Des chrétiens homosexuels

 

Nos bons évêques français sont sur le pied de guerre. Pensez donc, le gouvernement veut faire adopter une loi légalisant le mariage gay ! On veut bien avoir quelque compassion pour les malheureux homosexuels que l’Église condamne d’ailleurs à la continence absolue mais imaginer qu’ils puissent vivre en couple et « passer devant M. le maire », c’est trop ! Je ne me prononcerai pas sur ce qu’on appelle vulgairement, et trop légèrement à mon avis, le « mariage pour tous ». Je voudrais seulement rappeler une évidence : les évêques prétendent s’exprimer au nom de tous les catholiques sans leur avoir demandé leur avis et sans tenir compte d’un fait irréfutable : il y a des homosexuels qui se revendiquent chrétiens, et même catholiques, et qui attendent d’être pris en considération par l’Église. Cette question ad intra est, comme le remarquait tout récemment l’historien et universitaire, Anthony Favier, dans Golias Magazine, un grand défi.

Il se trouve qu’il y a un peu plus de trente ans déjà, un religieux salésien, Xavier Thévenot, a soutenu sa thèse de théologie à partir d’une enquête menée en 1976 sur 350 homosexuels chrétiens. 95,5 % étaient catholiques, et 67 d’entre eux (soit 19 %) étaient des prêtres, religieux, pasteurs ou séminaristes. Dirigée par le grand théologien moraliste René Simon, professeur à l’Institut catholique de Paris, cette thèse est consultable à la « Catho de Paris », comme on dit, et ses principaux résultats ont été rassemblés dans un livre qui a été très remarqué, Homosexualités masculine et morale chrétienne (Cerf, 1985). Il m’a paru instructif, en plein débat sur le mariage gay, de revenir sur cette enquête.

La foi des homosexuels chrétiens en 1976

L’ouvrage ne reprend pas le plan de la thèse, ce qu’on peut comprendre, mais plus curieusement, on constate que des questions portant sur la foi chrétienne des homosexuels ont disparu du livre. Pourtant, dans sa thèse, le P. Thévenot commence, aux pages 26 à 31, par donner les résultats à des questions sur l’importance de la foi, l’intensité de la pratique religieuse (participation à la messe, confession). On apprend ainsi que leur tendance sexuelle n’a pas éloigné les homosexuels de la pratique religieuse : 56 % déclaraient que la foi chrétienne avaient « beaucoup d’importance dans leur vie actuelle » et 30 % « de l’importance » ; seulement 14 % répondaient qu’elle en avait « peu ».

48 % assistaient régulièrement à la messe et 32 % se confessaient plusieurs fois par an (Rappelons que l’enquête date de 1976 et qu’aujourd’hui les chiffres de la pratique auraient évidemment beaucoup diminué).). De surcroît, l’appartenance à un groupe de chrétiens homosexuels (à l’époque le mouvement Arcadie ou Christianisme et Homophilie devenu David et Jonathan) contribuait à augmenter leur pratique religieuse : 59,5 % d’entre eux assistaient à la messe hebdomadaire contre 40 % pour les autres. Le P. Thévenot en conclut donc que les homosexuels de son enquête sont « des chrétiens à part entière, du seul point de vue extérieur où nous nous plaçons » » ; affirmation qui n’apparaît plus dans le livre tandis qu’il y souligne que 35 % de ceux qui avaient un engagement dans l’Église l’ont abandonné à cause de leur homosexualité.

Des chrétiens à part mais peu complexés

D’autres questions permettent aussi d’approcher la mentalité de ces homosexuels. 95 % estiment que leurs actes ne sont pas contre nature ; 70 % jugent que l’homosexualité pratiquée peut être une voie d’épanouissement égale à celle de l’hétérosexualité. Enfin, seuls 10 % estiment que leurs actes homosexuels sont des péchés. Quel désaveu de la doctrine catholique traditionnelle !

