Etats-Unis : un monde carcéral monstrueux

Les États Unis, qualifiés souvent de plus grande démocratie du monde, battent tous les records avec environ 2,3 millions de prisonniers en 2010, soit un taux de 7 % d’incarcérés, le taux le plus élevé du monde avant même la Chine !

En 1975, il n’y avait encore que quelques 240.000 détenus dans les prisons américaines ; on passe à 1 million en 1990 et à 2,3 millions en 2010 dont 138.000 femmes. Aujourd’hui, 25 % des prisonniers dans le monde sont internés aux États Unis alors que les habitants de ce pays ne représentent que 5 % de la population du monde. Ajoutons que la moitié de ces prisonniers sont des noirs et 25 % des latinos.

Comment en est-on venu là ?

Divers facteurs expliquent cette inflation carcérale. Il y a d’abord le trafic de drogue : en 2004, 25 % des prisonniers étaient des trafiquants ou des consommateurs. Ensuite, la politique de la « tolérance zéro », développée par deux universitaires conservateurs, a beaucoup contribué à remplir les prisons. Selon cette théorie, si l’auteur d’une petite infraction n’est pas puni immédiatement, il va récidiver et dériver progressivement de la délinquance au crime. Pas question de tenir compte des circonstances qui atténueraient la responsabilité du délinquant. Cette doctrine fut d’abord appliquée à New York, à partir de 1994, par son maire, Rudolph Giuliani puis s’est étendue à d’autres États. Treize d’entre eux ont voté une loi obligeant les juges à condamner à la perpétuité un délinquant pour un délit, même mineur, si les deux précédents sont « sérieux » ou « violents ». Les lois votées ont aussi imposé des sanctions minimales. Les mineurs n’ont pas échappé à ces mesures draconiennes. Dans une étude de 2005, Amnesty international précisait qu’il y avait au moins 2.225 détenus, mineurs au moment des faits pour lesquels ils avaient été condamnés, qui purgeaient une peine de prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle. Cette situation est, certes, contraire à la Convention Internationale des droits de l’enfant… mais les États Unis n’ont pas ratifié cette Convention.

Quant aux femmes détenues, un tiers d’entre elles environ sont emprisonnées pour usage de drogue mais nombreuses aussi sont celles qui sont incarcérées pour avoir tué un mari qui les maltraitait ou un violeur : la légitime défense ne leur a pas été reconnue. Des milliers d’enfants sont donc nés en prison et enlevés à leur mère dans les deux ou trois jours suivant l’accouchement ; comme, très souvent, le père est absent, ils sont proposés à l’adoption.

La prolifération des prisons

Pour faire face à l’accroissement des détenus, les établissements pénitentiaires ont « fleuri » dans tous les Etats. Ils relèvent de trois statuts différents : les prisons fédérales, celles relevant des États et celles relevant d’une administration privée car, à partir des années quatre-vingt, avec les présidents Reagan puis Bush et Clinton, nombre d’entre elles ont été privatisées.

En Pennsylvanie, par exemple, on compte 9 prisons fédérales et 28 prisons d’État. Et une nouvelle prison est en construction. Elles sont surpeuplées au point qu’en Californie, malgré l’existence de 33 prisons, les autorités ont dû réquisitionner des gymnases pour les transformer en dortoirs en alignant des centaines de lits.

L’industrie pénitentiaire

Les détenus travaillent à des tarifs très bas et ce sont évidemment les travailleurs internés dans les prisons privées qui sont les plus exploités : 17 cents de l’heure pour un maximum de 6 heures, soit un salaire de 20 $ par mois. Les prisons fédérales sont les plus généreuses : 1,25 $ de l’heure, la possibilité de travailler 8 heures et de faire des heures supplémentaires, ce qui permet d’atteindre 200 à 300 $ par mois.

Avec de tels tarifs, les prisonniers constituent une main d’oeuvre idéale pour les industriels. Au moins 37 États ont légalisé le recrutement de prisonniers par des entreprises ; parmi elles, on relève les noms d’IBM, Boeing, Motorola, Microsoft, Hewlett-Packard, etc. Le travail des détenus revient si peu cher qu’une maquiladora du Mexique a arrêté toutes ses activités pour les transférer à la prison de San-Quentin, en Californie.

L’industrie pénitentiaire est devenue, avec plus de 500.000 travailleurs, le deuxième employeur du pays après la General Motors. Elle a ses propres catalogues pour commandes par correspondance ou internet, ses sites web, ses expositions commerciales.

On comprend pourquoi, alors que le taux des actes de violence a diminué de 20 % en moins de dix ans, entre 1991 et 2000, le nombre de personnes incarcérées a augmenté : certains ont intérêt à accroître la population carcérale.

Ajoutons que les détenus, hommes et femmes, peuvent être loués aux collectivités locales pour réaliser des travaux d’entretien et doivent travailler enchaînés. En Alabama et en Arizona, on a assisté à ce spectacle d’un autre âge destiné, selon ses promoteurs, à dissuader les criminels potentiels.

Des prisons donc des emplois

Nombre de petites villes vivent d’ailleurs du système pénitentiaire. Ainsi, au Texas, pour Huntsville (35.000 habitants) les sept prisons avec leurs 15.000 prisonniers donnent du travail à 5.000 gardiens ; une famille sur deux a un de ses membres vivant de cette industrie un peu particulière. Et ces dix dernières années, le gouvernement américain aurait dépensé plus d’argent à construire des prisons que des universités. Dans l’État du Colorado, la construction de la prison de haute sécurité nommée Florence ADMAX, destinée à héberger les détenus jugés les plus dangereux et, en particulier, les terroristes islamistes, a été bien accueillie dans une région subissant la crise économique. Pourtant, le comté de Fremont comptait déjà 9 prisons… Certaines hébergent d’ailleurs des prisonniers venus d’autres États.

Faut-il préciser que la situation sanitaire dans ces établissements est très dégradée comme l’a remarqué un rapport d’Amnesty international ? En Californie, des milliers de détenus ont fait une grève de la faim pour obtenir de meilleurs conditions de détention.

Certes, depuis 1973, des médecins n’ont plus le droit de faire des expérimentations sur des prisonniers. Devant le Congrès, les responsables de l’industrie pharmaceutique avaient alors reconnu que les prisonniers étaient moins chers que les chimpanzés. Mais il reste des tortures bien plus subtiles comme les détentions prolongée à l’isolement, pendant des mois voire des années, dans des cellules de moins de 8 m2, où la lumière est allumée en permanence, et sans contact avec l’extérieur. Les conséquences psychiques peuvent être irréversibles.

Un sociologue américain, Elliott Currie, affirme : « La prison fait partie de notre univers quotidien à une échelle sans précédent dans notre histoire (…) L’incarcération massive est le programme social le plus efficacement appliqué de notre époque. »

Je n’ai pas évoqué la peine de mort qui est encore appliquée dans 33 États sur les 50 que comptent les États-Unis. J’aborderai cette dramatique question dans un article ultérieur.

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Un grand théologien moraliste : Pierre de Locht

deLochtJe me propose, de temps à autre, de présenter une personnalité catholique, autant que possible francophone, qui a joué, au XXe siècle un rôle très positif.

Je commence aujourd’hui par un moraliste belge que j’ai bien connu. Il fut le premier témoin et acteur que j’ai consulté quand j’ai commencé à travailler sur mon sujet de thèse, les catholiques français et la limitation des naissances du début du XXe siècle jusqu’à l’encyclique Humanae vitae. Je puis dater exactement notre premier entretien de février 1987 puisqu’il me dédicaça à cette occasion, Les couples et l’Église, un livre dans lequel il expose son engagement jusqu’à la tristement célèbre encyclique. Il m’ouvrit ensuite ses abondantes archives conservées à son domicile à Bruxelles, rue de la Prévoyance.

Prêtre du diocèse de Bruxelles, Pierre de Locht a 30 ans quand il se voit sollicité en octobre 1946 pour prêcher une récollection à l’équipe de foyers qui dirigeait la revue des Feuilles Familiales. Alléguant son incompétence, il commença par se dérober : il avait un doctorat de théologie dogmatique qui ne le préparait nullement à jouer ce rôle. Pourtant, il finit par accepter et s’impliqua dès lors complètement.

Partant de conceptions très traditionnelles, la découverte de jeunes couples profondément attachés à l’Église bouleversa son mode de pensée. Il avoua plus tard qu’il n’avait pas cherché à se « draper dans un rôle d’enseignant qui possède « la » vérité, mais à accompagner ceux qui cherchaient à faire la vérité, à vivre la vérité.» Pierre de Locht sortit ainsi de « l’univers clérical et doctrinaire » pour faire « une expérience privilégiée. » Il se mit à l’école du vécu et de la sexualité des laïcs adultes avec l’Évangile comme seule boussole. Toute sa vie, Pierre maintint cette démarche : il n’y a pas de morale immuable déduite des dogmes ; il affirme que « la vie est un lieu théologique important » et, de surcroît, tandis que la morale traditionnelle ne connaît que les individus, il découvre une entité méconnue, le couple dont l’unité est « un bien fondamental à sauvegarder avec le plus grand soin. »

Il devint en 1959 responsable national de la pastorale familiale belge et spécialiste international de morale familiale. Très vite, il prit la mesure de la grande question qui agitait alors les consciences : comment concilier une limitation des naissances tenant compte des enseignements de l’Église avec l’harmonie du couple ? La question avait pris de telles dimensions que Jean XXIII décidait, peu avant sa mort, en avril 1963, de créer un groupe de réflexion sur les problèmes de la population, de la famille et de la natalité ; on parla bientôt « commission pontificale ». Pierre de Locht est appelé à en faire partie en février 1964 et, tout de suite, il adopte une position très ouverte, d’abord minoritaire puis qui l’emporta au sein de cette fameuse commission. Hélas, Paul VI n’en tint pas compte et publia l’encyclique Humanae vitae. « Jusqu’au plus intime de moi-même, je me suis interrogé durant ces jours. Que me demandait ma loyauté d’homme, de chrétien et de prêtre ? », se demande-t-il. Il choisit de dire ses réticences à l’égard de cet acte du Magistère : il veut être authentique dans son adhésion à l’Évangile alors même qu’il sait qu’il doit s’attendre à bien des difficultés.

Trois mois plus tard, il écrit : « Nombreux sont ceux qui n’attendaient ni un oui ni un non (sous-entendu : aux méthode contraceptives), mais une réponse qui, sans condamner les uns et approuver les autres, aurait pris le problème de plus haut, au niveau des grandes valeurs de l’amour et du mariage, aidant ainsi chacun à progresser, à aller de l’avant dans son cheminement vers plus de vérité. »

Une voie douloureuse

Dans Morale sexuelle et Magistère, publié en 1992, Pierre de Locht expose les difficultés qu’il a rencontré à Bruxelles même. Dès 1949, Mgr Suenens – archevêque de Malines-Bruxelles mais pas encore cardinal – lui reproche ses perspectives laxistes et ses idées peu sûres concernant la Providence. En 1963, le cardinal Suenens, bon exécutant des consignes du Saint-Office, lui reproche, d’avoir oublié, dans une brochure, la notion de péché. On est pourtant après la première session du Concile !

En 1967, il devient maître de conférences à l’Université catholique de Louvain (UCL). Pierre jouit alors de la confiance d’une bonne partie du clergé et du laïcat comme en témoigne son élection à la présidence du conseil presbytéral de Bruxelles lors de sa constitution en 1969. Mais le synode romain est une énorme déception – et un véritable tournant dans l’Église puisque la majorité conciliaire s’est retrouvée minorité au synode. Trois associations publient alors un texte virulent ; or Pierre de Locht est membre de ces groupes. Convoqué en janvier 1972 à Malines devant les évêques francophones, il est l’objet d’accusations aussi graves qu’imprécises… après douze ans de loyaux services qui n’avaient suscité aucun reproche de fond. On ne lui donne aucune possibilité de s’expliquer et les évêques ne répondent pas à la lettre qu’il leur envoie. Toute relation interpersonnelle est rompue avec ces évêques qu’il connait pourtant si bien. Pierre de Locht rapporte un petit détail qui en dit long sur le comportement épiscopal. Entrant dans un petit restaurant proche de la gare du Nord à Paris, il remarque l’évêque de Tournai, Mgr Himmer, connu pour sa cordialité, mangeant seul; il vient le saluer pensant que l’évêque l’invitera à sa table : il n’en fut rien.

Un an plus tard, un article de La Revue nouvelle identifiait le lieu du conflit : « le lien entre un certain modèle d’autorité et les questions sexuelles débattues. » Le soutien des laïcs qui travaillaient avec Pierre n’y changeait rien.

Le scandale de l’avortement

En janvier 1973, voici Pierre acculé à une nouvelle prise de position. Un médecin qu’il estime est emprisonné pour avoir fait des avortements. Une manifestation de soutien au médecin est prévue à Namur : ira-t-il ? Décision difficile car Pierre ne veut pas provoquer le scandale mais, très sensible aux problèmes spécifiques des femmes, il songe aussi à la condamnation de tant de femmes acculées en conscience à l’avortement et victimes, de surcroît, du déchaînement des « bien-pensants » . Pierre décide de participer à la réunion de clôture du rassemblement et prend la parole : « J’ai rencontré des situations où laisser continuer la grossesse aurait été davantage destructeur de vie. »

Désormais, Pierre de Locht est relégué en marge de la communauté catholique belge. Plus tard, il me dit : « Du jour au lendemain, le téléphone devint silencieux. » Ce prêtre qui avait joué un rôle majeur dans la pastorale familiale et était sollicité de tous côtés, fut ostracisé. Pierre analyse ce qu’il ressentit : pour ma génération, le prêtre n’existe que par l’évêque, dans une relation de dépendance qui seule donne à son ministère sa valeur, sa sécurité, son sens. Pierre a été mis à pied de manière autoritaire, sans jamais avoir pu obtenir un débat de fond, par un évêque, le cardinal Suenens, connu pour ses options novatrices !

