On sait que les premiers disciples de Jésus furent des juifs, les Douze, Paul, et ces femmes qui, elles, ne s’enfuirent pas après l’arrestation du Maître : au pied de la croix, avec sa mère, il y avait en effet Marie de Magdala et plusieurs autres, comme nous le dit Marc, XV, 41.
Mais qui sont aujourd’hui, les descendants de ces premiers chrétiens ? Des Arabes en Palestine, Liban, Syrie, Irak, Égypte qui appartiennent à diverses communautés : copte, assyro-chaldéenne, syriaque, grecque-orthodoxe, grecque-catholique, maronite, latine. Des chrétiens qui ont, après la conquête arabe, assimilé la culture arabe mais ont gardé courageusement leur foi chrétienne alors que, devenus des dhimmis, ils furent contraints à payer un impôt spécial. Un sort longtemps plus enviable, rappelons-le, que celui des musulmans et des juifs dans l’Europe chrétienne… Mais aujourd’hui ?
Chacun a entendu parler des attaques dont les coptes sont l’objet en Égypte. A Jérusalem, depuis 1967, la politique de judaïsation bat son plein et les chrétiens en sont victimes tout autant que les musulmans. Combien de chrétiens reste-t-il dans la Ville sainte aujourd’hui ? 4 ou 5.000, peut-être moins.
Le sort des chrétiens irakiens est moins souvent évoqué. Le boycott occidental au temps de Saddam Hussein puis et surtout l’invasion américaine de 2003 a fait exploser le pays où coexistaient auparavant sunnites, chiites, kurdes et chrétiens. L’occupation militaire fut une catastrophe pour les chrétiens, perçus par les islamistes comme des alliés de l’Occident. A partir de 2004, les attaques contre les chrétiens se multiplièrent. Au sud de Bagdad, le quartier de Dora qui abritait des milliers de familles chrétiennes modestes groupées autour d’églises fut littéralement vidé de ses habitants et les églises brûlées. Ceux qui restent à Bagdad subissent des menaces pour les faire partir, parfois de la part de de promoteurs immobiliers qui les poussent à vendre leurs maisons. Les chrétiens durent aussi fuir du sud de l’Irak, et même de Mossoul pour s’installer au Kurdistan, province semi-autonome depuis 1991. Les chrétiens revenaient dans leur région d’origine, la plaine de Ninive mais les attentats contre eux ont gagné aussi cette région ; reste à la fuite à l’étranger.
Si les troupes américaines se sont finalement retirées, elles ont laissé l’Irak dans le chaos : les attentats ne cessent d’ensanglanter le pays. Les chrétiens ne sont évidemment pas épargnés : au moins 900 chrétiens assassinés, 182 autres enlevés, souvent torturés et rendus seulement après le versement de rançons, 51 églises détruites ou attaquées dans les grandes villes. Ce fut le cas, le 31 octobre 2010 de la cathédrale syriaque catholique de Bagdad : le commando d’Al-Qaida y fit 58 morts.
Mgr Georges Casmoussa, ancien archevêque syriaque catholique de Mossoul a témoigné récemment dans un livre intitulé Jusqu’au bout. Lui-même fut enlevé à Mossoul mais libéré ensuite. Cependant, en février 2008, Mgr Faraj Rahho, évêque chaldéen de Mossoul, fut assassiné. On comprend que quelques 500.000 Irakiens chrétiens aient quitté le pays.
Dans son livre, Mgr Casmoussa interpelle avec colère Georges W. Bush et Tony Blair : « Qui vous a autorisés à détruire mon pays au nom d’une imposture ? (…) Vous êtes partis fin 2011 en laissant un pays en ruines, en butte à la guerre civile entre les différents clans et miné d’attentats terroristes. » Mgr Casmoussa ne regrette certes pas Saddam Hussein mais a la nostalgie de « la sécurité relative qui régnait dans les années où il était au pouvoir. L’Occident nous a débarrassés d’un dictateur pour le remplacer par des dizaines d’autres qui agissent comme lui, sinon de façon pire. » Et, ajoute-t-il, s’il s’agissait de faire tomber Saddam Hussein, il y avait bien d’autres solutions, comme les Américains l’ont montré ailleurs dans le monde.
