Chaque religion a ses extrémistes et j’ai, dans ce blog déjà évoqué les catholiques et, il y a quinze jours, les salafistes. Cette fois, je voudrais présenter les extrémistes juifs qui, en Israël, constituent un danger grandissant.
Le journaliste Charles Enderlin, correspondant depuis trente ans de la chaîne de télévision française France 2, vient de publier un ouvrage très documenté, sous le titre de Au nom du Temple (Seuil, 2013) qui décrit l’ascension de ce mouvement au sein de l’État sioniste. Dans le livre fondateur du sionisme, L’État des Juifs, Theodor Herzl écrivait en 1896 : « Aurons-nous une théocratie ? Non ! Si la foi maintient notre unité, la science nous libère. C’est pourquoi nous ne permettrons pas aux velléités théocratiques de nos chefs religieux d’émerger. Nous saurons les cantonner dans les temples, de même que nous cantonnerons l’armée de métier dans les casernes. (…) Ils n’ont pas le droit de s’immiscer dans les affaires de l’État. » Souvent qualifié de « prophète », Herzl ne l’a guère été sur ce point.
Tout a commencé en juin 1967, avec la conquête de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie et de Gaza. Après que le rabbin-aumônier de l’armée israélienne, Shlomo Goren, eut incité le général qui s’était rendu maître du Mont du Temple (l’esplanade des Mosquées ou le Haram pour les musulmans) à faire sauter les mosquées, Moshe Dayan faisait évacuer le Dôme du Rocher par les soldats qui s’y étaient installés. De leur côté, les deux grands rabbins d’Israël, l’ashkénaze et le sépharade, s’accordaient : « Lorsque le Messie viendra et enlèvera les mosquées, alors le Temple sera reconstruit », disait l’un. Et l’autre d’affirmer que « nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir. Ce qui reste à faire est dans les mains de Dieu. » Quant au ministre chargé des affaires religieuses – qui était membre du parti national religieux -, il déclara à la Knesset que le centre de Jérusalem était le Mur occidental et que la présence divine ne l’avait jamais quitté. Ainsi, le gouvernement détourna la piété vers le fameux Mur malgré les protestations de Shlomo Goren qui ne cessait de répéter que le Mur n’avait jamais été considéré comme un lieu saint dans la tradition juive. Il est vrai que Moshe Dayan avait rendu la responsabilité du Haram au Waqf (institution musulmane).
C’est dire combien les quelques rabbins du mouvement sioniste religieux étaient isolés en 1967. Avec Shlomo Goren, il y avait le rabbin Zvi Yehouda Kook qui avait repris la direction de la yeshiva de son père, Mercaz Harav. Et, le 4 juillet, à Jérusalem, Kook interpella le président de l’État et plusieurs ministres : « Que la main qui signera des accords de concession soit coupée ! (…) Je vous avertis qu’il y a dans la Torah une interdiction absolue de renoncer ne serait-ce qu’à un pouce de notre terre libérée. » Un discours qui prenait soudain, avec les conquêtes de 1967, un sens tout à fait nouveau.
L’alliance des partis de droite et des sionistes religieux
Ces rabbins sionistes trouvèrent vite le soutien de Menahem Begin et de son parti, le Herout, qui, dès 1967, adoptait une motion déclarant qu’une « colonisation juive de grande ampleur en Judée-Samarie (Cisjordanie), à Gaza, sur le plateau du Golan et dans le Sinaï est l’urgence de l’heure si nous voulons assurer la sécurité de la nation. »
Des élèves de la yeshiva Mercaz Haravi furent à l’origine des premières colonies, en particulier celle de Kyriat Arba, fondée en 1968, qui domine Hébron. Le gouvernement dirigé par les travaillistes et l’armée eurent une attitude ambivalente : certaines implantations furent encouragées, d’autres combattues. Après la guerre de 1973 qui démontra la fragilité d’Israël, malgré sa victoire finale, les sionistes religieux qui entendent s’opposer à toute concession formèrent le « Goush Emounim » (Bloc de la Foi) pour développer la colonisation. La stratégie est la suivante : un petit groupe d’hommes établit un avant-poste et met le gouvernement devant le fait accompli. Souvent, le gouvernement négocie et, finalement, cède en constatant le soutien que les colons reçoivent de certains députés, par exemple d’Ehud Olmert ou d’un Ariel Sharon qui a quitté l’armée et s’est reconverti en politicien.