En juillet 1974, il apprend que la congrégation romaine des séminaires et universités veut le faire exclure de l’université de Louvain ; les évêques belges étaient chargés de faire exécuter la sentence. Les positions de Pierre sur l’avortement n’étaient pas seules en cause mais aussi ses idées sur les relations pré-conjugales, sur la contraception et l’homosexualité. En effet, Pierre ne s’est jamais autocensuré et a abordé toutes ces questions avec franchise en de multiples occasions. L’affaire traine jusqu’à ce qu’en septembre 1977, le cardinal Suenens lui-même demande à Pierre de démissionner de son poste à Louvain. Il refusa et, après bien des rebondissements, Pierre ne fut pas exclu de Louvain mais le recteur rejeta dès lors toutes ses demandes légitimes de promotion ; Pierre termina sa carrière universitaire avec des appointements équivalents aux deux tiers du salaire d’un manoeuvre de la Régie des télégraphes et téléphone ! Le cardinal Suenens puis son successeur le cardinal Daneels s’appliquèrent à ce que le nom de Pierre disparaisse de toute publication ou notice officielle. Il ne doit plus exister dans l’Église de Belgique. Et Pierre constate, au passage, que « des amitiés que je croyais solides se sont brusquement évanouies »…

Heureusement, il fut soutenu par un grand nombre de ses collègues universitaires à Louvain et, à Bruxelles, par une véritable communauté qui se constitua autour de lui. Tous les matins, il rassemblait quelques amis pour une lecture d’Évangile et, le dimanche, célébrait l’eucharistie.

Pierre continue sereinement son travail de théologien moraliste ; il aborde sans tabous tous les sujets sensibles, la question des divorcés-remariés si maltraités par l’Église ; il publie en 1985 un petit livre sur l’avortement qui est un appel à ouvrir un dialogue vrai et constructif ; il donne un « billet » à la revue Échanges, animée par soeur Vandermeersch ; il n’hésite pas aussi à aborder la question du célibat des prêtres. Il participe avec Mgr Gaillot et Alice Gombault à l’élaboration d’un Catéchisme au goût de liberté (2003).

Au fil du temps, la foi de Pierre de Locht a évolué ; il est heurté par les grandes déclarations de principe, souvent culpabilisantes, et très éloignées de la réalité vécue. Ce n’est pas pour rien que son admirable petit livre publié en 1998 s’intitule La Foi décantée.

Chacun pourra entendre Pierre de Locht dans une émouvante vidéo de la RTBF d’une série  intitulée « Noms de Dieux » (1998, 55minutes)

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Vatican II dépassé ?

 


 

L’hebdomadaire La Vie a publié à la fin de septembre dernier un entretien avec un grand intellectuel, Marcel Gauchet, au sujet de Vatican II. Rappelons qui est Marcel Gauchet  : directeur d’études à l’EHESS (École des Hautes Études en Sciences sociales), rédacteur en chef de la revue Débat  ; il est l’auteur d’un livre important, Le désenchantement du monde (1985) dans lequel il présente le christianisme comme «  la religion de la sortie de la religion», c’est-à-dire une religion qui porte en elle une dynamique de sécularisation. La réflexion d’un intellectuel agnostique peut être stimulante par rapport à notre perception, à condition qu’il connaisse bien l’histoire du catholicisme.

Interrogé sur le concile, Marcel Gauchet affirme d’emblée que Vatican II est «  dépassé  ». Selon lui, le concile a été «  une entreprise de rattrapage tardive par rapport à l’énorme évolution qui s’était jouée depuis un siècle  » mais le monde a continué de bouger et le concile est désormais «  en porte-à-faux  ». Et d’affirmer que le concile a réglé deux problèmes  : la liberté religieuse et la liberté politique  ; il a aussi, concède-t-il, affirmé la vocation de l’Église au coeur du monde en l’ouvrant à la société. Point final  ?

Les apports de Vatican II oubliés par Marcel Gauchet

Si l’affirmation de la liberté religieuse est une grande conquête de Vatican II et une nouveauté dans l’Église, si l’ouverture au monde a été une grande préoccupation du concile, l’oeuvre de Vatican II a été plus vaste et concrète. Ainsi la déclaration sur les relations avec les religions non-chrétiennes (Nostra Aetate) est un texte court mais décisif. Il a radicalement transformé les relations avec le judaïsme et les juifs mais aussi, en reconnaissant que ces religions «  apportent souvent un rayon de la Vérité qui illumine tous les hommes  », il légitime l’oecuménisme et le dialogue interreligieux.

On comprend bien que la réforme liturgique et l’affirmation du «  peuple de Dieu  » par la constitution sur l’Église n’intéressent guère Marcel Gauchet  : elles sont pour nous essentielles  ! Quant à la constitution sur l’Église dans le monde de ce temps (Gaudium et spes), si sa seconde partie sur des problèmes concrets (la famille, l’économie, la paix et la guerre) est largement dépassée, la première partie sur l’Église et la vocation humaine mérite d’être relue et méditée.

Si Marcel Gauchet sous-estime beaucoup, sans doute par ignorance, les apports de Vatican II, il surestime – par naïveté ou calcul  ? – le «  libéralisme  » des évêques français d’aujourd’hui. N’affirme-t-il pas que, par leur discours, les évêques français font de l’Église France «  l’une des plus ouvertes de la catholicité actuelle  »  ?  !

Du «  libéralisme  » des évêques français

Pour nous catholiques, qui suivons les déclarations individuelles et collectives de ces évêques, c’est au contraire le recul de leurs positions et déclarations par rapport au concile qui est évident. Recul par rapport aux évêques du concile et de l’après-concile, les Liénart, Gerlier, Riobé, Huyghe, Le Bourgeois, Guyot, Schmitt, Matagrin, pour ne citer que les plus connus. Aujourd’hui, quand un Mgr Gaillot prend des positions audacieuses, on lui enlève le diocèse d’Évreux et peu, très peu de ses confrères évêques affirment leur solidarité.

Rome qui procède aux nominations, n’a cessé d’ailleurs, depuis plus d’un quart de siècle, de substituer souvent à des évêques conciliaires des évêques plus ou moins, voire très conservateurs. Voyez dans le Trombinoscope de Golias les portraits des évêques actuels. En introduction, Golias remarque que c’est à partir de 1983, sous l’influence de Lustiger, que le profil des nominations change progressivement et s’éloigne de l’esprit de Vatican II.

Aujourd’hui, on le sait, le grand combat de l’épiscopat français dans la société française se concentre sur la défense de la famille traditionnelle  ; l’opposition au mariage pour les homosexuels est devenu un thème de combat. Mais est-il bien nécessaire d’insister  ?

Quelle vision de l’histoire de l’Église  ?

Quand Marcel Gauchet écrit tranquillement que «  la hiérarchie catholique a beaucoup relâché sa volonté d’autorité traditionnelle  », il se dévoile un piètre historien de l’Église. Nous, nous avons expérimenté un retour en arrière étourdissant depuis les années soixante-dix. Faut-il rappeler brièvement l’évolution  ?

Le concile avait changé radicalement le «  climat  » dans l’Église après la glaciation des années cinquante dominées par Pie XII. Les condamnations romaines s’étaient alors multipliées et, en France particulièrement, les intégristes, forts de leur influence à Rome, avaient même souvent intimidé les évêques français. Le concile libéra la parole non seulement à Rome mais aussi dans la presse et parmi les laïcs. Un véritable enthousiasme, un peu naïf d’ailleurs, a régné en ces années conciliaires et post-conciliaires. Le concile entraîna d’indéniables réformes mais il faut bien avouer que l’atmosphère ne tarda pas à se refroidir. Il y eut non seulement l’encyclique Humanae vitae (juillet 1968) mais le synode de 1971 fut une vraie caricature de «  collégialité  » et vit, avec les manipulations de la curie, la «  majorité conciliaire  » devenir minorité. Un vrai tournant comme le souligna à l’époque René Laurentin.

On connaît trop bien la suite pour qu’il soit nécessaire de la raconter. Un exemple pourtant. En décembre 1965, la Sainte congrégation du Saint-Office était remplacée par la congrégation pour la doctrine de la foi dont les procédures devaient permettre aux personnes suspectes de pouvoir se défendre. Cela n’empêcha cette congrégation nouvelle de garder à sa tête le cardinal Ottaviani jusqu’à ce qu’il démissionne de son plein gré en 1968 ni surtout de multiplier les sanctions contre des théologiens. Il faut dire qu’avec le cardinal Ratzinger à sa tête de novembre 1981 à son élection pour succéder à Jean-Paul II, celui que l’on a appelé le «  panzer-cardinal  » a eu le temps de sévir…

Pour toutes ces raisons, proposer aujourd’hui un concile Vatican III me semble vraiment dangereux. Loin d’une «  ouverture sur le monde  », on a assisté à un repli sur le ghetto ecclésial. Mais revenons à Vatican II.

Un concile «  dépassé  » ou un concile point de départ  ?

Les théologiens qui ont «  fait  » Vatican II ne l’ont pas tous idéalisé. Dès février 1965, dans une conférence au centre catholique des intellectuels catholiques, le grand théologien Karl Rahner déclarait que la théologie conciliaire était… dépassée. Selon lui, «  la théologie d’aujourd’hui et de demain devra se faire théologie du dialogue avec les hommes qui pensent ne pas pouvoir croire.  (…) L’on ne pourra échapper à la nécessité de repenser théologiquement ce que le christianisme proclame.» Mais les mêmes théologiens conciliaires ont affirmé que Vatican II était un point de départ, que les textes du concile – qui étaient des textes de compromis – comptaient moins que «l’esprit du concile  ». Le P. Congar écrit dans un Document-Épiscopat de 1975 qu’il serait «  vain de se contenter de réaffirmer, d’exploiter et d’appliquer Vatican II. (…) A certains égards, nous sommes au-delà et le concile, tout riche et fécond qu’il soit, ne peut être traité seulement comme un point d’arrivée.  »

Cette idée d’un dépassement nécessaire du concile était d’ailleurs très répandue dans les années soixante-dix. Ainsi, le jésuite Henri Holstein, professeur à l’Institut catholique de Paris, écrivait dans un livre sur la constitution conciliaire sur l’Église que c’était «  une tentation intégriste  » que de vouloir, par fidélité au concile, s’en tenir à la lettre en niant ou en refoulant «  les problèmes post-conciliaires.  » Comme chacun sait, Benoît XVI dénonce le « prétendu esprit du concile » pour ne retenir que la lettre.

Pour conclure, je rappelle le diagnostic d’un cardinal  : «  La tension est réelle et elle crée un malaise grave. (…) Tendance centralisatrice, juridique, statique, bureaucratique et essentialiste par nature  : elle caractérise des hommes plus sensibles à l’ordre établi et au passé qu’aux exigences de l’avenir, plus proches de Vatican I que de l’an 2000, plus soucieux de réprimer les abus que de comprendre et de promouvoir les valeurs et les aspirations nouvelles qui se font jour, dans l’Église comme dans le monde.  »

C’était, en 1969, le diagnostic du cardinal Suenens dans une interview célèbre. Est-ce vraiment dépassé 43 ans plus tard  ? Son diagnostic n’est-il pas plus réaliste que celui de Marcel Gauchet  ?

Une dernière question  : quelle était donc l’intention de l’hebdomadaire La Vie en choisissant d’interviewer Marcel Gauchet  ?

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Au secours la droite revient

Tel était le titre en couverture de l’hebdomadaire Politis, il y a dix jours. Cette droite qui revient, ce n’est ni l’UMP ni le Front national mais le gouvernement « socialiste » qui, en moins de deux mois, vient de se convertir à une politique de droite.

Pierre Moscovici, ministre de l’Économie, nous l’a annoncé, le 7 novembre dernier : « C’est une décision sans précédent, une véritable révolution copernicienne pour la gauche ». Après le « sérieux budgétaire », la relance de la construction européenne, les mesures en faveur de la compétitivité des entreprises constitueraient la troisième pierre pour assurer le redressement de l’économie française.

Au menu désormais du gouvernement de « gauche », les réductions des cotisations patronales de 20 milliards et des dépenses publiques de 10 milliards, l’augmentation de la TVA. Une volte-face complète si l’on se souvient du programme du candidat François Hollande, il y a seulement un peu plus de six mois. Rappelez-vous : il nous promettait de répartir plus équitablement l’impôt. Or, la TVA est l’impôt le plus injuste puisqu’elle frappe la consommation indépendamment des revenus. Mais il y a plus grave.

Louis Gallois, patron « de gauche » ?

Il n’est plus question que de compétitivité, depuis que Louis Gallois, a rendu son rapport. Dès avant sa publication, toute la presse se saisissait du sujet et le patronat pratiquait un lobbying intense… qui aboutit aux décisions gouvernementales que l’on sait, applaudies par Le Figaro et la Commission Européenne.

Impossible de faire autrement puisque l’auteur du rapport est censé être impartial, n’est-ce pas ? Notons que ce rapport sur la compétitivité a été commandé par le gouvernement Ayrault lui-même à un grand patron. Je rappelle rapidement les étapes de la très brillante carrière de Louis Gallois : successivement PDG de la Snecma (1989-1992), de l’Aérospatiale (1992-1996), de la SNCF (1996-2006) et de la branche civile d’Airbus (2006-2012) ; mais il est sans doute très significatif de relever aussi qu’il était devenu le président d’un think-tank (club de réflexion) créé en octobre 2011, « La Fabrique de l’industrie » qui réunit l’Union des Industries et des Métiers de la Métallurgie (UIMM), le Cercle de l’industrie, véritable lobby patronal auprès des institutions européennes créé par le PDG de Renault, et le Groupe des Fédérations industrielles.

Faut-il donc s’étonner qu’à partir du rapport Gallois, le gouvernement Ayrault en vienne à adopter un programme qui ressemble fort à celui prôné par le MEDEF ? Bien entendu, la politique adoptée aujourd’hui nous est présentée comme la seule possible pour redresser l’économie française !

Il y a des critiques que tout citoyen, sans être économiste, peut formuler. On sait bien, par exemple, qu’un programme d’austérité budgétaire conduit au ralentissement de la croissance. La plupart des observateurs annoncent d’ailleurs que le gouvernement n’atteindra pas les taux de croissance sur lesquels il table : 0,8 % en 2013 et 2 % en 2014. Mais les économistes de la Fondation Copernic et d’Attac ont publié une note très instructive. J’en donne quelques grandes lignes.

L’analyse des économistes

Nos économistes soulignent d’entrée de jeu qu’il faudrait s’interroger sur la validité des chiffres présentés et destinés à dramatiser la situation de l’économie française. Ainsi, la méthode de calcul du coût du travail en France est contestable.

