiem pour le pape François
J’ai beaucoup aimé ce pape. D’abord, sa venue au balcon du Vatican, après son élection. En simple soutane, ses premiers mots furent : « Buena sera. » Quelle rupture radicale avec son triomphant prédécesseur, Ratzinger-Benoît XVI ! L’Église allait-elle changer ?
On pouvait le penser lorsqu’ayant pris le nom de François, il expliquait que François d’Assise avait été « l’homme qui nous a donné cet esprit de paix, un homme pauvre. » Et d’ajouter : « Comme je voudrais une Église pauvre, pour les pauvres. » L’Église allait-elle reprendre le chemin que tenta d’ouvrir au Concile le groupe « Jésus, l’Église et les pauvres 1 » ?
On pouvait le penser aussi quand, en réaliste, il s’attaque, un mois après son élection, à la « Banque du Vatican » (l’IOR). Et, le 8 juillet, son premier voyage pontifical, inoubliable, le porte à Lampedusa, là où arrivent les survivants du voyage en enfer qu’est devenue la traversée de la Méditerranée. Il y fustigeait « l’oubli de la compassion », « l’indifférence » du monde, « la globalisation de l’indifférence. »
Puis ce fut un festival d’espoirs. En juillet 2013, dans l’avion qui le ramenait des JMJ, il déclarait au sujet de l’homosexualité : « Si une personne est gay et cherche le Seigneur, fait preuve de bonne volonté, qui suis-je pour le juger ? » En septembre 2013, quand, dans un entretien accordé aux revues jésuites, François affirmait que l’Église ne devait pas être « obsédée par la transmission désarticulée d’une multitude de doctrines à imposer avec insistance », on pouvait vraiment espérer ! Quel contraste avec Jean-Paul II, le pape de l’Occident, et le sinistre Benoît XVI, crispé sur le catéchisme.
Ce n’est pas tout. En mai 2014, il dénonçait la vente des armes : « Voici la racine du mal ! » et, l’année suivante, dans l’encyclique de mai 2015, Laudate si’, il suppliait de sauver « notre mère la terre » (François d’Assise). Nous avions un pape écologiste et il était temps ! Enfin, au Chili, en janvier 2018, il dénonçait la violence exercée contre les communautés indigènes.
Le tournant : en 2016 ou 2018 ?
Si, au début de son pontificat, François s’est beaucoup battu pour tenter d’ouvrir l’Église à tous, il y eut un tournant. Dès l’exhortation apostolique Amoris laetitia (19 mars 2016), sur la famille et la vie conjugale 2, le pape François cultivait l’ambigüité. Il y a, dans ce texte, de beaux passages, mais ils restent enkystés dans des réaffirmations très « classiques » ! Si bien que certains jésuites et bons théologiens, très à l’aise dans le petit jeu de l’exégèse, ont pu affirmer que la doctrine sexuelle de François ne faisait que compléter celle de Jean-Paul II : alléluia !
En aout 2018, dans l’avion le ramenant d’Irlande, François déclarait que recourir à l’avortement était comme avoir recours à un tueur à gages. Dans sa grande compassion, il demande au prêtre de pardonner le pécheur, à condition, bien sûr, que ce dernier exprime regret et repentance pour cet acte qualifié de criminel ! Pas plus que ses prédécesseurs,François n’a cherché s’informer sur ce sujet des débats théologiques des Pères et de la doctrine de saint Thomas3.
Évidemment, on avait voulu oublier le conservatisme du cardinal Bergoglio concernant les femmes. Notre cardinal avait déjà déclaré en 2010 : « La femme possède une autre fonction [que celle de l’homme] dans le christianisme, reflétée dans la figure de Marie. […] La femme possède le don de la maternité, de la tendresse 4. » Donc, pas question de lui accorder la prêtrise ! Dans l’Église catholique, décidément, le sexe est la clé de voûte de la doctrine. Quel flot d’homélies, d’articles et de traités théologiques pour nous expliquer qu’il faut avoir un zizi pour revendiquer du pouvoir dans l’Église5.
On n’oubliera pas, au passage, le synode sur l’Amazonie qui avait proposé – ô scandale – l’ordination d’hommes mariés ; François se rallia, finalement, à la puissante opposition conduite par le pape émérite Benoît XVI pour rejeter cette « ouverture ». Quant au synode en cours qui doit s’achever à l’automne prochain, il semble bien mal parti.
En septembre 2013, Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef de La Croix, avait pourtant tenu à nous rassurer : « le pape est-il de gauche ? Progressiste ? Va-t-il transformer l’Église, la doctrine, changer cette institution vieille de 2 000 ans ? Non. » Eh bien, cette journaliste avait fait, dès le début, le bon diagnostic contre tous nos espoirs.