La victoire des sionistes religieux avec le Likoud (1977)
Menahem Begin, l’ancien terroriste de l’Irgoun, avait fondé le Likoud en 1973. Désormais, tous les gouvernements, sauf entre 1992 et 1996 et entre 1999 et 2001, furent dominés par ce parti de droite qui favorisa la colonisation. Il reste que le pouvoir prit des décisions qui dressèrent les sionistes religieux contre lui. D’abord, quand en 1981, Israël rendit le Sinaï à l’Égypte et détruisit les colonies ; puis, en 2005, lorsqu’Ariel Sharon fit évacuer les 21 colonies de Gaza.
Mais l’opinion israélienne glissait à droite. Le rabbin Kahane, venu des États-Unis où il avait fondé un groupe terroriste, la Ligue de Défense juive (aujourd’hui interdite là-bas mais pas en France), contribua à renforcer, dès 1972, le courant sioniste religieux. Il créa le Kach, un parti d’extrême-droite qui militait pour l’expulsion des Arabes et la reconstruction du Temple. Kahane qui n’avait obtenu qu’environ 1 % des voix aux élections de 1973 fut élu député en 1984. Il prônait l’interdiction des mariages juifs/non-juifs, l’annulation des mariages mixtes déjà existants, un statut de « résident étranger » pour les non-juifs. Bref, une législation qui ressemble à celle du IIIe Reich. D’autres rabbins identifient les Arabes à Amalek, l’ennemi éternel du peuple juif.
Après la guerre du Liban (1982), rares sont les rabbins qui acceptèrent une enquête sur les agissements de l’armée lors des massacres de Sabra et Chatila. Le rabbin fondateur de Kyriat Arbat écrivit même : « Certains ont dit que nous sommes allés au Liban pour y mettre de l’ordre afin de sauver la Galilée. Nous disons que le rôle d’Israël est de mettre de l’ordre dans le monde. »
Vers l’assassinat Yitzhak Rabin
L’accord signé avec l’OLP suscita une agitation fébrile des sionistes religieux. Le 25 février 1994, Baruch Goldstein, un médecin né à Brooklin, adepte du mouvement Loubavitch, entrait au Caveau des Patriarches, à Hébron, pendant la prière des musulmans, tua 29 d’entre eux et en blessa plus de 125 avant d’être lynché. Les autorités israéliennes condamnèrent, certes, sévèrement ce massacre, mais Goldstein est considéré depuis par certains comme un saint ; des rabbins justifièrent son action et, sur sa tombe, objet d’un véritable pèlerinage, on peut lire : « Au saint Baruch, qui donna sa vie pour le peuple juif, la Torah et la nation d’Israël. »
Le 3 mai 1994, plusieurs centaines de rabbins réunis à Jérusalem portèrent un jugement religieux : « Toute personne ayant la possibilité d’empêcher cet accord (accords d’Oslo) et qui n’agit pas enfreint le commandement de protéger autrui. » Des attentats commis par le Hamas exacerbèrent les passions. Depuis le début de l’année, trois rabbins originaires de colonies firent circuler discrètement un texte qui, constatant la recrudescence des attentats, concluaient par cette interrogation : « Le gouvernement et le Premier ministre ne devraient-ils pas subir la loi de Din Mosser puisqu’ils donnent la Terre d’Israël, la propriété du Peuple d’Israël, aux Gentils ? » Or, un juif déclaré Mosser est un traître dont la punition peut aller jusqu’à la mort. Ces rabbins extrémistes avaient des antennes dans certaines synagogues des États-Unis où l’un d’eux n’hésita pas à comparer Rabin à un chef de Judenrat collaborant avec les nazis !
Mais, l’armée israélienne, selon les accords conclus avec l’OLP, évacua en septembre 1995, les six plus grandes villes palestiniennes. Les affiches montrant Rabin affublé d’un keffieh ou en habit de SS se multiplièrent. Netanyahu, l’étoile montante du Likoud, en profita pour jetter de l’huile sur le feu en accusant le gouvernement de Rabin de n’avoir de majorité à la Knesset que grâce à cinq députés arabes, pro-OLP. Rabin est assassiné, le 4 novembre1995, par Ygal Amir, un adepte du sionisme religieux. Cependant, aucune personnalité religieuse ne fut accusée de complicité fût-elle indirecte. Pour l’historien Zeev Sternhell, la défaite de la gauche date de ce moment.