Surtout, il est significatif qu’on nous présente le coût du travail comme le grand responsable de la faible compétitivité des entreprises françaises ; le coût du capital n’étant jamais mis en cause. Or, les revenus nets distribués aux actionnaires des sociétés non financières qui, en 1999, représentaient 5,6 % de la valeur ajoutée, s’élèvent aujourd’hui à 9 %. Les actionnaires ont donc été les grands gagnants mais il n’est pas question de les mettre à contribution pour redresser la fameuse compétitivité !

De manière implicite, la stratégie allemande – gagner de la compétitivité au détriment du pouvoir d’achat des ménages – est présentée comme la seule issue possible pour l’économie française. La guerre économique permanente ne peut pourtant qu’appauvrir les populations.

Quant à Michel Husson, il souligne qu’il est impossible que les réductions de charges patronales concernent seulement les entreprises exportatrices ; toutes en profiteront et certaines ne manqueront pas d’augmenter leurs profits.

Vraiment, les 18 millions de Français qui ont voté pour François Hollande, le 6 mai dernier, voulaient-ils cela et, d’ailleurs, est-ce bien ce qu’on leur avait promis ?


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Le massacre oublié de Sabra et Chatila

Avec trois semaines de retard sur le trentième « anniversaire », je veux évoquer aujourd’hui ce massacre, perpétré du 16 au 18 septembre 1982 à Beyrouth, et qualifié trois mois plus tard par l’ONU « d’acte de génocide ».

Je rappelle le contexte. D’abord, la guerre civile qui a éclaté au Liban en 1975 et oppose les chrétiens aux musulmans alliés aux réfugiés palestiniens. Ces derniers, maintenus dans des camps mais souvent armés, subissent parfois les assauts des milices chrétiennes, équipées et parfois même entraînées en Israël. Ainsi, le camp de Tal Al-Zaatar résiste pendant 40 jours en 1976 puis tombe entre les mains des miliciens chrétiens qui massacrent un millier de Palestiniens dont de nombreux civils.

Deuxième élément du contexte : l’invasion du Liban par l’armée israélienne dirigée par le général Sharon, ministre de la Défense. Les Israéliens parviennent jusqu’aux portes de Beyrouth-Ouest car, pour Sharon, l’opération appelée officiellement « Paix en Galilée » (!) a pour but d’éliminer l’OLP du Liban et d’en faire une principauté confiée aux chrétiens.

Claude Cheysson, ministre français des Affaires étrangères, avec Habib Bourguiba, négocia alors le départ des combattants palestiniens sur des bateaux fournis par la France. L’OLP avait obtenu du Liban et d’Israël la garantie de la sécurité des civils palestiniens (c’est le « document Habib). De surcroît, une Force multinationale composée de soldats américains, français et italiens arrivait le 21 août et devait rester un mois. Or, dès le 3 septembre, le secrétaire américain à la Défense civile ordonnait le départ des marines, suivis par les Français et Italiens. Le 15 septembre, en violation de leurs engagements l’armée israélienne rentrait dans Beyrouth-Ouest sous le prétexte que 2.000 combattants de l’OLP étaient restés à Beyrouth. La veille, le nouveau président libanais, Bachir Gemayel, chef des Phalanges, était assassiné et ses fidèles accusèrent, bien à tort d’ailleurs, les Palestiniens. La voie était libre pour le massacre.

Il vient d’être raconté, photos à l’appui, par deux Français, le photographe Marc Simon et le grand reporter Jacques-Marie Bourget (qui fut ensuite gravement blessé à Ramallah, en octobre 2000, par l’armée israélienne), arrivés à Beyrouth le 15 septembre 1982, dans leur livre Sabra et Chatila, au coeur du massacre.

Mais pourquoi avoir tant attendu ? Sur le moment, la mort accidentelle de Grace de Monaco, l’actrice devenue princesse, occupait la Une de la presse ! Après quelques cris d’horreur devant le massacre, la page fut vite tournée aussi bien au Liban qu’en Israël et aucun responsable n’eut à rendre compte de ces crimes.

Je vous invite à suivre les deux Français dans leur reportage ; les notes très précises et les photos ne décrivent pas seulement la barbarie des tueurs et les corps suppliciés ; elles apportent des indices très utiles sur le déroulement des faits et les criminels. Ainsi, plusieurs photos montrent, sur les murs, l’insigne des Phalanges libanaises ; des corps à demi enfouis, déjà, par la pelleteuse. Si bien, d’ailleurs, qu’on ne sait combien il y eut de morts : 700, 1.500 ou 3.000 ? Il ne fut jamais question d’ouvrir les fosses communes pour faire la vérité.

L’enquête des deux journalistes met en cause très directement l’armée israélienne. Pas seulement parce qu’elle laissa entrer les phalangistes dans les deux camps palestiniens : l’immeuble devenu le QG de l’armée israélienne était devenu aussi celui des Phalanges et, avec ses six étages et sa terrasse, il permettait à des officiers d’observer tout ce qui se passait dans les deux camps. Non seulement parce que les Israéliens tirèrent des fusées éclairantes pour aider les phalangistes dans leur monstrueux « travail ». Les deux journalistes ont aussi photographié, au coeur du camp de Sabra, une caisse de munitions israélienne, de la nourriture et des bières provenant d’Israël ; confirmant ainsi ce que le journaliste Alain Ménargues affirma dans son livre Secrets de la guerre du Liban : l’entrée, dès le 15 septembre, de plusieurs groupes d’une dizaine de soldats israéliens pour procéder à des assassinats ciblés.

Le massacre s’est-il arrêté le 18 septembre ? Nos deux journalistes apportent encore un témoignage cruel. Le 22 après-midi, dans Chatila, ils aperçoivent et photographient un camion militaire occupé par une cinquantaine de jeunes hommes aux mains liés et aux visages terrifiés. Dernière (?) rafle opérée par des phalangistes en uniforme qui se déroule sans hâte, et sous les yeux d’un colonel français imperturbable…

Depuis lors, au Liban, le silence est de règle. En Israël, la commission Kahane a conclu que seuls les phalangistes étaient responsables, tout en conseillant de démettre Ariel Sharon de ses responsabilités ministérielles. Un conseil qui n’empêcha pas Sharon de devenir Premier ministre israélien en mars 2001 et, devenu très populaire, de le rester jusqu’à ce que des attaques cérébrales le terrassent en décembre 2005. Il est vrai que le Premier ministre de 1982, Mehahem Begin, avait tiré un trait en remarquant : « Des non-juifs ont massacré des non-juifs, en quoi cela nous concerne-t-il ? »

Ajoutons que la communauté internationale qui a estimé nécessaire de juger les responsables des massacres en Yougoslavie, au Cambodge, au Rwanda, n’a pas daigné utile de s’intéresser aux victimes de Sabra et Chatila.

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Lettre au Premier Ministre de cinq associations chrétiennes

Cette lettre, en date du 7 novembre, m’a semblé mériter d’être reproduite intégralement ; elle est signée par le CCFD, Emmaus-France, ATD-QM, Cimade, Secours catholique.

Monsieur le Premier Ministre,

Voilà désormais 6 mois que votre Gouvernement est en place. La charge est lourde, le contexte difficile. Nous ne sommes pas de ceux qui dressent dès maintenant des appréciations définitives ou entretiennent des polémiques. Pour autant, nous devons vous exprimer notre très  grande déception sur la politique que votre Gouvernement conduit jusqu’ici à l’égard des étrangers.

Sur cette question du « vivre ensemble » – l’une des plus sensibles – les premières annonces et décisions nous ont laissés perplexes. Les pratiques qui ont suivi nous sont insupportables.

En juin, conformément aux engagements du Président de la République, une circulaire annoncée par le ministre de l’Intérieur prétendait interdire le placement d’enfants en rétention administrative. Elle exclura Mayotte – département français – qui concentre à lui seul plus de 90 % des placements d’enfants. Étrange conception de la République et du principe d’égalité des droits…

En juillet, nous exprimions une demande urgente pour que les taxes exorbitantes que doivent payer les étrangers lors de la délivrance d’un titre de séjour soient drastiquement révisées dans le projet de loi de finances rectificative. La réforme que nous appelions relevait à l’évidence des mesures de justice fiscale tant annoncées les mois précédents. Trois mois plus tard, les modifications que vous acceptez dans le projet de loi de finances 2013 sont marginales et ne changent rien à l’injustice qui frappe des personnes en situation de précarité.

En août, deux ans après un discours de Grenoble internationalement condamné, votre Ministre de l’Intérieur a cru opportun de remettre sur le devant de la scène médiatique la question des campements de Roms et de relancer ainsi la stigmatisation de ces quelques milliers de personnes. Les évacuations qui ont suivi, violentes, brutales, répétées, ont soulevé un tollé jusqu’à la Commission européenne. Votre décision de convoquer une réunion interministérielle en plein mois d’août et d’édicter une circulaire signée de sept ministres semblait traduire votre volonté de mettre un terme à cet emballement et de clore ce chapitre déjà sombre. Deux mois plus tard, force est de constater que les évacuations continuent dans les mêmes conditions, avec le même zèle destructeur et la même indifférence des services de l’Etat à l’égard de la souffrance des familles et des enfants.

En septembre, les migrants exilés dans le Calaisis ont retrouvé les pratiques et le rythme connu naguère des expulsions de squat, des violences et des destructions de leurs maigres affaires. 10 ans après la fermeture du centre de Sangatte, la seule réponse apportée par l’Etat semble rester celle du harcèlement policier et du mépris de la notion élémentaire de protection des personnes.

En octobre, le premier projet de loi annoncé par votre Gouvernement sur l’immigration porte sur la création d’une « garde à vue » spéciale pour les étrangers. Sans doute un arrêt récent de la Cour de Cassation rend la tâche difficile aux fonctionnaires de police. Mais quel symbole ! Celui d’un Gouvernement dont le premier projet de loi adopté sur le statut des étrangers propose une nouvelle disposition destinée à faciliter les expulsions du territoire…

Certes, une circulaire vient d’être diffusée pour faciliter l’accès à la nationalité française en revenant sur des obstacles  instaurés par le Gouvernement précédent. S’il faut s’en féliciter, ne nous leurrons pas ! Elle ne saurait donner le change au reniement inavoué de votre Gouvernement à la promesse présidentielle concernant le droit de vote des étrangers aux élections locales. Elle ne saurait non plus masquer le report de mois en mois de la circulaire de régularisation des sans-papiers, elle aussi promise par le Président de la République – il évoquait des critères prenant en compte l’insertion par le travail ou l’activité, la famille, la scolarité et l’ancienneté de séjour.

Et nous ne pouvons oublier l’absence totale de calendrier, de contenu et de méthode de travail pour préparer la réforme législative qui s’impose sur le statut des étrangers et le droit d’asile. Après les lois de 2003, 2007, 2008, 2011, toutes inspirées par la séduction que voulait exercer l’ancienne majorité sur l’électorat le plus réfractaire à l’immigration, une nouvelle législation est indispensable pour réparer la dégradation du statut des étrangers et corriger ses effets sur leur précarité sociale. Qu’en est-il de vos intentions ? À ce jour, seul le silence fait face à nos questions…

La mise en œuvre d’une politique d’immigration et d’asile équilibrée est complexe dans le contexte actuel. Mais cela ne justifie pas que des mesures de justice et d’apaisement pourtant annoncées soient abandonnées avant même d’être créées ; cela ne justifie pas que la seule parole de votre Gouvernement sur le sujet soit celle du ministre de la police ; cela ne justifie pas que vos instructions soient négligées par certains services de l’Etat et que des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants soient encore traités indignement.

Monsieur le Premier Ministre, nous attendons que des convictions fortes soient exprimées, nous attendons un programme concret, des mesures claires et ambitieuses. Il ne vous est plus possible de continuer à gérer l’héritage des lois antérieures conçues pour « cliver » les uns contre les autres.

Les attentes sont fortes, ne les décevez pas !

 Guy Aurenche, Président du CCFD Terre Solidaire

Christophe Deltombe, Président d’Emmaüs France

Pierre-Yves Madignier, Président d’ATD-Quart Monde

Patrick Peugeot, Président de la CIMADE

François Soulage, Président du Secours Catholique

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Une leçon oubliée : comment on régla la dette allemande en 1953

Grâce à la dernière « Lettre du conseil scientifique d’ATTAC », j’ai pris connaissance d’un article passionnant d’Éric Toussaint, docteur en sciences politiques des universités de Liège et Paris VIII et, plus encore, président du Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde (CADTM) en Belgique. Je crois qu’il est vraiment important de faire connaître ce qu’il nous apprend au moment où l’Union Européenne écrase la Grèce de ses exigences. Son article, daté du 29 septembre dernier, s’intitule :

Une leçon

DeGrèce-Allemagne : qui doit à qui ? L’annulation de la dette allemande à Londres en 1953

 

Depuis 2010, dans les pays les plus forts de la zone euro, la plupart des dirigeants politiques, appuyés par les médias dominants, vantent les mérites de leur supposée générosité à l’égard du peuple grec et d’autres pays fragilisés de la zone euro qui font la une de l’actualité (Irlande, Portugal, Espagne…). Dans ce contexte, on appelle « plans de sauvetage » des mesures qui enfoncent encore un peu plus l’économie des pays qui les reçoivent et qui contiennent des reculs sociaux inédits au cours des 65 dernières années en Europe. S’y ajoute l’arnaque du plan de réduction de la dette grecque adopté en mars 2012 qui implique une réduction des créances dues par la Grèce aux banques privées de l’ordre de 50% |1| alors que ces créances avaient perdu entre 65 et 75% de leur valeur sur le marché secondaire. La réduction des créances des banques privées est compensée par une augmentation des créances publiques aux mains de la Troïka et débouche sur de nouvelles mesures d’une brutalité et d’une injustice phénoménales. Cet accord de réduction de la dette vise à enchaîner définitivement le peuple grec à une austérité permanente, il constitue une insulte et une menace pour tous les peuples d’Europe et d’ailleurs. Selon les services d’étude du FMI, en 2013, la dette publique grecque représentera 164% du Produit intérieur brut, c’est dire que la réduction annoncée en mars 2012 n’aboutira pas à un allègement réel et durable du fardeau de la dette qui pèse sur le peuple grec. C’est dans ce contexte qu’Alexis Tsipras en visite au Parlement européen le 27 septembre 2012 a souligné la nécessité d’une véritable initiative de réduction de la dette grecque et s’est référé à l’annulation d’une grande partie de la dette allemande dans le cadre de l’accord de Londres de février 1953. Revenons sur cet accord.

