Vie de prêtre (8) : Jean Viollet

Il est né le 3 février 1875 à Paris, dans une famille de petite bourgeoise ; son père, Paul Viollet, enseignait l’histoire du droit à l’école des Chartes. Monarchiste comme de très nombreux catholiques, il venait de rallier à la République en 1875. Jean est un enfant remuant et un élève médiocre qui inquiétait ses parents. Il voulut pourtant rentrer au séminaire d’Issy à 20 ans, en 1895. Il y est déçu par l’enseignement scolastique dispensé, troublé par la condamnation de l’abbé Loisy. Surtout, c’est le temps de l’affaire Dreyfus et son père fait partie des quelques catholiques qui se prononcent en faveur du capitaine. Jean Viollet lui-même ne cache pas au séminaire ses convictions dreyfusardes et fait scandale. Il n’est pas ordonné en décembre 1900 comme ses camarades. C’est en 1901 qu’il est ordonné en moins d’un mois sous-diacre, diacre et finalement prêtre, le 20 octobre, dans une cérémonie privée. Il est alors nommé vicaire à la chapelle Notre-Dame-du-Rosaire, rue de Vanves, dans le quartier déshérité de Plaisance… mais sans traitement versé par le diocèse ! C’est dire combien il apparaît suspect aux yeux des autorités ecclésiastiques. Il ne s’entend pas avec le curé et est affecté comme aumônier – mais de quoi ? – à la paroisse Saint-Pierre de Montrouge. Lui-même habite bientôt un appartement au 86 rue de Gergovie.

Les œuvres du Moulin-Vert

Dès 1902, il crée la Société du logement ouvrier (ALO) et l’Association ouvrière familiale (AOF), des œuvres qu’il a voulu indépendantes de la paroisse, ce qui le rend suspect aux yeux de nombreux catholiques. Leur siège en est fixé rue du Moulin-Vert et donnera bientôt son nom à toutes ses œuvres sociales. L’abbé Viollet a d’ailleurs obtenu de l’archevêque d’avoir le statut de « prêtre libre », ce qui signifie qu’il est déchargé de toutes les obligations de vicaire de paroisse pour se consacrer entièrement à ces œuvres sociales1. Dès 1910, la Préfecture de la Seine publiait un décret de reconnaissance publique en faveur de l’ALO dont l’objectif était de « fixer les familles nomades et de leur donner le goût du logis ». Le chef du bureau d’hygiène de la Ville de Paris reconnaissait qu’il était plus utile d’apprendre à tenir son ménage que de donner de l’argent.

La société du Logement ouvrier décida en 1911 de participer à la construction d’HBM destinés à des familles de 3 enfants au moins. Puis, en 1912, Viollet créait, grâce à des capitaux de notables, sa propre société d’HBM : « l’Habitation familiale » ; celle-ci construisit la « Cité Daviel », soit 40 maisons ouvrières dans le XIIIe arrondissement, sur la Butte-aux-Cailles.

Infatigable, l’abbé Viollet n’hésitait pas à porter la contradiction dans les conférences publiques organisées par des socialistes ou des libres penseurs. Ce fut le cas, le 20 mai 1903, lors de la conférence d’un ex-abbé, Victor Charbonnel, directeur d’un hebdomadaire anticlérical, en plein faubourg Saint-Antoine. Il conquit la sympathie du public et fut applaudi. La presse fit un large écho à l’événement et l’abbé, devenu célèbre, reçut de multiples invitations pour ce genre d’interventions contradictoires qui durèrent jusque dans les années vingt, toujours sur les questions de morale et en particulier sur la morale sexuelle mais jamais sur des questions politiques. L’archevêque de Paris était réticent mais ces interventions de Viollet démontraient aux catholiques qu’il était bien l’un des leurs.

La guerre et ses conséquences

Notre abbé se retrouva aumônier d’un corps d’armée. En 1917, au moment où des mutineries se produisirent, trois malheureux soldats furent condamnés à être fusillés et on lui demanda de les y préparer. Deux d’entre eux, chargés de famille, furent finalement graciés mais le troisième, un célibataire, fut exécuté.

L’abbé Viollet a lui-même expliqué dans ses souvenirs comment, lors d’une permission en 1918, il discuta du problème familial avec M. Chaptal, curé de Notre-Dame-du-Travail. A l’automne 1918, l’Association du Mariage chrétien (AMC) était créée avec Chaptal et Jean Verdier, alors supérieur du séminaire des Carmes. Chaptal devint président de l’AMC, Verdier vice-président et Jean Viollet le secrétaire-trésorier2. Un Bulletin fut créé dont le premier numéro parut le 15 octobre 1918 et annonçait l’objectif de l’association : relever la famille, « et plus particulièrement la natalité » en enseignant les lois de la morale conjugale. L’AMC voulait préparer la jeunesse à « la grande vocation du mariage » et les époux à « rester fidèles aux lois du mariage ». Il s’agissait bien, cette fois, d’une œuvre confessionnelle. Comme beaucoup d’autres, l’abbé Viollet avait été frappé par la dénatalité française qui avait mis le pays en situation de faiblesse face à l’Allemagne. Mais il n’était pas question, pour lui, de céder au natalisme de l’Alliance nationale pour l’Accroissement de la population française créée par le docteur Jacques Bertillon : il s’agissait d’enseigner les lois chrétiennes du mariage qui inclut la chasteté.