L’ouvrage reprend deux tableaux. Le premier (p. 32 en note) présente les réponses à la question : « Actuellement, et globalement, j’estime que ma condition d’homosexuel :

– a contribué à me rapprocher de Dieu…………………………………..39 %

– a contribué à m’éloigner de Dieu………………………………………..14 %

– a été indifférente pour la qualité de ma relation à Dieu………….26 %

– je ne peux pas me prononcer……………………………………………..18 %

Un peu plus loin dans le livre (p. 88), « Quel est pour vous l’idéal de la vie affective que vous visez ? » Seuls 4 % disent rechercher une amitié unisexuée et continente, comme le magistère catholique le demande. Mais 34 % seulement ont pour idéal de vivre en couple avec un ami sans avoir d’actes sexuels avec d’autres. Par ailleurs, 23 % recherchent un « amour homophile profond, s’exprimant parfois charnellement, mais sans vie commune ». Le P. Thévenot souligne avec raison le poids de la société comme obstacle à la vie en couple et l’on peut se demander si là n’est pas le grand changement en ce début du XXIe siècle. Je relève d’ailleurs que, dans le document publié par les évêques français à la fin de septembre dernier pour s’opposer au mariage des homosexuels, ils reconnaissent que l’aspiration à vivre une relation affective stable se rencontre aujourd’hui beaucoup plus fréquemment que par le passé.

Reste, tout de même, 17 % dont l’idéal est de « vivre en couple avec un ami tout en ayant parfois des actes sexuels avec d’autres partenaires. » Dans son livre, Thévenot insiste dès le début sur le phénomène de la « drague » et l’infidélité fréquente au sein même des couples homosexuels ; il évoque « les passages à l’acte trop dégradants, pas assez chargés d’affection, respectant trop peu l’autre » (p. 57). S’il reconnaît plus loin que « des liaisons homosexuelles, même très limitées, ont permis à certains de grandir en humanité et dans la foi », il ajoute au paragraphe suivant que « le plus souvent l’observateur prend vite conscience des carences qui marquent ces liaisons, carences que le milieu homosexuel cherche parfois à camoufler (p. 74-75). On se demande si une observation aussi vigilante des hétérosexuels n’aurait pas révélé, elle aussi, de sérieuses carences…

Xavier Thévenot se penche sur la morale de l’amour mise en avant par les homosexuels et rappelle qu’en 1978, lors du congrès de Nantes du mouvement devenu aujourd’hui David et Jonathan, le thème de réflexion était : « Il n’y a pas de morale, hormis celle de l’amour ». Les homosexuels auraient-ils donc, comme certains d’entre eux l’affirment, une autre conception de l’amour que les hétérosexuels ? Encore faudrait-il comparer les comportements des uns et des autres car il n’est pas sûr que les règles du mariage monogame soient si bien respectées, surtout par les maris.

Dans le livre de Thévenot, l’abord de l’homosexualité est souvent négative et s’appuie volontiers sur la psychanalyse pour disqualifier l’homosexualité : « immaturité psychologique des amours homosexuels », sexualité prégénitale, sexualité « inachevée », etc. Il évoque aussi la Bible et les Pères de l’Église qui condamnent l’homosexualité et dénonce l’utilisation, fréquente dans le milieu homosexuel, des « repères éthiques du christianisme sur le mode pervers. » Ainsi, l’aphorisme de saint Augustin, « Aime et fais ce que tu veux ».

Persona humana (29 décembre 1975)

Dernier texte du magistère, Persona humana est un document de la congrégation pour la doctrine de la foi (ex-Saint Office) que Xavier Thévenot commente longuement. Ce document condamne l’homosexualité tout comme la masturbation et les relations pré-conjugales ! Notre auteur ne signale pas ces deux autres condamnations du document romain qui auraient pourtant permis, peut-être, de relativiser la gravité de l’homosexualité. Au moment de sa publication, Persona humana avait d’ailleurs suscité plus de railleries que de profondes réflexions. Cependant, le directeur de thèse de Thévenot, le P. René Simon, avait eu l’audace de publier dans La Croix, au début de février 1976, une critique virulente du texte romain. Mais comment un doctorant en théologie aurait-il pu, en traitant de l’homosexualité, ne pas prendre au sérieux un document provenant d’une congrégation romaine ?

Persona humana est donc cité à plusieurs reprises. Un passage semble régler définitivement la question homosexuelle : « Nulle méthode pastorale ne peut être employée qui, parce que ces actes seraient estimés conformes à la condition de ces personnes, leur accorderait une justification morale. » Xavier Thévenot ose cependant formuler quelques critiques : ce texte doctrinal est coupé de toute réflexion pratique. Il avait d’ailleurs, en exergue, citer un texte de saint Thomas d’Aquin : « Dans le domaine de la morale il faut partir comme d’un principe de ce qui est. On doit donc interroger l’expérience et la coutume. » Deuxième critique, tout aussi fondamentale : Persona humana témoigne encore de la méfiance séculaire de l’Église par rapport à l’érotisme. Et de rappeler que « la fonction plaisir est une des fonctions les plus importantes de la sexualité » (p. 259). Thévenot souligne ainsi une carence essentielle de la morale sexuelle catholique. On me permettra de commenter brièvement ce point avec ma longue fréquentation de la littérature catholique du XXe siècle : certes, le plaisir n’est pas interdit par l’Église mais il inquiète par ses débordements possibles ; il doit donc être maîtrisé (le mot et le verbe reviennent souvent) et contenu dans de « saines » limites. 