L’accord de Londres de 1953 sur la dette allemande

L’allègement radical de la dette de la République fédérale d’Allemagne (RFA) et sa reconstruction rapide après la seconde guerre mondiale ont été rendus possibles grâce à la volonté politique de ses créanciers, c’est-à-dire les États-Unis et leurs principaux alliés occidentaux (Grande-Bretagne, France). En octobre 1950, ces trois alliés formulent un projet dans lequel le gouvernement fédéral allemand reconnaît l’existence des dettes des périodes précédant et suivant la guerre. Les alliés y joignent une déclaration signifiant que « les trois pays sont d’accord que le plan prévoit un règlement adéquat des exigences avec l’Allemagne dont l’effet final ne doit pas déséquilibrer la situation financière de l’économie allemande via des répercussions indésirables ni affecter excessivement les réserves potentielles de devises. Les trois pays sont convaincus que le gouvernement fédéral allemand partage leur position et que la restauration de la solvabilité allemande est assortie d’un règlement adéquat de la dette allemande qui assure à tous les participants une négociation juste en prenant en compte les problèmes économiques de l’Allemagne ».

La dette réclamée à l’Allemagne concernant l’avant-guerre s’élève à 22,6 milliards de marks si on comptabilise les intérêts. La dette de l’après-guerre est estimée à 16,2 milliards. Lors d’un accord conclu à Londres le 27 février 1953, ces montants sont ramenés à 7,5 milliards de marks pour la première et à 7 milliards de marks pour la seconde. En pourcentage, cela représente une réduction de 62,6%.

De surcroît, l’accord établit la possibilité de suspendre les paiements pour en renégocier les conditions si survient un changement substantiel limitant la disponibilité des ressources.

Pour s’assurer que l’économie de l’Allemagne occidentale est réellement relancée et qu’elle constitue un élément stable et central dans le bloc atlantique face au bloc de l’Est, les Alliés créanciers font des concessions très importantes aux autorités et aux entreprises allemandes endettées qui vont bien au-delà d’une réduction de dette. On part du principe que l’Allemagne doit être en condition de rembourser tout en maintenant un niveau de croissance élevé et une amélioration des conditions de vie de la population. Rembourser sans s’appauvrir. Pour cela, les créanciers acceptent : Primo, que l’Allemagne rembourse dans sa monnaie nationale, le mark, l’essentiel de la dette qui lui est réclamée. A la marge, elle rembourse en devises fortes (dollars, francs suisses, livres sterling…). 
 Secundo, alors qu’au début des années 1950, le pays a encore une balance commerciale négative (la valeur des importations dépassant celle des exportations), les puissances créancières acceptent que l’Allemagne réduise ses importations, elle peut produire elle-même des biens qu’elle faisait auparavant venir de l’étranger. En permettant à l’Allemagne de substituer à ses importations des biens de sa propre production, les créanciers acceptent donc de réduire leurs exportations vers ce pays. Or, 41% des importations allemandes venaient de Grande-Bretagne, de France et des États-Unis pour la période 1950-51. Si on ajoute à ce chiffre la part des importations en provenance des autres pays créanciers participant à la conférence (Belgique, Hollande, Suède et Suisse), le chiffre total s’élève même à 66%. 
 Tertio, les créanciers autorisent l’Allemagne à vendre ses produits à l’étranger, ils stimulent même ses exportations afin de dégager une balance commerciale positive. Ces différents éléments sont consignés dans la déclaration mentionnée plus haut : « La capacité de paiement de l’Allemagne, de ses débiteurs privés et publics, ne signifie pas uniquement la capacité de réaliser régulièrement les paiements en marks allemands sans conséquences inflationnistes, mais aussi que l’économie du pays puisse couvrir ses dettes en tenant compte de son actuelle balance des paiements. L’établissement de la capacité de paiement de l’Allemagne demande de faire face à certains problèmes qui sont :

1. la future capacité productive de l’Allemagne avec une considération particulière pour la capacité productive de biens exportables et la capacité de substitution d’importations ; 
2. la possibilité de la vente des marchandises allemandes à l’étranger ; 
3. les conditions de commerce futures probables ; 
4. les mesures fiscales et économiques internes qui seraient nécessaires pour assurer un superavit pour les exportations. »

En outre, en cas de litige avec les créanciers, en général, les tribunaux allemands sont compétents. Il est dit explicitement que, dans certains cas, « les tribunaux allemands pourront refuser d’exécuter […] la décision d’un tribunal étranger ou d’une instance arbitrale. » C’est le cas, lorsque « l’exécution de la décision serait contraire à l’ordre public » (p. 12 de l’Accord de Londres).

Autre élément très important, le service de la dette est fixé en fonction de la capacité de paiement de l’économie allemande, en tenant compte de l’avancée de la reconstruction du pays et des revenus d’exportation. Ainsi, la relation entre service de la dette et revenus d’exportations ne doit pas dépasser 5%. Cela veut dire que l’Allemagne occidentale ne doit pas consacrer plus d’un vingtième de ses revenus d’exportation au paiement de sa dette. Dans la pratique, l’Allemagne ne consacrera jamais plus de 4,2% de ses revenus d’exportation au paiement de la dette (ce montant est atteint en 1959). De toute façon, dans la mesure où une grande partie des dettes allemandes était remboursée en deutsche marks, la banque centrale allemande pouvait émettre de la monnaie, en d’autres mots monétiser la dette.

Une mesure exceptionnelle est également décidée : on applique une réduction drastique des taux d’intérêts qui oscillent entre 0 et 5%.

Une faveur d’une valeur économique énorme est offerte par les puissances occidentales à l’Allemagne de l’Ouest : l’article 5 de l’accord conclu à Londres renvoie à plus tard le règlement des réparations et des dettes de guerre (tant celles de la première que de la deuxième guerre mondiale) dues par la RFA aux pays occupés, annexés ou agressés (ainsi qu’à leurs ressortissants).

Enfin, il faut prendre en compte les dons en dollars des États-Unis à l’Allemagne occidentale : 1,17 milliard de dollars dans le cadre du Plan Marshall entre le 3 avril 1948 au 30 juin 1952 (soit environ 10 milliards de dollars aujourd’hui) auxquels s’ajoutent au moins 200 millions de dollars (environ de 2 milliards de dollars d’aujourd’hui) entre 1954 et 1961 principalement via l’agence internationale de développement des États-Unis (USAID).

Grâce à ces conditions exceptionnelles, l’Allemagne occidentale se redresse économiquement très rapidement et finit par absorber l’Allemagne de l’Est au début des années 1990. Elle est aujourd’hui de loin l’économie la plus forte d’Europe.

Allemagne 1953 / Grèce 2010-2012

Si nous risquons une comparaison entre le traitement auquel la Grèce est soumise et celui qui a été réservé à l’Allemagne après la seconde guerre mondiale, les différences et l’injustice sont frappantes. En voici une liste non-exhaustive en 11 points : 
1.- Proportionnellement, la réduction de dette accordée à la Grèce en mars 2012 est infiniment moindre que celle accordée à l’Allemagne. 
2.- Les conditions sociales et économiques qui sont assorties à ce plan (et à ceux qui ont précédé) ne favorisent en rien la relance de l’économie grecque alors qu’elles ont contribué largement à relancer l’économie allemande.
3.- La Grèce se voit imposer des privatisations en faveur des investisseurs étrangers principalement alors que l’Allemagne était encouragée à renforcer son contrôle sur les secteurs économiques stratégiques, avec un secteur public en pleine croissance.
4.- Les dettes bilatérales de la Grèce (vis-à-vis des pays qui ont participé au plan de la Troïka) ne sont pas réduites (seules les dettes à l’égard des banques privées l’ont été) alors que les dettes bilatérales de l’Allemagne (à commencer par celles contractées à l’égard des pays que le Troisième Reich avait agressés, envahis voire annexés) étaient réduites de 60% ou plus.
5. – La Grèce doit rembourser en euros alors qu’elle est en déficit commercial (donc en manque d’euros) avec ses partenaires européens (notamment l’Allemagne et la France), tandis que l’Allemagne remboursait l’essentiel de ses dettes en deutsche marks fortement dévalués.
6. – La banque centrale grecque ne peut pas prêter de l’argent au gouvernement grec alors que la Deutsche Bank prêtait aux autorités allemandes et faisait fonctionner (certes modérément) la planche à billets.
7. – L’Allemagne était autorisée à ne pas consacrer plus de 5% de ses revenus d’exportation au paiement de la dette alors qu’aucune limite n’est fixée dans le cas actuel de la Grèce.
8. – Les nouveaux titres de la dette grecque qui remplacent les anciens dus aux banques ne sont plus de la compétence des tribunaux grecs, ce sont les juridictions du Luxembourg et du Royaume-Uni qui sont compétentes (et on sait combien elles sont favorables aux créanciers privés) alors que les tribunaux de l’Allemagne (cette ancienne puissance agressive et envahissante) étaient compétents.9. – En matière de remboursement de la dette extérieure, les tribunaux allemands pouvaient refuser d’exécuter des sentences des tribunaux étrangers ou des tribunaux arbitraux au cas où leur application menaçait l’ordre public. En Grèce, la Troïka refuse bien sûr que des tribunaux puissent invoquer l’ordre public pour suspendre le remboursement de la dette. Or, les énormes protestations sociales et la montée des forces néo-nazies sont directement la conséquence des mesures dictées par la Troïka et par le remboursement de la dette. Malgré les protestations de Bruxelles, du FMI et des « marchés financiers » que cela provoquerait, les autorités grecques pourraient parfaitement invoquer l’état de nécessité et l’ordre public pour suspendre le paiement de la dette et abroger les mesures antisociales imposées par la Troïka. 
10.- Dans le cas de l’Allemagne, l’accord établit la possibilité de suspendre les paiements pour en renégocier les conditions si survient un changement substantiel limitant la disponibilité des ressources. Rien de tel n’est prévu pour la Grèce.
11.- Dans l’accord sur la dette allemande, il est explicitement prévu que le pays puisse produire sur place ce qu’il importait auparavant afin d’atteindre un superavit commercial et de renforcer ses producteurs locaux. Or la philosophie des accords imposés à la Grèce et les règles de l’Union européenne interdisent aux autorités grecques d’aider, de subventionner et de protéger ses producteurs locaux, que ce soit dans l’agriculture, l’industrie ou les services, face à leurs concurrents des autres pays de l’UE (qui sont les principaux partenaires commerciaux de la Grèce).

On pourrait ajouter que l’Allemagne, après la seconde guerre mondiale, a reçu des dons dans une proportion considérable, notamment, comme on l’a vu plus haut, dans le cadre du Plan Marshall.

On peut comprendre pourquoi le leader de Syriza, Alexis Tsipras, fait référence à l’accord de Londres de 1953 lorsqu’il s’adresse à l’opinion publique européenne. L’injustice avec laquelle le peuple grec est traité (ainsi que les autres peuples dont les autorités suivent les recommandations de la Troïka) doit éveiller la conscience d’une partie de l’opinion publique.
Mais ne nous berçons pas d’illusions, les raisons qui ont poussé les puissances occidentales à traiter l’Allemagne de l’Ouest comme elles l’ont fait après la seconde guerre mondiale ne sont pas de mise dans le cas de la Grèce. 
Pour voir une véritable solution au drame de la dette et de l’austérité, il faudra encore de puissantes mobilisations sociales en Grèce et dans le reste de l’Union européenne ainsi que l’accession au pouvoir d’un gouvernement du peuple à Athènes. Il faudra un acte unilatéral de désobéissance provenant des autorités d’Athènes (soutenues par le peuple), telles la suspension du remboursement et l’abrogation des mesures antisociales, pour forcer les créanciers à des concessions d’envergure et imposer enfin l’annulation de la dette illégitime. La réalisation à une échelle populaire d’un audit citoyen de la dette grecque doit servir à préparer le terrain.

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Retour de la minorité conciliaire (3)

Je commence par vous annoncer que Le feuilleton d’un Concile en 34 épisodes vient d’être publié, aux éditions Golias. Ce livre n’est pas destiné aux spécialistes d’histoire religieuse mais à tous ceux qui, à l’occasion de l’anniversaire de l’ouverture du Concile, cherchent à comprendre ce grand événement de l’Église catholique. Voici maintenant le troisième volet de mon étude sur :

le retour de la « minorité conciliaire »

La polémique déclenchée par les tradis se fonde sur le caractère « pastoral » de Vatican II. On se souvient que, dans son discours d’ouverture, Jean XXIII avait déclaré que le but du Concile n’était pas de condamner les erreurs mais de répondre « mieux aux besoins de notre époque. » Et Paul VI lui-même, en janvier 1966, qualifia le concile de « pastoral ». Très vite, les fidèles de Mgr Lefebvre opposèrent les « conciles dogmatiques » à ce concile qui n’était que pastoral.

Aujourd’hui, cette argumentation est reprise par des catholiques de « l’intérieur » de l’Église. Et ils ne manquent pas de faire référence à quelques textes du cardinal Ratzinger, préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi. Ainsi, le 13 juillet 1988, dans une allocution aux évêques chiliens, ce dernier déclarait : « La vérité est que le Concile n’a défini aucun dogme et a voulu sciemment s’exprimer à un niveau plus modeste, simplement comme un concile pastoral. » Plus encore, il signait comme préfet de cette même congrégation, en mai 1990, une instruction sur la vocation ecclésiale du théologien intitulée Donum veritatis. A l’article 24, on lit que « dans le domaine des interventions d’ordre prudentiel, il est arrivé que des documents magistériels ne soient pas toujours exempts de déficiences. Les Pasteurs n’ont pas toujours perçu aussitôt tous les aspects ou toute la complexité d’une question. (…) Certains jugements du Magistère ont pu être justifiés à l’époque où ils furent prononcés (…) Ce n’est souvent qu’avec le recul du temps qu’il devient possible de faire le partage entre le nécessaire et le contingent. » Le cardinal songeait-il à Vatican II ?