François et les guerres en Ukraine et à Gaza
Avec l’horrible guerre en Ukraine, la Commission des épiscopats de l’Union Européenne (COMECE) publiait un appel – public, bien sûr ! – au patriarche Cyrille pour qu’il intervienne auprès des autorités russes « pour qu’elles cessent immédiatement les hostilités contre le peuple ukrainien. » À qui donc s’adressait réellement la COMECE : au patriarche de Moscou ou aux gouvernements européens pour les assurer que les autorités catholiques étaient dans le bon camp ?
Il est donc très remarquable que le pape François, le 20 mars 2024, ait « encouragé toutes les parties à trouver la forme de négocier la plus appropriée6. » Mais qu’a-t-on vu ? Une levée de boucliers unanime et les bons catholiques ont commencé à dire que, vraiment, de quoi se mêlait-il, ce pape ? La guerre, c’est bien, quand on la mène contre les Rouges ou ex-Rouges. Pour l’Ukraine, François a eu l’immense courage de s’exprimer à contre-courant de l’Occident. Au Vatican, on a compris : le pape doit se taire.
Arrive le 7 octobre. François a reçu – mais pas ensemble – des familles israéliennes d’otages ainsi qu’une délégation de proches de Palestiniens vivant dans la bande de Gaza7. Le jour de Noël, François maintint l’équilibre entre les belligérants : il dénonçait la situation humanitaire à Gaza – il aurait pu aussi parler de la Cisjordanie ! – et appelle à la libération des otages. Ce n’est qu’une ligne diplomatique, bien sûr, et c’est pourquoi il faudrait en finir avec l’État du Vatican qui emprisonne le pape. Plus tard, à Pâques, il a prié avec des Israéliens et des Palestiniens. Le 9 juin, l’agence palestinienne Wafa nous apprend que le pape a renouvelé son appel au cessez-le-feu. Qu’importe ?
Ce qui se commet là-bas est de l’ordre du génocide. Maintenant que les soldats israéliens sont devenus clairement, du moins aux yeux qui ne sont pas aveuglés par la haine de l’Arabe ou la propagande occidentale en faveur d’Israël, des tueurs à Gaza et en Cisjordanie, le pape François se tait.
C’est donc la voix d’Antonio Guttierez, le secrétaire général de l’ONU, qui s’est élevée dans le monde pour rappeler le droit international et le simple droit de tout être humain à vivre. Et la violation du droit a commencé en 1948 avec l’épuration ethnique qui a arraché 750 000 Arabes palestiniens à leurs terres pour se réfugier, entre autres lieux, à Gaza ; la violation du droit international s’est poursuivie depuis lors dans l’indifférence jusqu’au 7 octobre.
Chacun sait que l’Église catholique ne représente plus grand monde en Europe – au point d’ailleurs que personne ne s’aperçoit plus, au bout de neuf mois de guerre, que l’Église ne dit RIEN. En France, ceux qui fréquentent les églises votent de plus en plus à droite. Lors des élections européennes, les catholiques pratiquants ont voté au total à 56 % pour les trois partis Reconquête, le RN et les Républicains. À qui la faute ? Les évêques de France, en particulier, se taisent depuis des années parce qu’ils savent bien où est la dynamique politique. Un nouveau Vichy ne les dérangerait sans doute pas. Mais le pape ? François n’appartient pas à cet Occident qui se dit… « chrétien » et plus encore « judéo-chrétien ».
Au siècle dernier, Pie XII a cru bon de ne pas élever trop la voix devant le génocide des Juifs ; que fait François devant celui des Palestiniens ?
Martine Sevegrand
1 On lira Pierre Sauvage, « Le rôle des évêques latino-américains dans le groupe ‘Jésus, l’Église et les pauvres’ durant le concile Vatican II », Revue théologique de Louvain, 2013, p. 560-580.
2 Attention aux mots : dans l’Église, on parle toujours de vie « conjugale » puisqu’il ne peut y avoir aucune vie sexuelleen dehors du mariage. Et encore, dans le mariage chrétien, tout n’est pas permis !
3 Pour saint Thomas, le fœtus n’a d’abord qu’une vie végétative ou animale, Dieu ne lui donnant qu’ensuite – mais quand ? – le « souffle » de vie. Sur ce débat, on lira l’article du grand dominicain Albert Plé, « Alerte au traducianisme »,Le Supplément, février 1971. On peut lire aussi sur l’important débat théologique des années 1969-1974, aujourd’hui complètement enfoui, mon article (très lisible!) dans la Revue d’éthique et de théologie morale, 2015, n° 3.
4 J. Bergoglio y Abraham Skorka, Sobre el cielo y la tierra, Buenos Aires, 2010, p. 169-175.
5 J’ai écrit, pour ma part, quelques livres sur la place du sexe dans l’Église et une synthèse intitulée Le sixième commandement. L’Église catholique et la morale sexuelle en France au XXe siècle, Presses universitaires de Rennes, 2023, 292 pages.
6 Ce sont là ses termes exacts.
7 Car, ne l’oublions pas, les civils de Gaza sont aussi « pris en otages » par les troupes israéliennes.