Reprenons la lecture de notre ouvrage. Parce que Persona humana se situe dans la ligne de la Tradition catholique, Xavier Thévenot s’incline : « l’homosexualité est une forme a-normative de sexualité » ; affirmation qu’il répète deux fois tout en cherchant à la nuancer. Car la préoccupation de notre auteur est pastorale et qu’on ne saurait sous-estimer son « ouverture » novatrice au sein du monde clérical français. Pourtant, quand on lit son ouvrage à trente ans de distance, on a le sentiment d’un décalage avec la société que nous connaissons. Si Thévenot était encore vivant écrirait-il que le couple homosexuel ne peut être LA « solution » ? En effet, nous dit-il, « dans la mesure où le couple homosexuel met en oeuvre une dénégation de la différence sexuelle, dans cette mesure (italiques dans le texte) les personnes ressentent, après quelques temps, un malaise psychologique assez important » (p. 293). Thévenot est prudent : il rend compte de la diversité des situations et admet – ô scandale pour le magistère romain – que « des sujets », dans « telle période de leur vie », puisse vivre au moins provisoirement une relation de couple.

Xavier Thévenot a ainsi ouvert une voie. Il est temps que d’autres théologiens moralistes catholiques prennent le relais en partant, comme le dit saint Thomas, de l’expérience et de ce qui est.

Désormais, je publierai un article toutes les deux semaines 

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5 réponses à Des chrétiens homosexuels

  1. Ismael dit :

    Merci pour votre article très instructif sur le sujet. Je pense que les développements de la théologie morale du Christianisme auront des impacts significatifs dans la formulation ‘de ce qui est’ -pour reprendre le mot de St. Thomas- dans l’approche des théologiens musulmans d’aujourd’hui. En attendant de vous lire avec impatience, je vous souhaite une bonne journée. Amitiés. Ismael.

  2. GRELET Yves dit :

    Merci à Martine Sevegrand pour son travail, rigoureux comme toujours, et grandement instructif pour beaucoup.
    Sa compétence d’historienne, ne la prive pas d’un humour utile sur un sujet si piégé…
    J’espère que beaucoup pourront comme moi réécouter cette excellente émission du14 janvier 2013 – sur France Inter (qui vient enfin de sortir de son extinction de voix).
    Bravo aussi à Jean Lebrun pour « La marche de l’histoire » lundi au vendredi de 13h30 à 14h qui est alerte et efficace.
    Amitiés Yves Grelet

  3. Pascal Jacob dit :

    Quelques réserves sur Thévenot, extraites de mon livre « La morale Chrétienne est-elle laïque ? », Artège 2012