En tout cas, Denis Sureau, rédacteur en chef de L’Homme Nouveau, s’appuyait, dans un article de mars 2009, sur cet article 24 de Donum veritatis pour affirmer qu’il serait « absurde » d’exiger l’assentiment inconditionnel à la totalité du Concile. Selon lui, on ne peut « isoler les textes conciliaires des interprétations magistérielles qui ont suivi. » Jean-Paul II et Ratzinger comme préfet puis comme pape, ont travaillé à « rectifier des lectures erronées du Concile par une série de documents. » On devine que, pour lui, ce travail de révision n’est pas achevé…

D’autres penseurs italiens vont beaucoup plus loin. Roberto de Mattei estime que la crise actuelle remonte au-delà du Concile : elle a « fermenté » sous le pontificat de Pie XII car ce dernier a subi des influences négatives de la part de certains collaborateurs dans les domaines de la liturgie et de l’exégèse. Et d’affirmer que l’encyclique Humani generis qui condamnait pourtant les erreurs de l’exégèse « n’a pas la force de l’encyclique Pascendi de saint Pie X » qui, en 1907, condamnait le modernisme !

Deux autres philosophes italiens se distinguent : Romano Amerio, théologien suisse d’origine italienne, décédé en 1997, et son disciple Enrico Maria Radaelli, philosophe de l’esthétique, affirment que le concile est plein d’assertions vagues, équivoques, interprétables de différentes manières, certaines étant en nette opposition avec le magistère de l’Église. Que faire ? Pour ces deux auteurs, la proposition de Mgr Gherardini est « seulement comme un premier pas pour débarrasser le terrain de nombreux, de trop nombreux malentendus. » Et de demander tout simplement que les erreurs de Vatican II soient condamnées sous la forme solennelle « ex cathedra » !

Dans un article de la revue Catholica, Radaelli qui vient de publier un livre, La Beauté qui nous sauve, lance un appel aux traditionalistes pour qu’ils dépassent leurs divergences et leurs querelles pour recréer « un milieu commun où l’Église recommence à respire l’air pur du dogme. » Cet appel est précédé d’une étude sur Vatican II, concile historiquement inédit par son caractère pastoral.

Pour Radaelli, les partisans de la « Nouvelle théologie »1 – les Chenu, de Lubac, Congar, Rahner et d’autres -, étaient prêts à profiter du Concile pour obtenir des évêques l’accomplissement de leurs intentions novatrices. Deux jours après l’ouverture du Concile, le cardinal Liénart « réussit d’un coup de main la rupture de la légalité conciliaire, jetant à l’eau deux années de travail préparatoire » approuvé par le pape. Un véritable complot, donc. Paul VI, d’ailleurs, n’hésita pas, en juillet 1969, à déclarer que « le mot « nouveauté » nous a été donné comme un ordre, comme un programme. »

Dans Catholica encore, Mgr Florian Kolfhaus, membre du Secrétariat du Saint-Siège, s’interroge longuement sur la valeur du magistère pastoral d’un concile qui n’a proclamé aucun dogme2. Certes, Vatican II nous a donné des constitutions à valeur doctrinale, Lumen gentium et Dei Verbum (sur la Révélation divine), et il admet que l’affirmation explicite de la sacramentalité de l’ordination épiscopale est un « élément de doctrine », mais les décrets et déclaration constituent deux autres catégories distinctes de documents qui « n’appartiennent au registre ni de la doctrine, ni de la discipline » : ils concernent plus l’agir pratique. Or, il se trouve que les trois textes qui concentrent l’opposition de cette « minorité conciliaire » appartiennent à ces deux catégories : le décret sur l’Oecuménisme et les déclarations sur la liberté religieuse et les religions non-chrétiennes !

La constitution Gaudium et spes attaquée

Deux autres intellectuels s’attaquent à l’article 22 de la Constitution Gaudium et spes qui affirme : « Par son Incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme » (art. 22, 2). Juan-Fernando Segovia, professeur à l’université de Mendoza, en Argentine, met en cause l’anthropologie théologique de cette constitution conciliaire. Cette anthropologie a été renforcée par Jean-Paul II qui, dans sa lettre aux familles, affirma que « Dieu « veut » l’homme comme être semblable à lui, comme personne. » L’auteur critique donc non seulement l’anthropologie christologique de Gaudium et spes mais aussi « la dérive de la doctrine de l’Église postérieure au concile en direction du personnalisme et de l’oecuménisme sans frontières »3. Par la seule vertu de l’Incarnation du Verbe, l’homme est divinisé. Le professeur Segovia en conclut qu’il est temps de rectifier cette anthropologie théologique qui présente le grave inconvénient de donner pour établi que « la grâce sanctifiante vient au secours du projet terrestre de la cité humaine à l’échelle globale, et non pas pour obtenir la sanctification et le salut des hommes. »

Paolo Pasqualucci, professeur de droit à l’Université de Pérouse, estime, lui aussi que cet article 22 affirme une rédemption universelle, en contradiction avec une donnée fondamentale de l’Église. Or, notre auteur examine la postérité de ce texte dans l’encyclique Redemptor hominis (art. 13 et 14), dans le Catéchisme de l’Église catholique (art. 432 et 618), et même, par la formulation ambigüe, de Dominus Jesus ! Finalement, seul Benoît XV donne satisfaction en réduisant les citations de Vatican II, totalement absentes d’ailleurs, de l’encyclique Spe salvi (novembre 2007).

Les textes conciliaires formeraient-ils un « bloc doctrinal » ?

Mgr Florian Kolfhaus s’élève contre l’erreur qui consiste à considérer tous les documents conciliaires sur le même plan. On peut pourtant lui opposer nombre de textes de Paul VI qui n’a jamais distingué entre les textes conciliaires : pour ce pape, il y a bien un enseignement conciliaire et un seul. Citons, par exemple, ce qu’il déclare lors de l’audience générale du 1er septembre 1971 : « Nul doute que la lecture et la méditation des textes du Concile ne soient pour vous y aider (aux réformes) un moyen irremplaçable. C’est comme un grand catéchisme providentiel pour notre temps que l’Esprit-Saint nous a donné là ».

Et Benoît XVI vient, à l’occasion de l’anniversaire du Concile, dans ces allocutions des 10 et 11 octobre 2012, de demander qu’on se réfère aux documents conciliaires qui « constituent une boussole permettant à la barque de l’Église de naviguer en haute mer, en eaux calmes, comme en tempête, vers un port sûr. » La déception doit être grande chez nos tradis.

Pour moi, les analyses de ces catholiques ont été l’occasion de redécouvrir certains textes conciliaires un peu oubliés. N’a-t-on pas dit, par exemple, que Gaudium et spes était devenu obsolète parce qu’on avait changé d’époque ? Les chapitre I et II sont pourtant à relire car ils conservent, plus que jamais, leur actualité. Je ne puis que vous conseiller de les relire.

1Terme utilisé par Pie XII le 17 septembre 1946 pour mettre en garde contre les nouveautés théologiques qui menacent « les dogmes immuables de l’Église catholique » ainsi que l’unité de la foi.

2Florian Kolfhaus, « Le magistère pastoral du concile Vatican II », Catholica, n° 114, hiver 2011-2012.

3Juan-Fernando Segovia, « L’anthropologie théologique de Gaudium et spes », Catholica, n° 116, automne 2012.

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Le retour de la minorité conciliaire ( 2)

J’aborde aujourd’hui mon étude de ces catholiques qui s’inspirent de la « minorité conciliaire ».

Le site disputationes theologicae – qui affirme son intention d’ouvrir ses pages à un véritable débat théologique – n’hésitait pas, le 30 juin dernier, à reproduire la supplique de Mgr De Castro Mayer, évêque de Campos, à Paul VI, le 25 janvier 1974. Cet évêque brésilien avait été au Concile un des animateurs du Coetus Internationalis Patrum. Dans sa supplique, il soumettait au pape son analyse de la liberté religieuse. Après avoir cité des textes de Pie IX, Léon XIII et Pie XII, il affirmait que la doctrine de la déclaration conciliaire Dignitatis Humanae ne s’accordait pas avec ces textes. Il concluait en avançant que, dès lors qu’un document de l’Épiscopat universel est en contradiction avec une doctrine déjà établie de longue date par le Magistère Ordinaire, il n’obligeait pas.

Mgr Gherardini, 87 ans, qui fut professeur d’ecclésiologie à l’Université du Latran jusqu’en 1995 et reste directeur de la revue Divinitas, a publié en 2009 un ouvrage intitulé Le Concile Oecuménique Vatican II. Un débat à ouvrir ; il y consacre un chapitre entier au « grand problème de la liberté religieuse ». L’auteur s’en tient à la tradition qui admet la liberté de conscience ; quant à la liberté religieuse, elle ne devrait pas aller au-delà de la tolérance, sauf à conduire au relativisme et à l’indifférentisme.

Mais Mgr Gherardini critique d’autres textes conciliaires dans son ouvrage. Il consacre un chapitre au décret sur l’Oecuménisme qui est l’objet d’un long désossage – si l’on peut dire – aboutissant à diagnostiquer « une rupture de la véritable tradition. » Concernant la liturgie, notre auteur, sans céder d’ailleurs aux descriptions apocalyptiques des innovations post-conciliaires, souligne avec pertinence que la Constitution prévoyait de conserver l’usage du latin dans les rites liturgiques (n° 36) et de ne concéder l’emploi d’une traduction en langue du pays qu’aux « clercs chez qui l’emploi de la langue latine est un empêchement grave à acquitter l’office divin comme il faut » (n° 101). Ce qui, d’un point de vue opposé à celui de nos auteurs, montre que le dynamisme engendré par le Concile amenait à dépasser le texte lui-même.

Ajoutons que dans son ouvrage, le prélat romain n’hésite pas à critiquer Jean XXIII à partir de son discours d’ouverture du Concile ; Vatican II devait proclamer « quelque chose d’absolument nouveau » qui était le but du fameux aggiornamento : l’homme, sa dignité, l’unité du genre humain et « dans ce but, on asservissait jusqu’à la parole de Dieu » (p. 154). Par contre, quelques pages plus loin, il écrit que Pie IX, le pape du Syllabus, « a tenté de libérer l’Église des tentacules du mal » (p. 179).

En 2009, Mgr Gherardini avait déjà publié un ouvrage très critique sur le dialogue oecuménique et interreligieux dans lequel il dénonçait la « judéo-dépendance » de l’Église. Ce prélat apparaît aujourd’hui comme le chef de file de ce courant de pensée anti-conciliaire. Son livre est préfacé par deux personnalités significatives. Mgr Mario Oliveri, évêque d’Algenga-Imperia (en Ligurie), qui s’est fait remarquer en exigeant de ses prêtres qu’ils cessent toute résistance à l’usage de la messe tridentine. Deuxième personnalité, Mgr Rantjith, archevêque de Colombo, au Sri Lanka, qui, auparavant, avait été secrétaire de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements.

Deux suppliques à Benoît XVI

En 2009, Mgr Gherardini avait écrit à Benoît XVI. Partant de l’herméneutique de continuité soutenue par le pape, il proposait que l’on procède à une analyse scientifique du Concile et de chacun de ses documents pour établir la question de sa fidélité à la Tradition de l’Église. Le résultat pourrait être « un grand document pontifical » ou un travail accompli par les spécialistes les plus prestigieux. De la sorte, on pourrait savoir « dans quel sens et jusqu’à quel point Vatican II, et surtout le post-concile, peuvent s’interpréter dans la ligne de la continuité indiscutable, ou si au contraire ils lui sont étrangers. »

En novembre 2011, une nouvelle supplique est adressée au pape et signée, cette fois, par 80 intellectuels catholiques italiens. Parmi les signataires, on relève les noms de Mgr Antonio Livi, ancien doyen de la faculté de philosophie de l’Université du Latran, de Roberto de Mattei, auteur d’un livre très récent sur le Concile vu du côté des vaincus, de Paolo Pasqualucci, professeur de philosophie du droit à l’Université de Pérouse, et de Cristina Siccardi, auteur d’une biographie de Mgr Lefebvre. Tous ces intellectuels reprennent la proposition d’une « évaluation sûre et objective » du Concile et, à cette fin, énumèrent treize questions concernant le rapport entre certains passages des textes conciliaires avec le magistère antérieur. Tout y passe, de la « vraie nature » du Concile, à l’omission des termes « surnaturel » et « transsubstantiation » dans les textes conciliaires en passant par la notion de « Peuple de Dieu », le principe de la liberté religieuse et l’oecuménisme actuel qui paraît conduire à « une sorte de nouvelle Église ou religion mondiale » (sic).

En décembre dernier, Jean Madiran qui fut longtemps directeur de la revue Itinéraires puis du quotidien Présent, organe des catholiques du Front national, se réjouissait des livres de Mgr Gherardini et des suppliques au pape. Et il écrivait : « Quand le moment sera venu, une sorte de Vatican III doctrinal pour un examen théologique du Vatican II pastoral, la comparution des nouveautés devant les critères traditionnels du Magistère de l’Église pour obtenir que soient tranchées les contestations, les divergences, les oppositions. Mais elles ne pourront l’être, demain ou plus tard, en concile ou sans concile, que par le Pape. » Ainsi, Christine Pedotti n’est pas la seule catholique à espérer un Vatican III1 ; tandis qu’elle voudrait ainsi « éviter le naufrage » de l’Église, les tradis en attendent un retour à la « vraie doctrine », quitte à resserrer les rangs autour d’un noyau dur.

Ces tradis se sentent le vent en poupe au point que, le 28 juillet dernier, le blog Osservatore Vaticano annonçait que deux réunions très discrètes, la première en mars et la deuxième en juillet, avaient rassemblé de hauts prélats et des spécialistes laïcs réputés pour une évaluation de Vatican II. Et d’autres réunions suivraient…

On verra prochainement comment la Tradition mais aussi certaines déclarations du cardinal Ratzinger sont utilisées par ce courant de pensée pour considérer que les textes de Vatican II doivent être révisés.

1Christine Pedotti, Faut-il faire Vatican III ?, Taillandier, septembre 2012.

