Il a fallu ces dernières élections pour qu’on s’interroge sur nos institutions politiques : 51, 29 % d’abstention au premier tour des Législatives et 57,4 % au second tour. « Record historique », a-t-on écrit. En effet, en 2012, l’abstention n’avait atteint que 44,6 %. Les journalistes qui se veulent rassurants ont évoqué la lassitude des électeurs, la forte chaleur, le ramadan, le sentiment des citoyens qu’avec la Présidentielle, les jeux étaient faits voire, à mots couverts, la frivolité des électeurs. D’autres, pourtant, ont souligné que l’abstention touchait certaines catégories beaucoup plus que d’autres : les jeunes (74 % des 18-24 ans) et les classes populaires : ouvriers (69%), employés (65%), professions intermédiaires (63%) tandis que les cadres et plus encore les retraités hésitent moins à voter malgré la chaleur de ce dernier dimanche. Au point que des politologues parlent d’un retour au suffrage censitaire !
La montée de l’abstention et des votes nuls
Au début de la Ve République, en 1958, les abstentionnistes n’étaient aux Législatives que 23 % et le taux diminua même à 17 % en 19781. Mais à partir de 1986 le taux d’abstention s’envole. Et les autres élections (européennes et régionales) connaissent aussi une très forte désertion ; seules les élections municipales, les plus proches des citoyens, résistent mieux à la désaffection.
Il faut y ajouter, bien sûr, les votes blancs et nuls que l’on n’a comptabilisé qu’au second tour de la dernière Présidentielle (11,49%) ; en revanche, reportez-vous, aux résultats des Législatives de 2012, vous ne verrez indiquer que le nombre des inscrits, celui des votants et des exprimés. Comme si les citoyens qui se déplaçaient aux bureaux de vote tout en refusant de choisir entre les candidats proposés ne comptaient pas ! A ces taux inquiétants il faut ajouter plus de 3 millions de citoyens qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales.
Comment ne pas s’interroger sur la légitimité démocratique de tous nos élus, du président élu avec 24 % seulement de votes en sa faveur (le deuxième tour n’ayant été qu’un vote de rejet) à des députés victorieux avec plus de 65 % d’abstention ? C’est le cas aussi bien d’un macroniste au Raincy, Stéphane Teste, avec 66,9 % d’abstentions plus 2 220 nuls et blancs que de Jean-Luc Mélenchon, élu à Marseille avec 64,2 % d’absents plus 1 450 nuls et blancs.
Comment croire qu’on pourra sauver la démocratie française avec quelques réformettes, du genre comptabiliser les votes nuls et une petite dose de proportionnelle ? Cette dernière aurait, certes, le mérite de masquer les injustices les plus criantes. La plus spectaculaire concerne le Front national qui, avec 4 millions 680 000 voix au premier tour des Législatives n’obtient que 8 députés alors que En Marche, avec 6 millions 391 000 voix obtient 308 députés.
Combien d’inscrits pour un député ?
Ces anomalies sont, bien sûr, le résultat du scrutin par arrondissement majoritaire à deux tours et ce n’est pas pour rien que nos journaux n’annoncent triomphalement que les % des résultats et non les voix obtenus par les divers partis : le citoyen ne doit s’apercevoir de rien ! De surcroît, le découpage des circonscriptions aboutit à des inégalités flagrantes. Longtemps, on a accordé 2 sièges de députés par département ; ce n’est plus le cas aujourd’hui puisque la Creuse et la Lozère n’ont plus qu’un député. Alors que la plupart des circonscriptions ont entre 60 et 100 000 inscrits – la fourchette est déjà très large ! – on relève cependant que 18 circonscriptions ont de 52 à 59 000 inscrits et les deux du territoire de Belfort n’atteignent pas chacune les 48 000 inscrits. La visée politique est aussi évidente en Corse, divisée en deux départements élisant chacun deux députés. Mais il y a aussi 21 circonscriptions de plus de 100 000 inscrits ! Si bien qu’on peut écrire que le député élu à Yvetot représente autant de citoyens inscrits que les deux députés d’Ajaccio et de Sartène !2
On sait que le pouvoir voudrait réduire le nombre des députés : pourquoi pas, mais on a tout à craindre d’un redécoupage partisan. Si notre mode de scrutin doit être remis en cause, il faut éviter le scrutin à la proportionnelle intégrale qui donne des assemblées ingérables ; Israël fournit un exemple très négatif de ces majorités obtenues par le chantage de petits partis qui, au final, dictent leur loi. D’autres modes de scrutin existent et doivent être discutés.
Questions institutionnelles
Au-delà du mode de scrutin, un grand changement institutionnel est devenu urgent. Rappelons d’abord, les conséquences désastreuses de la réforme décrétée par Lionel Jospin en 2002. Au nom de « la logique des institutions » il a inversé le calendrier : les Présidentielles en premier, puis les Législatives. Il pensait, évidemment, en être le bénéficiaire. On connaît la suite, pas seulement l’échec du candidat socialiste au premier tour de 2002 mais, plus encore – et on l’a remarqué ces temps-ci -, qu’on amène ainsi les électeurs à donner une majorité parlementaire au Président. Résultat : notre pays est privé de contre-pouvoir. Les États-Unis ont beau avoir un régime présidentiel, on constate, en particulier avec Trump que ce dernier ne fait pas ce qu’il veut. Même ses ministres doivent passer devant le Congrès avant d’entrer en fonction. Ce pays qui a un régime présidentiel a justement prévu des contrôles efficaces.
Rappelons donc l’origine de nos institutions françaises. La constitution de 1958 était, certes, ambigüe et plusieurs articles donnaient de larges pouvoirs au président de la République (comme cet article 16 que seul de Gaulle a utilisé une fois mais qui reste dans l’arsenal des armes absolues à la disposition du président) ; mais elle maintenait un régime parlementaire. Le gouvernement est responsable devant l’Assemblée nationale qui, par ailleurs, vote les lois et le budget. La pratique a amené un renforcement du pouvoir présidentiel avec de Gaulle, qui, par exemple, s’est attribué un « domaine réservé », la diplomatie ; vous chercherez en vain un tel pouvoir dans la Constitution. La dérive a été consommée avec la réforme institutionnelle de 1962 décidant de l’élection du président au suffrage universel. On s’écriera que les Français ne supporteraient plus de ne pas élire leur président. A mon sens, là n’est pas le problème : il ne s’agit plus de rafistoler mais de changer les bases même de notre République, de rendre au peuple un droit de regard sur ceux qu’il a élus. Est-il démocratique d’élire quelqu’un sur un programme et de devoir attendre la fin de son mandat pour le sanctionner ? Il y a là une aberration qui, après des expériences répétées, a détourné de la politique nombre de nos concitoyens. On ne restaurera pas la démocratie française sans instaurer un droit de révocation, par exemple, à mi-mandat.
Il est clair aujourd’hui que nombre d’élus s’efforcent d’étouffer cette immense question. Aux citoyens que nous sommes d’ouvrir le débat.