Guantanamo : le scandale

Au lendemain de son investiture, en janvier 2009, Barack Obama avait décrété la fermeture de la prison de Guantanamo dans un délai d’un an. Le président a cherché, à la fin de 2009, à transférer les détenus dans une prison de sécurité maximale à Thompson, dans l’Illinois, où des procédures régulières pourraient être appliquées. Mais le Congrès a bloqué ce changement et, depuis lors, rien n’a changé.

Depuis l’automne 2001, 770 prisonniers ont été détenus comme « combattants illégaux », ce qui permettait de les priver des droits prévus par les IIIe et IVe conventions de Genève. De 2001 à 2004, plus de 200 ont été relâchés et, parmi eux, beaucoup ont été jugés dans leur pays d’origine. Il est apparu aussi que certains détenus avaient été vendus aux Américains qui offraient une prime de 5.000 dollars à ceux qui, en Afghanistan, leur livraient des Arabes. Un Marocain, cuisinier en Grande-Bretagne, a été victime de ce sinistre trafic. Alors qu’il était en voyage d’affaires au Pakistan, à la fin de 2001, pour pouvoir payer les frais d’une opération chirurgicale à son fils, il entra en Afghanistan et fut enlevé par la Coalition du nord qui le vendit aux Américains. Il fallut une enquête du Times, en 2007, pour que son innocence soit reconnue et qu’il soit libéré. Bien entendu, les autorités américaines ne dédommagent nullement leurs victimes.

Ils ne sont plus aujourd’hui que 166 détenus. Trois ont été condamnés pour crime, 7 sont accusés de crime, 24 ont un statut particulier (« pourraient être poursuivis »), 86 sont libérables et pourraient être renvoyés dans leur pays d’origine mais le Congrès bloque leur rapatriement ; enfin, 46 ne sont pas poursuivis mais considérés comme trop dangereux pour être relâchés. Le Haut-commissaire aux Droits de l’Homme des Nations Unies vient de déclarer que le maintien en détention indéfini viole les lois internationales. De surcroît, l’association britannique des droits de l’homme Reprieve a révélé que plus de 60 détenus avaient été capturés alors qu’ils étaient mineurs.

En février dernier, un journaliste du Huffington Post a publié un document significatif sur le camp de Guantanamo : elle possède maintenant un supermarché, un terrain de golf, un McDo, un pub irlandais et des logements sont en construction. Conclusion : il n’est pas question de fermer Guantanamo.

Détenus et gardiens

Les prisonniers sont enfermés dans des cellules individuelles de 2 m sur 2, éclairées continuellement mais l’appel à la prière est annoncé cinq fois par jour par haut-parleur. Les détenus peuvent être interrogés à n’importe quel moment et les témoignages de torture ne manquent pas. Le 10 juin 2006, trois détenus (deux Saoudiens et un Yéménite) ont été, selon l’administration américaine, retrouvés pendus dans leur cellule ; la thèse du suicide est d’autant plus fragile que les prisonniers sont surveillés individuellement 24 heures sur 24.

Si certains gardiens se comportent de manière sadique, Nesweek a annoncé, au printemps 2009, la conversion à l’islam d’un gardien, au contact d’un prisonnier. Pendant six mois, Hold Brooks fut de service de nuit et entama la conversation avec Ahmed Errachidi qui parlait un anglais parfait ; il se mit à lire des livres sur l’islam puis, une nuit, il demanda à Errachidi de lui transcrire en anglais les paroles de la Chahada qu’il prononça ensuite à haute voix. Son changement de comportement alerta ses collègues gardiens qui le mirent en quarantaine ; il fut rapatrié sur le sol américain quelques mois plus tard et quitta l’armée plus tôt que prévu.

Un autre ancien gardien a fait, en 2007, avec d’anciens détenus, une tournée de conférences en Europe pour dénoncer le camp de Guantanamo.

La grève de la faim des détenus

Emprisonnés pour beaucoup depuis plus de dix ans et sans espoir, ni de libération ni de procès, des dizaines de prisonniers ont entamé une grève de la faim, certains depuis le début de février. Ils sont aujourd’hui plus de 100. Comme Obama a bien averti qu’il ne devait pas y avoir de mort, l’administration du camp procède à l’alimentation forcée, deux fois par jour, de 45 d’entre eux. Cette pratique est une véritable torture : le détenu est attaché sur une chaise, pieds et mains liés, et une sonde introduite par le nez descend jusqu’à l’estomac pour l’alimenter.