L’Association du Mariage chrétien

Malgré l’approbation d’une dizaine d’archevêques et d’évêques, le démarrage de l’AMC fut lent. Chaptal était nommé évêque-auxiliaire de Paris en 1922 et Verdier archevêque de Paris en 1929 ; l’abbé Viollet fut longtemps seul à mener l’AMC. Ce n’est qu’en 1929 qu’il obtint un premier prêtre collaborateur puis l’abbé Bragade pour le seconder. Il demandait aussi des conseils au docteur Raymond Duval-Arnoult. Pourtant, dès 1925, le Bulletin de l’AMC éclatait en publications spécialisées : Pour les parents et les éducateurs, Le prêtre et la famille, Pour les jeunes gens, Pour les jeunes filles. De 1923 à 1939, il organise chaque année un congrès sur un thème. Par exemple, Mariage et éducation, La crise du mariage, La famille face aux difficultés de la vie, L’Église et l’éducation sexuelle (1929). L’abbé Viollet attirait dans ces congrès les meilleurs moralistes de son temps et des médecins catholiques. Les contributions de chaque congrès étaient ensuite publiées en livre. Lui-même publia quantité de livres et brochures. Citons-en quelques-uns : La morale familiale (1923), Éducation de la pureté et du sentiment (1925), La bonne entente familiale (1927), Le mariage (1932), La loi chrétienne du mariage. Prescriptions et défenses (1936). L’abbé dut donc fonder une maison d’éditions, les Éditions familiales de France.

En 1930, l’encyclique Casti connubii apparut comme une approbation solennelle de l’action engagée par l’AMC et, en 1932, le cardinal Verdier recevait une lettre de Mgr Pacelli qui encourageait l’apostolat familial. L’AMC fut reconnue comme l’Action catholique familiale.

Une Ménie Grégoire avant l’heure

L’abbé Viollet recevait un gros courrier auquel il répondait sans doute discrètement3 mais certaines lettres étaient publiées dans une des revues accompagnées d’une réponse. Quelle audace ! Ces lettres témoignent des cas de conscience des catholiques les plus fervents : qu’est-ce qui est permis et qu’est-ce qui est défendu ? Péché mortel ou simple péché véniel ? La limitation des naissances posait évidemment une énorme question à ces catholiques. Avant 1930, les catholiques ne pouvaient respecter la « loi chrétienne du mariage » que par la continence totale que l’abbé Viollet prônait dans ses livres et revues. Il perçut longtemps la méthode Ogino comme une méthode suspecte par les facilités qu’elle offrait aux couples. Mais il découvrit bientôt qu’elle n’apportait pas une solution pour les couples chargés d’enfants. Si bien qu’après la guerre, l’abbé Viollet qui a 70 ans fut moins sûr de lui et tâtonnait comme beaucoup d’autres moralistes. Il reçut alors l’aide du chanoine Garail venu de Bordeaux.

L’essor des œuvres du Moulin-Vert

Les œuvres du Moulin-Vert se développèrent dans les années après la Première guerre mondiale. Il créa une nouvelle société d’HBM qui, cette fois, construisit une cité-jardin à Vitry-sur-Seine. En 1926, 101 pavillons sont achevés et habités par 7 à 800 personnes, avant d’atteindre les 253 logements. L’année suivante, Viollet a réuni les fonds nécessaires à la construction d’une maison sociale au coeur de la cité avec dispensaire, bibliothèque, jardin d’enfants et salle des fêtes. Les locataires s’étaient regroupés en une association familiale au sein de la confédération générale des familles (CGF).

Cette réussite ne pouvait qu’inquiéter les communistes qui avaient conquis la mairie de Vitry dès 1924 et qui, en 1932, y ont fait élire député Maurice Thorez. De surcroît, l’abbé Viollet avait construit une église près de l’école communale ! Les communistes tentèrent de provoquer des grèves des loyers et de prendre le contrôle de l’Association familiale du Moulin-Vert. En vain. Mais en 1945, ils occupèrent la Maison sociale.

Pour la santé de la famille, Viollet créa aussi l’oeuvre du « Retour à la santé » comprenant des maisons de repos, deux sanatoria et des colonies de vacances. C’est dire l’activité extraordinaire de notre abbé.

L’abbé Viollet dans la guerre

Pendant la « drôle de guerre », il put, en tant que membre du conseil supérieur de la Natalité, organiser aux troupes stationnées autour de Metz et Sedan des conférences sur la femme, le sexe, l’amour ; elles furent très appréciées. Après la débâcle, il quitta Paris et n’y revint qu’au milieu de 1941. Mais son adjoint à l’AMC, l’abbé Bragade, avait été tué. Il adhéra au mouvement de résistance « Témoignage chrétien », participa au réseau « Jade Amicol » et fut décoré au lendemain de la guerre. Plus tard, on découvrit qu’il avait sauvé au moins un couple de juifs polonais et il reçut à titre posthume la médaille des Justes.

L’abbé Viollet meurt en 1956. Le chanoine Garail tenta de sauver l’AMC : il n’y parvint pas car l’épiscopat voulait récupérer l’immeuble de la rue de Gergovie pour le vendre et transformer l’AMC en Secrétariat national de la pastorale nationale. Quant aux œuvres du Moulin-Vert, elle survécurent à l’abbé Viollet.

1Je puise mes informations dans l’ouvrage de l’historien Mathias Gardet, Jean Viollet et l’apostolat laïc. Les œuvres du Moulin-Vert (1902-1956), Beauchesne, 2005, 355 p.

2Sur l’action de Jean Viollet à l’AMC, on lira mon ouvrage L’amour en toutes lettres, Albin Michel, 1996, 335 pages.

3J’ai publié une centaine de ces lettres inédites dans mon ouvrage déjà cité.

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