    Il faut reconnaître à Xavier Thévenot le mérite de s’être penché de façon approfondie sur la question. Mais il est conduit, par sa méthode, à s’écarter significativement du Magistère, comme le montre l’étude de cas proposée dans Repères Ethiques :
    « Par exemple, un des conjoints d’un couple hétérosexuel se découvre homosexuel, que va-t-il devoir faire pour construire sa vie affective en respectant celle de sa femme ? »
    Est-ce bien la question ? Construire sa vie affective, c’est construire une vie affective ordonnée, sauf à donner dans l’esthétisme moral déjà évoqué.
    La norme universelle est donnée par l’auteur « Accepte-t-il l’interpellation de l’Église qui nous rappelle que l’homosexualité ne peut jamais être prise pour un idéal ? » . Seulement cette norme utopique, vide par définition, ici est inopérante, puisque par hypothèse ici on admet que le conjoint découvre qu’il est homosexuel. Et puis, Thévenot l’a dit, la norme universelle est un idéal vide de contenu. Aussi faut-il se rabattre sur la norme particulière, qui est le fruit de l’expérience dans une société donnée. Mais retenu de parler d’actes volontaires objectivement désordonnés, ou intrinsèquement mauvais, Thévenot se contente de dire que « les actes homosexuels sont toujours des actes marqués d’une limite objective importante » , de telle sorte qu’ils finissent par être acceptables puisque ce n’est qu’une limite.
    « Tout le problème sera donc pour l’homosexuel chrétien de réguler son type spécifique de sexualité sous l’action de l’Esprit Saint » .
    C’est là admettre que l’homosexualité est un « type spécifique de sexualité », ce qui assez discutable.
    Observons cependant qu’un acte objectivement désordonné a beau être régulé, il reste objectivement désordonné. C’est l’enseignement constant du magistère rappelé expressément par persona humana et dont Thévenot admet par ailleurs s’écarter dans sa thèse sur l’homosexualité masculine. Désordonné, dans une éthique du bien, veut dire que l’homosexualité, par sa structure, n’est pas ordonnée au bien de la personne, parce que les actes qu’elle fait poser s’oppose aux exigences de la nature de la personne. Dans une éthique du droit, « désordonné » signifiera au contraire « transgressif », laissant la conscience décider du bien et du mal.
    Il va donc rester la norme singulière. L’auteur donne quelques indications de ce qu’elles pourraient être .
    « …[L’homosexuel est] souvent contraint à faire partie des exclus qui n’ont pas le droit de vivre à visage découvert. Aussi la Bonne Nouvelle du Christ (…) s’adresse-t-elle à l’homosexuel avec une certaine priorité » , mais pourtant ce n’est pas en tant qu’homosexuelle, mais en tant qu’exclue qu’il est question d’une personne. Cela ne permet pas d’affirmer que ce qui est désigné ici comme cause de l’exclusion soit un bien. Le paralogisme là encore est évident. Si le Christ vient d’abord pour les pécheurs, cela ne fait pas du péché un bien ni du fameux felix culpa un cri de reconnaissance pour l’existence de l’homosexualité.
    On retrouve la même confusion plus loin :
    « [Les homosexuels] ne cessent de répéter que les normes destinées aux hétérosexuels ne leur sont pas toutes applicables telles quelles (…) La fidélité au sens habituel du terme semble alors souvent être hors de portée de l’homosexuel »
    Mais l’Église ne demande pas aux personnes homosexuelles d’être fidèles lpuisque là n’est pas la question. En réalité, l’Église ne reconnaît pas le couple homosexuel, il est donc déplacé de leur demander d’être fidèles. C’est comme si on demandait au mari infidèle d’être bien à l’heure au rendez-vous avec sa maîtresse parce que la ponctualité est une vertu.
    Plus loin, encore : « Je pense que l’orientation homosexuelle est par rapport à l’orientation hétérosexuelle une forme de limite objective, mais que cette limite, loin de faire de l’homosexuel un sous-homme, peut être assumée et régulée par lui de façon telle qu’elle peut être l’occasion de faire grandir sa personnalité d’homme et de croyant. Ainsi verra-t-on des homosexuels dont la vie globale pourra devenir signe pour des hétérosexuels qui mésusent de toutes les richesses de leur orientation sexuelle » .
    Il y a bien évidemment des hétérosexuels qui se droguent ou qui trompent leur femme, mais ce n’est pas en tant qu’ils sont hétérosexuels, car un homosexuel peut en faire autant. Ce n’est pas en tant qu’homosexuel que celui-ci sera meilleur sous un certain point de vue que l’hétérosexuel. Cela ne fait donc pas de l’homosexualité une vertu Tel ivrogne appréciera peut-être mieux un grand cru qu’un homme qui ne boit que de l’eau. Cela ne fait pas de son ivrognerie une vertu .
    Peut-être faut-il se rendre compte que si l’acte homosexuel est un agir objectivement mauvais il ne peut être le lieu d’une croissance de la personne. Il faut bien voir qu’il n’est pas mauvais parce que contraire à la loi morale, ou parce qu’interdit. Il est mauvais parce qu’il porte atteinte à un bien, qui est le bien de la personne. Il n’a donc pas à être régulé, de même que l’amateur de pornographie, même compulsif ou addictif, n’a pas à réguler son agir mais à s’en détourner. Une tendance, lorsqu’elle est mauvaise doit être réprimée par celui qui la reconnaît telle, et c’est alors le renoncement à l’assouvir qui, moralement, s’impose. Et si la volonté est submergée par la tendance, alors il est évident que cela ne rend pas la volonté bonne.
    Si toutefois cela était impossible pour des raisons psychiques, cela retirerait à son acte sa dimension volontaire mais n’autoriserait pas le moraliste à le juger bon, c’est-à-dire objectivement orienté vers le bien authentique de sa personne.
    Il en est de même de l’homosexualité : les actes auxquels elle incline sont désordonnés. En effet, ils privent la sexualité de ce qui la rend humainement bonne, à savoir sa signification de don réciproque et ouvert à la vie d’un homme et d’une femme au sein du lien conjugal. Ils sont de nature morale dans la mesure où ils sont volontaires, et il faut reconnaître qu’un acte compulsif n’est pas nécessairement délibéré ni par conséquent volontaire. Mais la confusion que fait Thévenot entre le psychologique et le moral le conduisent à soumettre l’exigence morale à la recherche de la satisfaction d’une pulsion vécue comme irrépressible.