La puissance des rabbins
En février 1996, le conseil des rabbins des implantations juives publièrent un jugement autorisant les juifs à se rendre en certains endroits de l’esplanade des Mosquées ; seul le Dôme du Rocher était absolument interdit. La même année, Netanyahu, l’adversaire de Rabin et le chef du Likoud gagnait les élections ; ainsi, l’assassinat aura bien profité à la droite. D’autant plus qu’avec un système électoral proportionnel, le Likoud qui gouverne depuis 1996 a toujours eu besoin d’alliés pour atteindre les 61 voix nécessaires à la Knesset (qui totalise 120 sièges). Netanyahu est soutenu par le parti des Sépharades religieux, le Shass, qui, à toutes les élections, recueille 11 sièges.
Or, c’est un rabbin Yossef Ovadia, 93 ans aujourd’hui, qui est à l’origine de la création du Shass. Celui-là même qui fut grand rabbin sépharade d’Israël, est toujours très respecté pour sa connaissance exceptionnelle de la Torah. Mais il tient des propos racistes contre « les Nègres », contre les femmes comparées à des ânes, les Arabes qui doivent être annihilés ; il maudit, en juin 2013, un rabbin candidat au poste de grand rabbin ashkhénaze d’Israël et soutient une thèse abracadabrante sur « la Shoah (qui) est la réincarnation de nos âmes. »
Certes, il y a des rabbins modérés mais ils se font peu entendre. Dans les yeshivot, des rabbins extrémistes forment toute une génération de futurs colons, à moins qu’ils ne viennent directement des États-Unis et de France. En 1987, il n’y avait encore qu’un peu plus de 65 000 colons en Cisjordanie ; ils sont plus de 500 000 aujourd’hui, sans compter les colons établis dans la partie est de Jérusalem et sur le plateau du Golan. Leur poids politique est donc devenu essentiel lors des élections.
Au fil des années, les colons ont acquis une liberté totale pour attaquer les Palestiniens et brûler les champs d’oliviers ; ils bénéficient de la sympathie de l’armée qui, lorsqu’elle est témoin de ces agressions, elle n’intervient jamais pour protéger les Arabes. On peut dire sans exagération que, maintenant, ils provoquent tous les jours des incidents dont les Palestiniens sont les victimes. Il faut dire que, selon une étude du ministère de la Défense, la proportion d’officiers d’infanterie religieux est passée de 2,5 % en 1990 à 31,4 % en 2007 ; Charles Enderlin souligne l’inquiétude des chefs de l’armée. L’aumônier général est d’ailleurs un colon qui, à l’occasion de l’opération israélienne « Plomb durci », distribua aux soldats israéliens une brochure les incitant à ne pas faire preuve de pitié, le Dieu des armées étant à leurs côtés.
Une nouvelle idéologie
« Le sionisme est mort », proclamait Avraham Burg, dans les colonnes du Monde du 10 septembre 2003. Celui qui avait été Premier ministre en 1985 et, plus tard, président de la Knesset de 1999 à août 2003, n’était pas tendre avec « un État qui développe des colonies, sous la houlette d’une clique corrompue qui se moque de la morale civique et du droit. »
Depuis des années, des sionistes religieux et des ultra-orthodoxes développent une idéologie qui rejette l’État parce qu’il est fondé sur la démocratie : ils nient, en effet, le droit des Israéliens séculiers à peser sur la législation du pays. Pour ces fondamentalistes, seule la Halakha peut fonder la loi. Appliquer le principe démocratique contribue à « déjudaïser » Israël.
Dernière nouvelle. A la fin de juillet dernier, les deux Grands Rabbins d’Israël, un ashkenaze et un sépharade, ont été élus pour les dix prochaines années. Le nouveau Grand Rabbin ashkenaze, Yitzhak Yossef, est le fils du célèbre rabbin Ovadia Yossef, dirigeant du parti Shass. Quant au Grand Rabbin ashkenaze, il fut soutenu par les ultra-orthodoxes. Ces conservateurs religieux maintiennent donc leur contrôle sur l’état-civil. Si bien que des Israéliens qui ne veulent (ou ne peuvent) se marier selon la loi juive sont obligés de se marier à l’étranger – leur destination favorite est alors Chypre. Le certificat obtenu est ensuite reconnu par la loi israélienne.
Est-ce bien là l’État voulu par Ben Gourion ?
Le livre admirable d’observation d’Enderlin, comble une connaissance de « l’irrésistible ascention du messinisme juif » mais n’explique aucunement les forces d’intérêts finaciers et égemoniques qui guident cette montée vers un conflit qui risque d’enflammer le moyen orient, pour commencer.