Les États Unis, qualifiés souvent de plus grande démocratie du monde, battent tous les records avec environ 2,3 millions de prisonniers en 2010, soit un taux de 7 % d’incarcérés, le taux le plus élevé du monde avant même la Chine !
En 1975, il n’y avait encore que quelques 240.000 détenus dans les prisons américaines ; on passe à 1 million en 1990 et à 2,3 millions en 2010 dont 138.000 femmes. Aujourd’hui, 25 % des prisonniers dans le monde sont internés aux États Unis alors que les habitants de ce pays ne représentent que 5 % de la population du monde. Ajoutons que la moitié de ces prisonniers sont des noirs et 25 % des latinos.
Comment en est-on venu là ?
Divers facteurs expliquent cette inflation carcérale. Il y a d’abord le trafic de drogue : en 2004, 25 % des prisonniers étaient des trafiquants ou des consommateurs. Ensuite, la politique de la « tolérance zéro », développée par deux universitaires conservateurs, a beaucoup contribué à remplir les prisons. Selon cette théorie, si l’auteur d’une petite infraction n’est pas puni immédiatement, il va récidiver et dériver progressivement de la délinquance au crime. Pas question de tenir compte des circonstances qui atténueraient la responsabilité du délinquant. Cette doctrine fut d’abord appliquée à New York, à partir de 1994, par son maire, Rudolph Giuliani puis s’est étendue à d’autres États. Treize d’entre eux ont voté une loi obligeant les juges à condamner à la perpétuité un délinquant pour un délit, même mineur, si les deux précédents sont « sérieux » ou « violents ». Les lois votées ont aussi imposé des sanctions minimales. Les mineurs n’ont pas échappé à ces mesures draconiennes. Dans une étude de 2005, Amnesty international précisait qu’il y avait au moins 2.225 détenus, mineurs au moment des faits pour lesquels ils avaient été condamnés, qui purgeaient une peine de prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle. Cette situation est, certes, contraire à la Convention Internationale des droits de l’enfant… mais les États Unis n’ont pas ratifié cette Convention.
Quant aux femmes détenues, un tiers d’entre elles environ sont emprisonnées pour usage de drogue mais nombreuses aussi sont celles qui sont incarcérées pour avoir tué un mari qui les maltraitait ou un violeur : la légitime défense ne leur a pas été reconnue. Des milliers d’enfants sont donc nés en prison et enlevés à leur mère dans les deux ou trois jours suivant l’accouchement ; comme, très souvent, le père est absent, ils sont proposés à l’adoption.
La prolifération des prisons
Pour faire face à l’accroissement des détenus, les établissements pénitentiaires ont « fleuri » dans tous les Etats. Ils relèvent de trois statuts différents : les prisons fédérales, celles relevant des États et celles relevant d’une administration privée car, à partir des années quatre-vingt, avec les présidents Reagan puis Bush et Clinton, nombre d’entre elles ont été privatisées.
En Pennsylvanie, par exemple, on compte 9 prisons fédérales et 28 prisons d’État. Et une nouvelle prison est en construction. Elles sont surpeuplées au point qu’en Californie, malgré l’existence de 33 prisons, les autorités ont dû réquisitionner des gymnases pour les transformer en dortoirs en alignant des centaines de lits.
L’industrie pénitentiaire
Les détenus travaillent à des tarifs très bas et ce sont évidemment les travailleurs internés dans les prisons privées qui sont les plus exploités : 17 cents de l’heure pour un maximum de 6 heures, soit un salaire de 20 $ par mois. Les prisons fédérales sont les plus généreuses : 1,25 $ de l’heure, la possibilité de travailler 8 heures et de faire des heures supplémentaires, ce qui permet d’atteindre 200 à 300 $ par mois.
Avec de tels tarifs, les prisonniers constituent une main d’oeuvre idéale pour les industriels. Au moins 37 États ont légalisé le recrutement de prisonniers par des entreprises ; parmi elles, on relève les noms d’IBM, Boeing, Motorola, Microsoft, Hewlett-Packard, etc. Le travail des détenus revient si peu cher qu’une maquiladora du Mexique a arrêté toutes ses activités pour les transférer à la prison de San-Quentin, en Californie.
L’industrie pénitentiaire est devenue, avec plus de 500.000 travailleurs, le deuxième employeur du pays après la General Motors. Elle a ses propres catalogues pour commandes par correspondance ou internet, ses sites web, ses expositions commerciales.
On comprend pourquoi, alors que le taux des actes de violence a diminué de 20 % en moins de dix ans, entre 1991 et 2000, le nombre de personnes incarcérées a augmenté : certains ont intérêt à accroître la population carcérale.
Ajoutons que les détenus, hommes et femmes, peuvent être loués aux collectivités locales pour réaliser des travaux d’entretien et doivent travailler enchaînés. En Alabama et en Arizona, on a assisté à ce spectacle d’un autre âge destiné, selon ses promoteurs, à dissuader les criminels potentiels.
Des prisons donc des emplois
Nombre de petites villes vivent d’ailleurs du système pénitentiaire. Ainsi, au Texas, pour Huntsville (35.000 habitants) les sept prisons avec leurs 15.000 prisonniers donnent du travail à 5.000 gardiens ; une famille sur deux a un de ses membres vivant de cette industrie un peu particulière. Et ces dix dernières années, le gouvernement américain aurait dépensé plus d’argent à construire des prisons que des universités. Dans l’État du Colorado, la construction de la prison de haute sécurité nommée Florence ADMAX, destinée à héberger les détenus jugés les plus dangereux et, en particulier, les terroristes islamistes, a été bien accueillie dans une région subissant la crise économique. Pourtant, le comté de Fremont comptait déjà 9 prisons… Certaines hébergent d’ailleurs des prisonniers venus d’autres États.
Faut-il préciser que la situation sanitaire dans ces établissements est très dégradée comme l’a remarqué un rapport d’Amnesty international ? En Californie, des milliers de détenus ont fait une grève de la faim pour obtenir de meilleurs conditions de détention.
Certes, depuis 1973, des médecins n’ont plus le droit de faire des expérimentations sur des prisonniers. Devant le Congrès, les responsables de l’industrie pharmaceutique avaient alors reconnu que les prisonniers étaient moins chers que les chimpanzés. Mais il reste des tortures bien plus subtiles comme les détentions prolongée à l’isolement, pendant des mois voire des années, dans des cellules de moins de 8 m2, où la lumière est allumée en permanence, et sans contact avec l’extérieur. Les conséquences psychiques peuvent être irréversibles.
Un sociologue américain, Elliott Currie, affirme : « La prison fait partie de notre univers quotidien à une échelle sans précédent dans notre histoire (…) L’incarcération massive est le programme social le plus efficacement appliqué de notre époque. »
Je n’ai pas évoqué la peine de mort qui est encore appliquée dans 33 États sur les 50 que comptent les États-Unis. J’aborderai cette dramatique question dans un article ultérieur.