Pour dénoncer cette pratique, un rappeur américain, Mos Def, vient de se soumettre au même sort en se faisant filmer par l’ONG britannique Reprieve qui lance une campagne de soutien en faveur des grévistes de la faim de Guantanamo. Sur internet, on peut voir le rappeur subir cette terrible expérience et se débattre. Il a déclaré ensuite : « La première partie n’est pas si terrible, mais après il y a cette brûlure. Comme si quelque chose entrait dans mon cerveau et ressortait par ma gorge. C’est insupportable. »

Cette grève de la faim semble avoir réveillé l’intérêt des Américains et même quelques consciences pour Guantanamo. Tandis que les procureurs du département de la justice ont affirmé que ce procédé d’alimentation forcée était « humain », les avocats de quatre détenus ont argumenté qu’il s’agissait d’une violation des droits humains. Depuis le début de l’année, des manifestations ont eu lieu à New York, San Francisco, Los Angeles et Chicago pour exiger la fermeture de Guantanamo. A Washington, devant la Maison Blanche, neuf manifestants vêtus de la combinaison orange des prisonniers ont représenté les neuf détenus morts à Guantanamo ; « Je suis mort en attendant la justice », proclamait une pancarte. Des sénateurs commencent à s’émouvoir. Au centième jour de cette grève, le 18 mai, une pétition signée par 370 000 personnes qui réclamaient la fermeture du camp a été remise au président Obama. Du coup, ce dernier a promis, de nouveau, de fermer Guantanamo et a appelé le Pentagone à désigner un site sur le sol américain où seraient organisés les procès militaires d’exception des détenus restant inculpés.

L’administration américaine ne renonce pourtant pas et a décidé de faire appel à des spécialistes, des médecins israéliens pour qu’ils présentent leurs méthodes de traitement des grévistes de la faim palestiniens. Selon le cinéaste Adam Horowitz, « il s’agit d’un exemple parfait pour illustrer la collaboration entre Israël et les États-Unis dans le cadre de la guerre contre le terrorisme » (sic).

Libération vers des pays d’accueil

Obama a tenté d’obtenir de certains pays, en particulier européens, l’accueil des détenus libérables. En effet, nombre de détenus ne peuvent retourner dans leur pays d’origine de peur d’y être torturés ou emprisonnés. Un diplomate américain, Daniel Fried, a multiplié pendant quatre ans les voyages à l’étranger pour négocier le transfèrement vers les pays d’origine ou d’autres. L’Union Européenne s’est déclarée ouverte, chaque pays restant maître de sa décision. La France, le Royaume Uni, le Portugal et l’Espagne en ont accepté le principe mais d’autres pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suède, la Pologne et l’Autriche se sont montrés réticents. On remarquera que les États-Unis qui sont à l’origine du problème n’envisagent pas, sous la pression des Républicains et d’une partie de l’opinion, d’admettre certains de ces détenus, même reconnus innocents.

L’Irlande a été le premier pays à accueillir deux anciens détenus. D’autres ont été admis en Espagne, en Slovaquie et la France en a accueilli deux, d’origine algérienne, en leur accordant des titres de séjour. Le premier, Saher Lahmar, 39 ans, arrêté en Bosnie en 2001 et libérable depuis novembre 2008, a été reçu en France en décembre 2009. Wikileaks a révélé, hélas, que le geste de Paris n’a pas été totalement désintéressé et qu’un « accompagnement en argent » a sans doute eu lieu. Cependant, la France refuse depuis plusieurs années d’accueillir un troisième Algérien, Nabil Hadjarab, qui a pourtant grandi dans notre pays et y a toute sa famille. Son itinéraire est instructif : il a été arrêté à l’hôpital de Jalalabad où il aurait été vendu aux Américains. En septembre 2010, le Quai d’Orsay avait fait savoir qu’il refusait d’accueillir Nabil. Les démarches ont repris avec le changement de gouvernement.

Au chapitre des scandales hexagonaux, la France continue à retenir prisonnier Georges Ibrahim Abdallah et son cas laisse bien peu d’espoir. Ce Libanais, membre du Front populaire de libération de la Palestine, a été condamné en France à la perpétuité par un tribunal spécial anti-terroriste pour deux attentats commis en 1982, celui d’un attaché militaire de l’ambassade américaine à Paris et celui d’un responsable du Mossad en France. Mais sans preuves. Le procureur général avait requis une peine de dix ans, mais le tribunal a suivi la partie civile américaine réclamant la perpétuité. Après quinze ans de détention, un simple arrêté administratif du ministère de la Justice peut, selon le code pénal, autoriser la libération du détenu. Depuis novembre 2003, Abdallah est donc libérable à condition qu’il quitte immédiatement le territoire français pour rejoindre son pays, le Liban, qui d’ailleurs le réclame. Or, depuis dix ans, il est retenu en prison. Au début de cette année, le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, a refusé de signer l’ordre d’expulsion. Abdallah est donc emprisonné depuis 29 ans sans que l’opinion française et les médias s’en émeuvent.

La grande démocratie américaine a Guantanamo et la France, pays des droits de l’homme, détient un des plus vieux prisonniers politiques du monde.

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