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Le retour de la » minorité conciliaire » (1)

Alors que commençait, il y a cinquante ans, le concile Vatican II, je voudrais attirer l’attention sur un phénomène en plein développement ces dernières années : la réhabilitation de la « minorité conciliaire », pas seulement par les disciples de Mgr Lefebvre mais par des « tradis » bien insérés dans l’Église romaine, jusqu’à occuper parfois de hautes fonctions.

Tous ceux qui se sont intéressés au Concile savent qu’environ 200 Pères conciliaires (sur un total de 2.500) se sont presque constamment opposés aux textes élaborés puis présentés et votés au Concile. Trois textes furent particulièrement visés et le sont encore aujourd’hui : la déclaration sur l’oecuménisme (Unitatis Redintegratio), celle sur les religions non-chrétiennes (Nostra Aetatae), mais plus encore celle sur la liberté religieuse (Dignitatis Humanae) au nom des « droits de Dieu » et de la vérité.

Au concile, un groupe qui s’était intitulé le « Coetus internationalis Patrum » avait pris la tête de cette minorité conciliaire. Quelques évêques l’animaient : Mgr Geraldo de Proença Sigaud, évêque de Diamantina (Brésil), Mgr de Castro Mayer, évêque de Campos (Brésil), Mgr Carli, évêque de Segni (Italie) et Mgr Marcel Lefebvre, supérieur Général de la congrégation du Saint-Esprit. Il reçut aussi souvent le soutien de prélats très conservateurs comme les cardinaux Ruffini et Siri.

De l’histoire ancienne, dira-t-on ? La « minorité » fut vaincue, même si elle parvint à introduire quelques passages dans les textes conciliaires. Aujourd’hui, pourtant, en dehors de la Fraternité Saint Pie X qui polarise toujours l’attention des médias, la « minorité conciliaire » inspire certains théologiens ecclésiastiques et laïques, en règle avec Rome, qui proposent une nouvelle interprétation de Vatican II. Mais rappelons d’abord les deux interprétations qui sont devenues officielles avec Benoît XVI.

Herméneutique de la discontinuité et herméneutique de la continuité

Dès 1985, dans ses entretiens sur la foi avec le journaliste Vittorio Messori, le cardinal Ratzinger affirmait que « Vatican II est une réalité qu’il faut accepter pleinement, à condition cependant qu’il ne soit pas considéré comme un point de départ dont on s’éloigne en courant mais bien plutôt comme une base sur laquelle il faut construire solidement » (Entretien sur la foi, Fayard, p. 30-31).

Plus encore, lors de son discours du 22 décembre 2005 pour le quarantième anniversaire de la conclusion de Vatican II, Joseph Ratzinger devenu Benoît XVI précisait comment il fallait accueillir le concile. Deux herméneutiques contraires étaient en présence. L’ « herméneutique de la discontinuité » avait eu des effets négatifs : elle risquait de provoquer une rupture entre Église pré-conciliaire et Église post-conciliaire. Selon cette interprétation, « les textes du Concile comme tels ne seraient pas encore le véritable esprit du Concile » parce qu’ils seraient le résultat de compromis acceptés pour atteindre l’unanimité ; on avait ainsi « reconfirmer de vieilles choses désormais inutiles. Ce n’est cependant pas dans ces compromis que se révèlerait le véritable esprit du Concile, mais en revanche dans les élans vers la nouveauté qui apparaissent derrière les textes. (…) Précisément parce que les textes ne reflèteraient que de manière imparfaite le véritable esprit du Concile et sa nouveauté, il serait nécessaire d’aller courageusement au-delà des textes. (…) En un mot : il faudrait non pas suivre les textes du Concile mais son esprit. » Benoît XVI reproche à cette interprétation d’ouvrir la voie à n’importe quelle fantaisie et il vise implicitement l’école de Bologne qui a réalisé la grande Histoire du Concile Vatican II, en cinq volumes ; cette école voit dans le Concile « un événement » et « un tournant historique ».

A cette herméneutique de la discontinuité ou de la rupture, Benoît XVI oppose « l’herméneutique de la réforme » du renouveau dans la continuité de l’unique sujet-Église et s’appuie sur les paroles de Jean XXIII, à l’ouverture du Concile, le 11 octobre 1962 ; le pape Jean proposait la synthèse entre fidélité et dynamisme : « Il faut que cette doctrine certaine et immuable, qui doit être respectée fidèlement soit approfondie et présentée de la façon qui répond aux exigences de notre époque. » Benoît XVI en conclut que le grand héritage du Concile est constitué par ses textes : à l’esprit du Concile, Benoît XVI oppose ainsi la lettre des textes conciliaires qui sont à interpréter dans la volonté de réforme de l’Église.

Or, voici que surgit une troisième interprétation de Vatican II, celle que l’abbé Claude Barthe qualifie d’ « herméneutique de tradition » en se référant sans complexe aux leaders de la minorité conciliaire : les cardinaux Ottaviani et Siri, Mgr Lefebvre et Mgr Carli ! On trouvera ces idées exposées dans la revue française trimestrielle Catholica1 qui a consacré son numéro d’hiver 2011-2012 à « L’ouverture d’un cinquantenaire » et dans le petit livre que Claude Barthe – qui écrit d’ailleurs dans Catholica – a publié en novembre 2011 et qui s’intitule Pour une herméneutique de tradition2. Selon l’auteur, « de publication en publication traitant de l’histoire du Concile », on se rend compte que cette minorité « contribua à rendre le Concile viable, au moins jusqu’à aujourd’hui, en le modérant. » (p. 34)

Quand on fouille un peu sur internet, on découvre, outre la revue Catholica, des sites et des blogs, comme Disputationes Theologicae, Osservatore Vaticano et Riposte catholique qui soutiennent les mêmes théories. Ils reprochent à Jean-Paul II, en matière de liberté religieuse, son constant rapprochement avec les conceptions proposées par les instances internationales3. Pourtant, le pape polonais est salué pour son encyclique Redemptoris missio (1990) qui rappelle le devoir de mission, opposé, selon l’auteur, à la déclaration Nostra Aetate4.

Quant à Benoît XVI, en accordant, le 7 juillet 2007, un motu proprio qui permet désormais à tout prêtre de célébrer la messe traditionnelle sans avoir à demander une autorisation (art. 2) et d’accueillir volontiers la demande « d’un groupe stable de fidèles attachés à la liturgie antérieure » (art. 5), il n’a pas conquis le coeur et l’esprit de cette nouvelle minorité conciliaire. Car elle veut plus et s’est déclarée déçue que le pape poursuive les rencontres d’Assise et que, plus encore, il ne dénonce que les excès de l’après-concile au lieu de s’attaquer aux « erreurs » du Concile lui-même ! Tout au plus admettent-ils de Benoît XVI engage l’Église dans la bonne direction.

J’exposerai leurs thèses jeudi prochain.

1Juste sous son titre, Catholica annonce fièrement qu’elle est une « revue de réflexion politique et religieuse soutenue par le Centre National du Livre (Ministère de la Culture) ».

2Claude Barthe, Pour une herméneutique de tradition, éditions Hora Decima, 2011, 51 pages.

3Julio Alvear, « Jean-Paul II et l’interprétation de Dignitatis Humanae », Catholica, n°103, printemps 2009.

4Laurent Jestin, « Le dialogue : aventure d’une catégorie », Catholica, n° 114, hiver 2012.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Roger Parmentier : une grande voix s’est éteinte

(Article paru  dans Golias Hebdo , 4 octobre )

Le pasteur Roger Parmentier s’est endormi à jamais dans sa maison des Pyrénées, à 94 ans. Loin d’être un vieillard résigné, Roger n’a cessé d’écrire, de prêcher et d’appeler au réveil des consciences chrétiennes. Il fut, bien avant tous, un indigné.

Roger est né dans la région parisienne mais, en 1937, il part avec sa famille s’installer à Constantine où, tout de suite, Roger s’intéresse au judaïsme. Lecteur de la Bible, il considère les Juifs comme de sa famille et est scandalisé par le nazisme. En 1941, il est démobilisé et choisit de s’installer à Paris pour faire des études de théologie à la Faculté protestante du boulevard Arago. Il suit le prêches du pasteur Pierre Maury, insufflant l’esprit de résistance au nazisme. Il participe à un groupe clandestin d’étudiants et, à la demande de la Cimade, avec un camarade, il parvint à sauver un petit garçon juif qu’on emmenait à Drancy. « Nous étions des pro-Juifs inconditionnels », écrit-il1.

Après la Libération, il participe à la création des Rencontres entre Juifs et Chrétiens qui ouvrent le chemin à l’Amitié Judéo-chrétienne. Il connaît le pasteur Lovsky, Jules Isaac, le poète juif Edmond Fleg et dévore les ouvrages théologiques concernant les Juifs. Il se marie à Annette Monod qui lui donna six fils en quelques années.

Pasteur à Sétif

Jeune pasteur et père de famille, il part s’installer à Sétif, peu de temps après les massacres de mai 1945. Là-bas, un vieux prêtre l’interpella : « Mon petit pasteur, vos paroissiens et les miens sont des assassins ! » Dès le printemps 1954, Roger apprend par des policiers et soldats protestants que des tortures sont infligées à des suspects de nationalisme et que des villages sont bombardés. Aussitôt, il écrivit au pasteur Marc Boegner, président de la Fédération protestante, qui n’hésita pas à venir sur place et à être reçu par des officiers supérieurs qu’il prévint : il allait demander audience au Président de la République et au Président du Conseil. Il ne s’étonna pas, quelque temps plus tard, de recevoir la visite de deux officiers lui annonçant qu’il devait regagner la métropole car la vie de sa famille était en danger. Sa femme Annette et ses enfants quittent l’Algérie mais lui-même reste à Philippeville ; sa situation devient de plus en plus difficile : certain pasteurs le qualifiant de « pasteur fellagha ». Roger était devenu un témoin gênant de la répression et, à l’automne 1955, il dut se résigner à son tour à abandonner l’Algérie.

Rodez : un pasteur contre la guerre

Nommé à Rodez, Roger s’empressa de faire connaître, en multipliant les réunions, la situation réelle de l’Algérie. Il écrit : « Je rencontrai assez souvent une franche hostilité » et il ajoute : « Dès ce temps de Rodez bien des protestants ont cru bon de se transformer à mon égard en ennemis ; mais moi, je n’ai pas d’ennemis, tout au plus des adversaire avec qui il convient de dialoguer et d’échanger informations et arguments. » Telle a été toute sa vie la méthode de Roger Parmentier : il interpelle, argumente, force à réfléchir mais sans agressivité. Il diffuse les journaux clandestins contre la guerre d’Algérie, signe le Manifeste des 121 et adhère au Parti socialiste unifié (PSU), alors en formation.

C’est alors qu’il a l’idée d’inventer un fait divers pour les journaux régionaux : un bon Français accidenté est sauvé par un Algérien échappé du camp de détention du Larzac. Les réactions, négatives autant que positives, ne se font pas attendre et il renvoie chacun à la parabole du bon samaritain. Roger Parmentier venait ainsi de commencer ce qu’il ne cessa plus : réactualiser la Bible. Pour lui, le langage habituel des Églises ne passait plus ; il fallait donc redonner force à l’authentique message de Jésus.

A Montreuil et la cause palestinienne

En 1964, Parmentier accepte d’être nommé pasteur à Montreuil. Il a posé une condition : partager son temps entre les protestants et tous ceux qui ne l’étaient pas. Il multiplie les activités et, lui qui s’était réjoui de la création de l’État d’Israël et qui a tant d’amis juifs, est bouleversé par la transformation des victimes en bourreaux. Maxime Rodinson qui dirigeait la commission pour la Paix au Proche-Orient lui a ouvert les yeux, dit-il, en publiant dans un gros numéro des Temps modernes, en 1967, un article intitulé « Israël, fait colonial ? »2 Roger Parmentier entre au Comité France-Palestine et, en 1970, il participe au congrès de Beyrouth des Chrétiens pour la Palestine organisé par Georges Montaron. On n’allait pas tarder à l’appeler « le pasteur palestinien ». En 1996, Parmentier, à la demande de Roger Garaudy, témoigna, tout comme l’abbé Pierre, au procès intenté au philosophe pour son livre Les mythes fondateurs de la politique israélienne ; livre considéré comme « négationniste », ce que notre pasteur nie farouchement. Ce témoignage en faveur de Garaudy lui valut, on s’en doute, bien des ennuis… et d’être traité d’antisémite, malgré tout son passé !

Les actualisations de la Bible

Au milieu de toutes ses activités, Roger trouva le temps d’écrire. Ce fut d’abord L’Évangile autrement, publié aux éditions du Centurion, qui réactualise l’évangile selon Matthieu. Beaucoup d’autres ouvrages suivirent : les prophètes Amos et Osée, le prophète Jonas et le Cantique des Cantiques, l’évangile selon Jean, l’épître de Jacques, etc. Tous ces livres furent édités puis réédités par L’Harmattan. Il fonde avec des amis l’Association oecuménique ACTUEL. Il élabora même de nouvelles paroles pour les vieux cantiques protestants ! Qu’on imagine pas un fantaisiste : il faut être rentré dans sa maison remplie de livres de théologie, de la cuisine aux chambres, pour prendre un peu la mesure de sa culture.

Quand il se retira dans sa maison des Pyrénées, il poursuivit son travail et n’hésitait pas à se déplacer en voiture à Montpellier, à venir en train à Paris pour tenter de secouer ses confrères pasteurs. Pourtant, il n’avait pas été épargné par les épreuves : décès de sa femme mais aussi de deux de ses fils. Ces dernières années, il publia successivement deux petits livres, le premier s’adressait aux Juifs pour rappeler son « long chemin d’amitié avec les Juifs et le Judaïsme », sa « sympathie déçue » et le « mythe du peuple élu » qui a légitimé ségrégations, spoliations et massacres ; dans le deuxième, paru en 2011, il affirmait dès le titre « Musulmans, nous vous respectons et nous vous aimons. » Il reproduisait dans cet ouvrage le discours d’Obama au Caire, en 2009 : il espérait que le président étatsunien inaugurait ainsi une nouvelle attitude de l’Occident à l’égard du monde musulman…

Au début du mois d’août dernier, il animait encore, à 94 ans, comme chaque année, une session sur la Bible. Quand je le rencontrais pour la dernière fois, en avril dernier3, je le vis toujours plein de projets, l’un d’eux m’inquiéta : il voulait partir en voyage de groupe en Algérie, en septembre, mais dut y renoncer. C’est chez lui qu’il mourut en septembre. Quinze jours auparavant, au téléphone, tout allait bien. Roger, je ne t’oublierai pas.