La situation sera-t-elle bientôt identique en Syrie ? Là aussi un régime dictatorial assurait la sécurité et la liberté de culte aux chrétiens et on comprend que la plupart aient été attachés à la dynastie des Assad. Le poids de plus en plus grand des islamistes dans une opposition très composite n’est d’ailleurs pas fait pour les rassurer. Les chrétiens sont de plus en plus souvent menacés et frappés. Le 21 octobre 2012, un attentat dans le quartier chrétien de Bab Touma, à Damas faisait 13 morts. Mais qui étaient les auteurs ? Un mois plus tard, un nouvel attentat faisait une cinquantaine de morts dans le quartier de Jaramana habité par des druzes et des chrétiens ; cette fois les choses sont plus claires puisque les rebelles de l’Armée syrienne libre (ASL) avaient sommé à plusieurs reprises les habitants du quartier de choisir entre eux et le gouvernement. Ces deux attentats ont terrorisé les chrétiens.
Alep, la première ville chrétienne de Syrie, a perdu plus de 65 % de ses fidèles. A Homs qui comptait environ 40.000 chrétiens avant la guerre civile, il en resterait moins de 5.000. D’après l’agence catholique Fides, il n’y aurait plus de chrétiens à Deir Ezzor dans l’Est de la Syrie, au-delà de l’Euphrate, entre Palmyre et la frontière irakienne ; la seule église encore à peu près intacte dans cette région a été détruite, le 15 avril dernier, en même temps que le couvent des Capucins. Enfin, le 22 avril dernier, deux évêques orthodoxes ont été enlevés près d’Alep. Les grecs orthodoxes qui forment 60% des chrétiens de Syrie, sont les plus touchés.
Certes, il y a des Syriens chrétiens dans l’opposition ; ils reprochent d’ailleurs aux divers responsables des communautés de soutenir Bachar el-Assad ; mais le sentiment dominant chez ces chrétiens est la peur. Ils constatent que le régime ne parvient plus à les protéger mais ils craignent une opposition divisée.
De leur côté, les responsables chrétiens critiquent sévèrement les gouvernements occidentaux qui, au lieu de rechercher un compromis, soufflent sur le feu et poussent à la guerre. Les trois patriarches qui résident à Damas (grec-orthodoxe, melchite et syriaque-orthodoxe) ont publié en décembre 2011 un communiqué refusant toute forme d’intervention étrangère et rejetant tout recours à la violence.
Ajoutons que lorsqu’un conflit provoque l’émigration, l’exode des chrétiens se révèle toujours définitif. Les musulmans reviendront, pas les chrétiens qui trouvent en Occident des parents pour les aider à s’intégrer ailleurs. Interrogé par l’agence Fides, l’archevêque maronite de Damas, Mgr Samir Nassar, avouait le dilemme auquel les responsables ecclésiaux étaient confrontés : « Dire à leur fidèles de rester, serait les condamner à mort ; les aider à partir veut dire vider la Terre Biblique de ses derniers chrétiens. »
Mais qui, en Europe, se soucie d’eux dans le conflit syrien ? Leur présence dans des pays à dominante musulmane apparaît à beaucoup comme une aberration ; tout comme, pour certains, la présence de musulmans en Europe. L’idéal serait-il chacun dans sa case, sans mélange porteur, dit-on, de danger ?
Les chrétiens d’Orient, sans lesquels nous n’aurions pas reçu la foi en Jésus-Christ, vont-ils disparaître de la Terre biblique ?
Face à cette guerre, je me sens impuissante et je n’arrive même pas à avoir une idée concernant ce que les gouvernements occidentaux devraient faire ou ne pas faire. Armer les rebelles ou non? Ayant voyagé en Syrie en touriste en 2010, la seule chose que je puisse faire est de « penser », prier…
Notre guide était chrétienne et très opposée au régime. Au début des évènements avant qu’ils ne deviennent une guerre, nous avons échangé deux mails…Je pense souvent à elle et à sa famille.
Merci pour vos textes.