  4. Pascal Jacob dit :

    A côté de la signification courante (union et procréation), Thévenot aime souvent insister sur le plaisir et sur l’expression de tendresse que peux peut aussi signifier la sexualité. Il y a ici une mauvaise compréhension fondamentale. Le don conjugal, fait d’amour et de tendresse, est rendu visible aux yeux de chacun des époux dans cette union des corps. L’amour et la tendresse qui justifient cette union n’existent cependant que dans la subjectivité de chacun et peuvent se manifester de bien d’autres manières. Les époux peuvent aussi ne chercher dans leur union sexuelle que le seul plaisir. Ce sont là des significations subjectives. Ces significations n’ont pas la même portée. Le langage corporel n’est vrai que si la réalité, à savoir le don conjugal, qu’il est fait pour exprimer est présente. Le plaisir en revanche n’est pas l’élément qui justifie le don conjugal, même si les époux peuvent le rechercher et n’ont pas à le mépriser ou le tenir pour indigne. Tributaire ici de la conception freudienne de la sexualité, Thévenot oppose ensuite cette « finalité » aux deux autres (union et procréation) pour montrer que les trois finalités peuvent être en conflit.
    Il passe ainsi à côté de la spécificité du don conjugal. Car tout amour et toute tendresse, ni toute recherche de plaisir, ne sauraient justifier l’union conjugale. L’exigence propre de l’amour conjugale est ici. De même que, lorsque nous parlons, il nous faut veiller à ce que nos paroles expriment adéquatement notre pensée, de même l’amour s’exprime à travers un langage du corps dont il s’agit de prendre en compte la grammaire. Il y a une vérité de la parole corporelle conjugale, qui ne dépend pas de la seule intention subjective.
    Or justement tout le propos de l’Encyclique est de s’attacher non pas aux significations subjectives que le couple peut produire, mais aux significations objectives de l’acte lui-même. Ces significations ne sont pas, encore une fois, à chercher dans la seule biologie de la sexualité, mais dans la nature de l’homme comme personne, être de relation et de don. Il ne s’agit pas donc des « significations possibles », mais des significations sans lesquelles l’acte perd sa qualité d’acte d’amour conjugal pour ne plus être en effet qu’un acte biologique.
    C’est la raison pour laquelle, incidemment, on se trompe en comparant la sexualité humaine à la « sexualité » animale. Celle-ci n’a pas d’autre signification que la procréation, à laquelle peut s’ajouter la recherche du plaisir chez certaines espèces. Sans doute l’animal est-il même capable d’une certaine tendresse. Mais en aucun cas l’accouplement animal ne signifie le don mutuel des animaux, tout simplement parce que l’animal n’est pas une personne.

    • Martine Sevegrand dit :

      Je réponds avec plaisir à votre commentaire. En fait, vous reprenez la doctrine du Magistère (avec un grand M). C’est votre droit. Pour ma part, je pense que depuis Humanae vitae (1968), le Magistère a conduit l’Église dans l’impasse et l’a coupée de ses fidèles.
      Puisque vous citez la déclaration Persona humana (1975) qui rappelait les condamnations, non seulement de l’homosexualité, des relations pré-conjugales et de la… masturbation, « intrinsèquement désordonnée ». Sur Persona humanana, je me permets de vous renvoyer à mon article

      Personna Humana, une déclaration romaine sur la morale sexuelle

      . ( Ecrire l’histoire du christianisme contemporain,ouvrage d’hommages à l’historien Étienne Fouilloux, éditions Karthala, à paraître en avril prochain).

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