1Je puise la plupart de ces informations des pages autobiographiques de Roger Parmentier dans son petit livre, Un long chemin d’amitié avec les juifs et le Judaïsme, l’Harmattan, 2008, p. 7 à 61.

2Cet article de Maxime Rodinson était d’autant plus remarquable qu’il avait été écrit avant la guerre des Six-Jours et les conquêtes israéliennes.

3La photo que Golias reproduit est celle que j’avais prise alors de lui.

(article paru  dans Golias Hebdo , 4 octobre )

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Merkhollande

Comment, ces jours-ci, ne pas évoquer le Traité budgétaire européen que notre gouvernement veut faire voter par le Parlement ? Certes, en mai dernier, nous étions nombreux à ne pas nourrir trop d’illusions sur François Hollande : que ferait-il de ses belles promesses et d’abord, celle de renégocier cet inquiétant Traité ?

Or, François Hollande a reculé totalement face à Merkel. Contrairement à ce qu’il affirme ainsi qu’Ayrault et ses ministres, il n’a quasiment rien obtenu. Bien entendu, notre nouveau gouvernement n’a pas envisagé un référendum permettant aux Français de donner leur avis : il est vrai que celui de 2005 n’a pas laissé, en haut lieu, de bons souvenirs… Ainsi, deux présidents de la République, l’un de droite, en 2007, en ne tenant pas compte des résultats d’un référendum, l’autre de gauche, en 2012, en reniant ses promesses électorales, aboutissent au même déni de démocratie.

Ne vous fiez pas aux économistes qui occupent les médias officiels et qui font leur boulot en vantant les « mérites » du traité ; cherchez plutôt le diagnostic des économistes marginalisés et groupés aujourd’hui sous le sigle d’ « économistes atterrés ». Citons entre autres Jean-Marie Harribey, Dominique Plihon, Jacques Généreux, Paul Jorion, Michel Husson, Christophe Ramaux et Thomas Coutrot, tous universitaires ou chercheurs ; mais vous n’entendrez jamais ces économistes sur les ondes. Parmi les politiques, en dehors des Verts, une voix s’est élevée au PS, celle de la courageuse Marie-Noëlle Lieneman, sénatrice, qui annonce qu’elle votera Non au Traité.

Plus significatif peut-être est l’avis de Paul Krugman, prix Nobel américain, qui rappelait ce que disait Keynes en 1937 : « Au Trésor, le bon moment pour l’austérité, c’est lors d’un boom, pas lors d’une récession. » Dans son dernier ouvrage, Sortez-nous de cette crise… maintenant !, il plaide pour une politique de relance. « Dans une économie profondément déprimée, quand les taux d’intérêt susceptibles d’être contrôlés par les autorités monétaires sont proches de zéro, il faut que l’État dépense davantage, pas moins », jusqu’à ce que le secteur privé « soit en mesure de reprendre son rôle de moteur de l’économie. »

Quant aux « économistes atterrés », dans un long communiqué que l’on trouve sur internet, ils démontrent l’absurdité d’un Traité budgétaire qui ne s’attaque pas aux causes de la crise puisqu’il ne touche pas à la financiarisation. La recherche du quasi-équilibre des finances publiques est un dogme des économistes libéraux qui oublient que les États-Unis, le Royaume Uni et le Japon ont, eux aussi, accumulé des déficits publics. Selon l’article 7 du Traité, la Commission européenne imposera des politiques budgétaires interdisant toute politique de soutien à l’activité.

Hollande et ses amis, pour réduire la dette publique, engagent la France dans une politique d’austérité catastrophique. A l’opposé des promesses du candidat Hollande. Le traité va nous installer dans la dépression économique et provoquer un accroissement du chômage. La Grèce démontre pourtant que l’application des plans d’austérité ne freine nullement l’accroissement de la dette publique en raison du ralentissement de l’économie.

N’en doutons pas, les électeurs, déçus, désorientés et furieux, sanctionneront les socialistes aux prochaines élections. Sans doute, la droite et le Front de gauche en profiteront mais, il y a tout lieu de craindre que le Front National sera le principal bénéficiaire de cette volte-face. Tout ce que nous voulions éviter.

Reste encore un test à venir : la promesse d’accorder le droit de vote aux immigrés aux élections locales que l’on attend depuis 1981. A voir.

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Etre chrétien à Jérusalem

Je voudrais évoquer aujourd’hui le sort des prêtres et religieux à Jérusalem. En France, un graffiti antisémite sur une synagogue est, avec raison, dénoncé et répertorié. A Jérusalem, les insultes contre les prêtres et religieuses sont depuis longtemps devenues pratique courante au point que personne n’en parle. Mais, depuis quelques mois, l’on observe l’essor de ce phénomène inquiétant : les crachats distribués par des ultra-orthodoxes.

Dès octobre 2004, le quotidien israélien Haaretz lui avait consacré un long article et rapportait que, quelques jours plus tôt, un étudiant de yeshiva de 21 ans, avait craché en direction de la croix lors d’une procession près du Saint Sépulcre. Plus tard, un moine orthodoxe qui était en voiture a vu un juif avec barbe et chapeau frapper sur son pare-brise : il a descendu sa vitre et reçu alors un crachat en pleine figure. En 2010, le dominicain Jean-Baptiste Humbert, directeur de recherche à l’École biblique et archéologique de Jérusalem, fut témoin de l’agression d’un jeune religieux catholique , venu à Jérusalem pour étudier l’hébreu et le judaïsme !  Il  l’a vu  subir les crachats de tout un groupe de jeunes juifs religieux. Il l’accompagna au poste de police pour porter plainte mais l’attitude des deux officiers de police fut tellement odieuse qu’ils y renoncèrent…

Le professeur Israël Shakak avait expliqué, il y a des années, que « le fait de déshonorer les symboles religieux chrétiens était un devoir religieux ancestral dans le judaïsme ». Apparemment, pour les juifs les plus pratiquants, cracher sur les croix ou par terre en passant devant les églises est enseigné aujourd’hui encore. Mais quand le dominicain Jean-Baptiste Humbert en a témoigné, le 23 décembre 2010, sur les ondes de France-Inter et  a expliqué que, pour les juifs, « le chrétien est impur », quel tollé ! Le verdict tomba aussitôt : antisémite et la Ligue de Défense Juive (LDJ) exigea des excuses et un droit de réponse à France-Inter. Le refus suscita, le 8 janvier au soir, une opération d’une trentaine de membres de la LDJ qui occupa les locaux de Radio-France et s’empara des micros de France-Inter pour rectifier l’information à sa manière. Aucune arrestation ne fut effectuée. Auparavant, le 27 décembre, au micro de la Radio communautaire Juive (RCJ), Clément Weill-Raynal, journaliste de France-Télévision, intitulait un papier « Quand France-Inter « crache » sur les Juifs à la veille de Noël ». Il écrivait : « Vérification faite, il s’agit d’une vieille histoire qui, si elle a jamais existé, date de plusieurs années. En tout état de cause et à ma connaissance, aucun incident de ce type n’a été signalé ces derniers temps dans la Ville Sainte. »

Mais revenons à Jérusalem où, ces mois derniers, les choses se sont encore aggravées. En septembre, des extrémistes ont incendié la porte du monastère de Latroun avec, de surcroît, des graffitis injurieux pour les chrétiens. Puis, le 2 octobre, sur la porte du monastère franciscain du Mont de Sion, près du Cénacle, on trouve écrit : « Jésus, fils de p… ». Les évêques de Terre Sainte protestèrent auprès des autorités israéliennes qui, d’ailleurs, condamnèrent ces actions. On attend les arrestations ; elles ne devraient pas être difficiles puisque ces deux actes étaient signés : « Le prix à payer ». Il s’agit d’une organisation clandestine composée notamment de membres de la colonie sauvage de Migron qui se vengent de la décision de la Cour Suprême d’Israël, prise il y a dix ans, et enfin appliquée, d’évacuer les colons de ce lieu.

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Sur les silences de Pie XII

L’édition française de L’Osservatore Romano du 12 juillet dernier se félicitait du changement de légende sous le panneau et la photo de Pie XII au musée de Yad Vashem. Au lieu du titre « Pie XII et l’Holocauste », on lit désormais « Le Vatican et l’Holocauste ». A cette occasion, je voudrais faire partager les notes que j’ai prises à la lecture d’une très intéressante belle thèse de doctorat, celle que Muriel Guittat-Naudin a soutenue, en décembre dernier, à l’EPHE, sur un sujet très sensible : « Les silences de Pie XII. Histoire d’une controverse (1944-2002) ».

La période sur laquelle porte son étude indique bien qu’il s’agit d’analyser la controverse née du silence de Pie XII devant l’extermination des juifs et de suivre son évolution au fil des ans. Car la perception de ce « silence » a singulièrement varié et l’auteur établit une périodisation en trois temps.

Dans une première période (1944-1962), Pie XII apparaît essentiellement comme le pape de la paix qui, tout en restant neutre dans le conflit, avait sauvé des juifs, et en particulier les juifs romains en donnant l’ordre de les cacher au Vatican, dans les couvents et à Castelgandolfo. Cette vision du rôle de Pie XII fut confortée par les remerciements de nombreux juifs : citons seulement les 70 délégués juifs de l’United Jewish Appeal représentant près de 15.000 réfugiés. Le pape en profita pour souligner, avec bonne conscience, le rôle positif de la papauté à leur égard.

Les dirigeants juifs eux-mêmes ont contribué largement à forger cette image du « pape sauveur de juifs ». A cette époque, ils ont une préoccupations concrète tournant à la hantise : solliciter l’aide du pape dans la recherche des orphelins juifs cachés par des familles et des institutions catholiques pendant la guerre et obtenir leur retour dans leurs communautés d’origine.

Il y eut pourtant des catholiques pour critiquer l’attitude du pape pendant la guerre. Les critiques publiques sont extrêmement rares ou indirectes. La plus notable fut la lettre que Jacques Maritain écrivit, en juillet 1946, à Mgr Montini afin qu’il intercède auprès de Pie XII : le nazisme étant vaincu, le pape devait élever la voix contre l’antisémitisme. Mais le pape se tait malgré les pogroms en Pologne qui ont lieu au même moment. Ce silence après la guerre peut d’ailleurs être considéré comme un deuxième silence qui, cette fois, n’a plus la moindre excuse.

Dans son allocution du 2 juin 1945 au Sacré Collège, Pie XII affirmait que « l’Église avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour opposer une digue puissante à l’envahissement de ces doctrines aussi délétères que violentes » et il évoquait « le spectre satanique du national-socialisme. » Si l’on écarte la presse communiste délibérément polémique et hostile, Pie XII apparut, pendant les années cinquante sous l’image positive d’un pape qui avait été charitable et pacifique. L’auteur rappelle d’ailleurs combien la littérature hagiographique catholique reconstruit le passé en le magnifiant. Voici donc, nous dit-elle, des « consciences verrouillées ».

Il est vrai que l’on n’a pas encore pris la mesure de l’extermination des juifs pendant la guerre. Pourtant, Léon Poliakov qui publia en 1951 le Bréviaire de la Haine apportait des documents permettant une mise en cause de Pie XII ; bien que préfacé par François Mauriac, son livre ne suscita presque aucun écho dans l’opinion.

La mort de Pie XII à l’automne 1958 provoqua un phénomène qu’on rencontre lors du décès de dictateurs. Les premiers jours, les éloges sont unanimes et dithyrambiques : de La Pensée catholique à Témoignage chrétien, de La Nation française au Populaire et à Combat, les citations de la presse française que nous donne l’auteur sont édifiantes. Puis, moins d’un mois après la mort de celui que Jean-Marie Domenach qualifiait de « Staline de l’Église », les critiques émergèrent et se multiplièrent.

Qu’on me permette une remarque personnelle : Staline a connu semblable avatar : après les « émeutes de l’adoration » (Jean Cathala), on tourna vite la page ! L’étude de la presse française que nous offre Muriel Guittat-Naudin témoigne d’un phénomène identique. Dès le 10 octobre, dans Le Monde, Jean de L’Hopital affirmait que le pape Pacelli qui avait dénoncé si fermement le communisme, les catholiques progressistes et les théologiens d’avant-garde n’avait pas condamné l’hitlérisme. Michel François, dans La Nef de novembre 1958, n’hésitait pas à parler du « culte de la personnalité » développé par Pie XII.

Le débat rebondissait. Tandis que la communauté juive restait prudente, trois voix s’élevèrent avec colère : Wladimir Rabinovitch, Jacques Lazarus et Émile Touati qui soulignaient la germanophilie du pape. Bien entendu, Pie XII a des défenseurs qui s’exprimaient dans La Croix et les Études. Leur argumentation repose sur « l’unanimité » des témoignages des survivants qui ont tous remercié le pape après la guerre et sur la conviction que la première encyclique de Pie XII (20 octobre 1939) était une condamnation du nazisme. Je m’étonne que l’auteur ne se soit pas penchée sur cette encyclique car cette affirmation ne résiste pas, selon moi, à une lecture attentive de Summi Pontificatus.

On me permettra ici une parenthèse sur cette encyclique qui, publiée deux semaines après l’écrasement de la Pologne, n’évoque que très vaguement le conflit, multiplie les allusions du genre « épreuves de l’heure présente », « circonstances difficiles » qui résultent du « gigantesque tourbillon d’erreurs et de mouvements anti-chrétiens » et de l’oubli de la loi naturelle. Le nom de la Pologne est absent du texte qui, par contre, consacre un paragraphe à « la chère Italie » et à « l’oeuvre providentielle des accords du Latran »…

Revenons à notre sujet. La riposte de Rome reposa sur la publication d’archives vaticanes inédites par trois jésuites dont l’ancien secrétaire de Pie XII, le jésuite Robert Leiber. Le leitmotiv de ces publications était : « Laissons parler les faits. » L’auteur n’en conclut pas moins que, jusqu’en 1963, « plusieurs mémoires du pontificat de Pacelli cohabitent sans que l’une l’emport vraiment sur les autres. » L’image du « docteur de la paix » (Témoignage chrétien) survivait : les épiscopats étaient les responsables du silence tandis que le pape avait fait tout ce qu’il pouvait.

La mise en scène, à partir du début de 1963, du Vicaire, de Rolf Hochhuth, change radicalement le paysage et ouvre sur la deuxième période (1963-1969). Dans cette pièce, toute l’action du Vatican est concentrée sur la personne du pape et son silence. La caricature que Hochhuth fait de Pie XII affaiblit, certes, sa pièce, pourtant, selon l’auteur, ce fut un « véritable séisme » qui obligeait les catholiques à se pencher sur le passé. Que la valeur historique du Vicaire soit contestable et que la pièce s’apparente à un pamphlet ne change rien à l’affaire. Elle suscite le succès et le scandale.

Le Vicaire arrive dans un contexte changé par plusieurs événements : la publication en 1959 du Journal d’Anne Franck et du Dernier des justes, en 1961, le procès et l’exécution d’Adolph Eichmann en Israël, et en plein Concile Vatican II. Certains chrétiens exigeaient d’ailleurs, depuis les années trente et quarante, une attitude nouvelle de leurs Églises à l’égard des juifs.

Les défenseurs de Pie XII ne manquèrent pas de riposter : en France, avec le jésuite Michel Riquet – dont l’attitude pendant la guerre fut irréprochable –, et Mgr Guerry . Ailleurs, avec des prises de position vigoureuses des divers épiscopats. Quant aux grandes organisations juives, elles s’abstinrent de prendre position ou publièrent des textes très modérés : en effet, au même moment, un texte concernant les juifs était en discussion au Concile.

Mais il importe de souligner le silence de Jean XXIII ; délégué apostolique à Istanbul, il avait aidé activement les juifs persécutés et tenté en vain d’obtenir une parole claire du pape. Paul VI allait, au contraire, défendre passionnément la mémoire de Pie XII en quelques occasions et, en particulier, à Jérusalem en janvier 1964. Collaborateur de Pie XII à la secrétairerie d’État, il argumentait : une attitude de condamnation aurait entraîné des représailles des nazis.

Dans toute la presse, catholique ou non, on débat désormais ouvertement : si Pie XII avait parlé aurait-il été écouté ? Carlo Falconi le pense tandis que le protestant Fadieh Lovsky et Jean-Marie Domenach en doutent ; le pape n’est pas un prophète, affirme ce dernier qui ajoute qu’il y a « une raison d’Église qui fait parfois penser à la raison d’État ». Mais tous pensent que le pape Pacelli ne s’est pas comporté en témoin du Christ.

C’est à l’extrême droite que Pie XII trouva ses plus zélés défenseurs : dans Aspects de la France et la revue Itinéraires de Jean Madiran. Apparaît aussi Paul Rassinier, un ancien anarchiste, pacifiste et munichois qui, dans Rivarol et dans ses livres, prit la défense du pape Pacelli et mit en question les chambres à gaz.

Avec Le Vicaire la « conspiration du silence » a été brisée. Les études historiques se multipliaient et l’historien Saul Friedländer publiait un recueil de documents diplomatiques allemands ; le Vatican commençait la publication des Actes et documents du Saint-Siège pendant la seconde guerre mondiale. Seul Wladimir d’Ormesson, ancien ambassadeur auprès du Saint-Siège, et quelques personnalités romaines niaient encore que Pie XII ignorait le crime monstrueux que commettaient les nazis. Selon Saul Friedländer, le pape Pacelli ne serait intervenu rapidement qu’en une seule occasion, en avril 1944, contre la déportation des juifs hongrois. Cependant, l’historien israélien Pinchas Lapide, dans Rome et les juifs (1966) estimait que Pie XII avait sauvé au moins 700.000 juifs, le créditant ainsi de toutes les actions des catholiques en faveur des juifs ! On s’interrogeait d’autant plus sur les motivations de Pie XII que Jean XXIII avait modifié l’image de la papauté. Germanophilie du Vatican, obsession anticommuniste, volonté de préserver le catholicisme et en particulier Rome (donc argument du moindre mal), préserver ses chances de médiateur dans le futur règlement du conflit, chaque explication est pesée pour comprendre les silences de Pie XII.

On ne peut oublier que ces débats se déroulent en même temps que le Concile qui vota, en octobre 1965, la déclaration Nostra aetate. Mais cette dernière déçut le monde juif. En effet, la version adoptée du texte avait supprimé les mots « déicide » et « condamne » ; pour autant Muriel Guittat-Naudin simplifie vraiment les choses en parlant de « refus de supprimer le terme « peuple déicide » » ! Il est vrai, par contre, que Paul VI avait prononcé un discours catastrophique, le dimanche 4 avril 1965. Il est vrai encore que, d’après les textes qu’elle cite, nombreux furent les juifs qui ne comprirent pas que Nostra aetate allait donner un élan inouï au dialogue judéo-chrétien. En novembre 1965, l’annonce de l’ouverture du procès de béatification de Pie XII – en même temps que celui de Jean XXIII – n’était d’ailleurs pas rassurante mais passa presque inaperçue. Ajoutons qu’en 1967 certaines personnalités juives rapprochèrent le silence de Paul VI pendant la guerre des Six-Jours du silence de Pie XII.

Le procès de Pie XII qui coïncide avec le Concile renforce les interrogations des catholiques non seulement sur les relations entre judaïsme et christianisme mais aussi sur la mission du pape et la place que l’Église doit occuper dans le monde. Toutes ces pages de Muriel Guittat-Naudin, nourries par une immense documentation, apportent beaucoup.

La troisième partie de cette thèse (1970-2002) apparaît plus composite.

Les années soixante-dix et quatre-vingt sont marquées par de nouveaux travaux historiques fondés sur des sources diplomatiques, y compris celles du Vatican. Le « silence de Pie XII » est à la fois nuancé (le pape a parlé à demi-mots à trois reprises (Noël 1940, Noël 1942 et allocution au Sacré-Collège du 2 juin 1943) et aggravé par son mutisme devant les massacres des Polonais et des Serbes orthodoxes. Si bien que l’historien François Delpech parle d’un « triple silence. » Mais l’action de Pie XII en faveur des juifs de Rome est désormais établi sans conteste tout comme le drame de conscience vécu par Pacelli. Certains historiens soulignent aussi la passivité des Alliés, de la Croix-Rouge, de la Suisse. Pie XII garde pourtant des défenseurs comme l’historien Jean Chelini.

Après quoi, tous les griefs de la communauté juive contre Jean-Paul II sont passés en revue, du plus sérieux, l’affaire du Carmel d’Auschwitz, au plus anecdotique, la réception de Yasser Arafat au Vatican. Même la visite de Jean-Paul II à la synagogue de Rome, geste symbolique majeur, est loin d’être appréciée par tous les médias juifs, sensibles au « silence du Vatican sur Israël » (sous-titre de l’auteur).

Le grand événement est la publication, le 16 mars 1998, du document romain « Nous nous souvenons : une réflexion sur la Shoah ». La partie qui nous intéresse ici est la quatrième qui revient sur les positions de l’Église contre l’antisémitisme et l’aide apportée aux juifs par des chrétiens. Le texte reconnaît « les erreurs et les fautes de ces fils et de ces filles de l’Église » mais consacre un long passage à «la sagesse de la diplomatie du pape Pie XII » et rappelle les nombreux remerciements provenant de responsables juifs, y compris le message de Golda Meir à la mort de Pacelli. Le texte entendait démontrer que le pape a agi en silence. Menahem Macina conclut dans La Croix qu’il s’agissait de « Condoléances plutôt que repentance ».

L’auteur compare Nous nous souvenons avec « la déclaration de repentance de l’Église de France », le 30 septembre 1997 à Drancy qui, elle, était sans ambiguïté. Elle oublie, au passage, malgré sa vaste documentation et comme d’autres d’ailleurs, que la déclaration de repentance de Drancy n’a été signée que par seize évêques – ceux des diocèses qui avaient eu un camp d’internement – parce que le projet présenté au conseil permanent de l’épiscopat avait suscité trop de réserves et d’oppositions. Le P. Jean Dujardin, cheville- ouvrière de la déclaration française, en a témoigné dans un article publié dans la Nouvelle Revue Théologique. Cependant, les deux déclarations, française et romaine, réactivèrent le débat entre partisans et adversaires de Pie XII. Le Figaro ouvrit ses colonnes à la défense de Pacelli.

Restait enfin la lancinante question de la béatification de Pie XII, annoncée à la fin du concile, repoussée mais rebondissant dans les années quatre-vingt-dix. En 2000, Jean XXIII et Pie IX étaient béatifiés mais le pape Wojtyla préférait différer celle de Pie XII : était-ce un abandon implicite ? Or Benoît XVI, à la fin de décembre 2009, signait un décret ouvrant la voie à la béatification de Jean-Paul II et de Pie XII dont les vertus auraient été « héroïques » ! S’agit-il, dans l’esprit de Benoît XVI de réaffirmer la primauté de Rome et d’épargner, avec Pie XII, une Église proche du modèle pré-conciliaire ?

La thèse s’achève sans que l’affaire des « silences de Pie XII » ait été définitivement résolue. A Rome du moins où il reste entendu que le pape ne peut se tromper, non seulement dans ses affirmations religieuses mais, semble-t-il, dans ses choix très politiques. Pour ma part, je conclurai que si l’attitude de Pie XII pendant la guerre peut se comprendre, son silence après la défaite du nazisme est inexcusable.

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Algérie, cinquantenaire de l’indépendance : Robert Barrat, l’âme de la résistance à la guerre

En ouverture de ce blog, je voudrais rappeler, à l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie, la mémoire de Robert Barrat.

Robert Barrat, l’âme de la résistance à la guerre

Cet ancien normalien qui avait choisi d’être journaliste a publié dès 1955 le premier reportage dans les maquis du FLN. Il a créé le comité de Résistance spirituelle qui a rassemblé des prêtres, des intellectuels chrétiens et des militants de base; en 1957, ce Comité a publié la brochure Des rappelés témoignent. Il a multiplié les conférences d’information dans toute la France et, en 1960, a signé le Manifeste des 121. C’est pourquoi je reproduis son article d’avril 1956 qui a été un peu son credo paru dans Le Bulletin, avril 1956.

«  Pourquoi nous combattons  »

 

«  Pourquoi nous opposons-nous à une politique de force en Algérie et réclamons du gouvernement qu’il mette en oeuvre pour aboutir rapidement à une solution négociée  ?

1° Parce que la justice n’est pas réalisée en Algérie  : ni sur le plan politique, ni sur le plan économique, ni sur le plan social, ni sur le plan religieux.

2° Parce que, depuis cent vingt-cinq ans que la France a conquis et occupe l’Algérie, la population musulmane de ce pays n’a cessé d’être pratiquement maintenue sous tutelle et empêchée de participer effectivement à la gestion des affaires publiques.

3° Parce que le Statut de 1947 qui contenait une promesse d’émancipation et d’évolution est demeuré lettre morte depuis huit ans.

4° Parce que la plupart des consultations électorales, qui eussent permis aux aspirations du peuple algérien de se faire entendre par une voie légale et pacifique, ont été systématiquement truquées.

5° Parce qu’au signal de la Toussaint 1954, par lequel les Algérien tentaient d’alerter le peuple français sur la nécessité de profondes réformes dans les structures de la société algérienne, nos gouvernements successifs n’ont répondu que par des promesses verbales d’améliorations sociales et l’organisation effective de la répression  : dissolution de partis politiques, état d’urgence, ratissages, camps de concentration, tortures policières.

6° Parce que l’émotion légitimement soulevée par des attentats récents contre des civils européens ne doit cependant pas nous faire oublier que le combat mené depuis des années par le peuple algérien pour son émancipation est un combat fondamentalement juste. Des chrétiens, surtout lorsqu’ils sont français, ne peuvent pas ne pas regarder avec sympathie des hommes qui luttent pour leur liberté.

7° Parce que la guerre algérienne a pris un caractère de jour en jour plus inexpiable et total, et que nous ne voulons pas que la jeunesse française soit, malgré elle, entraîner à rééditer contre la population civile musulmane, les crimes collectifs de la Wehrmacht hitlérienne.

8° Parce que nous connaissons la profonde unanimité du peuple algérien dans sa volonté de résistance, et sommes persuadés qu’en dehors de son extermination quasi totale, il est vain d’espérer en la possibilité d’un rétablissement de l’ordre par les seuls moyens militaires.

9° Parce qu’une guerre ouverte en Algérie entraînerait fatalement la reprise de l’agitation au Maroc et en Tunisie, sonnerait le glas des espoirs d’une amitié entre les peuples français et nord-africains et d’une réconciliation entre chrétiens et musulmans, ferait voler en éclats toute idée d’un Commonwealth franco-africain, entamerait dangereusement la substance matérielle et morale du peuple français et provoquerait enfin l’avènement d’un régime autoritaire en France.

10° Parce que nous sommes chrétiens et que dans tout son enseignement, passé ou récent, l’Église hiérarchique nous demande d’oeuvrer à l’émancipation morale, sociale et politique des peuples colonisés.

11° Parce que dans tous les opprimés, quelle que soit leur race ou leur religion des chrétiens ne peuvent pas ne pas reconnaître la Face outragée et adorable du Christ.

La paix est possible en Algérie. Mais c’est à la condition que la France reconnaisse l’existence d’un vouloir-vivre national du peuple algérien, fort conciliable, si on le veut, avec l’existence d’une minorité européenne ayant gagné son droit de vivre sur le sol algérien.

En conséquence,

nous demandons au gouvernement de Front Républicain de franchir l’étape de plusieurs mois de guerre inutiles  ;

– de faire l’économie de dizaines de milliers de vies humaines, et d’incalculables richesses qui seraient plus utiles à des oeuvres constructives en France et en Algérie.

– d’entamer la négociation d’un cessez-le-feu avec les dirigeants du Front de Libération Nationale  ;

  • d’accepter que dès le retour au calme, le statut politique futur de l’Algérie et les étapes de sa réalisation soient déterminés par voie de libre discussion avec les leaders du peuple algérien.  »

La semaine prochaine, je publierai mes notes d’une thèse qui vient d’être soutenue sur «  les silences de Pie XII  ».

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