J’aborde aujourd’hui mon étude de ces catholiques qui s’inspirent de la « minorité conciliaire ».
Le site disputationes theologicae – qui affirme son intention d’ouvrir ses pages à un véritable débat théologique – n’hésitait pas, le 30 juin dernier, à reproduire la supplique de Mgr De Castro Mayer, évêque de Campos, à Paul VI, le 25 janvier 1974. Cet évêque brésilien avait été au Concile un des animateurs du Coetus Internationalis Patrum. Dans sa supplique, il soumettait au pape son analyse de la liberté religieuse. Après avoir cité des textes de Pie IX, Léon XIII et Pie XII, il affirmait que la doctrine de la déclaration conciliaire Dignitatis Humanae ne s’accordait pas avec ces textes. Il concluait en avançant que, dès lors qu’un document de l’Épiscopat universel est en contradiction avec une doctrine déjà établie de longue date par le Magistère Ordinaire, il n’obligeait pas.
Mgr Gherardini, 87 ans, qui fut professeur d’ecclésiologie à l’Université du Latran jusqu’en 1995 et reste directeur de la revue Divinitas, a publié en 2009 un ouvrage intitulé Le Concile Oecuménique Vatican II. Un débat à ouvrir ; il y consacre un chapitre entier au « grand problème de la liberté religieuse ». L’auteur s’en tient à la tradition qui admet la liberté de conscience ; quant à la liberté religieuse, elle ne devrait pas aller au-delà de la tolérance, sauf à conduire au relativisme et à l’indifférentisme.
Mais Mgr Gherardini critique d’autres textes conciliaires dans son ouvrage. Il consacre un chapitre au décret sur l’Oecuménisme qui est l’objet d’un long désossage – si l’on peut dire – aboutissant à diagnostiquer « une rupture de la véritable tradition. » Concernant la liturgie, notre auteur, sans céder d’ailleurs aux descriptions apocalyptiques des innovations post-conciliaires, souligne avec pertinence que la Constitution prévoyait de conserver l’usage du latin dans les rites liturgiques (n° 36) et de ne concéder l’emploi d’une traduction en langue du pays qu’aux « clercs chez qui l’emploi de la langue latine est un empêchement grave à acquitter l’office divin comme il faut » (n° 101). Ce qui, d’un point de vue opposé à celui de nos auteurs, montre que le dynamisme engendré par le Concile amenait à dépasser le texte lui-même.
Ajoutons que dans son ouvrage, le prélat romain n’hésite pas à critiquer Jean XXIII à partir de son discours d’ouverture du Concile ; Vatican II devait proclamer « quelque chose d’absolument nouveau » qui était le but du fameux aggiornamento : l’homme, sa dignité, l’unité du genre humain et « dans ce but, on asservissait jusqu’à la parole de Dieu » (p. 154). Par contre, quelques pages plus loin, il écrit que Pie IX, le pape du Syllabus, « a tenté de libérer l’Église des tentacules du mal » (p. 179).
En 2009, Mgr Gherardini avait déjà publié un ouvrage très critique sur le dialogue oecuménique et interreligieux dans lequel il dénonçait la « judéo-dépendance » de l’Église. Ce prélat apparaît aujourd’hui comme le chef de file de ce courant de pensée anti-conciliaire. Son livre est préfacé par deux personnalités significatives. Mgr Mario Oliveri, évêque d’Algenga-Imperia (en Ligurie), qui s’est fait remarquer en exigeant de ses prêtres qu’ils cessent toute résistance à l’usage de la messe tridentine. Deuxième personnalité, Mgr Rantjith, archevêque de Colombo, au Sri Lanka, qui, auparavant, avait été secrétaire de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements.
Deux suppliques à Benoît XVI
En 2009, Mgr Gherardini avait écrit à Benoît XVI. Partant de l’herméneutique de continuité soutenue par le pape, il proposait que l’on procède à une analyse scientifique du Concile et de chacun de ses documents pour établir la question de sa fidélité à la Tradition de l’Église. Le résultat pourrait être « un grand document pontifical » ou un travail accompli par les spécialistes les plus prestigieux. De la sorte, on pourrait savoir « dans quel sens et jusqu’à quel point Vatican II, et surtout le post-concile, peuvent s’interpréter dans la ligne de la continuité indiscutable, ou si au contraire ils lui sont étrangers. »
En novembre 2011, une nouvelle supplique est adressée au pape et signée, cette fois, par 80 intellectuels catholiques italiens. Parmi les signataires, on relève les noms de Mgr Antonio Livi, ancien doyen de la faculté de philosophie de l’Université du Latran, de Roberto de Mattei, auteur d’un livre très récent sur le Concile vu du côté des vaincus, de Paolo Pasqualucci, professeur de philosophie du droit à l’Université de Pérouse, et de Cristina Siccardi, auteur d’une biographie de Mgr Lefebvre. Tous ces intellectuels reprennent la proposition d’une « évaluation sûre et objective » du Concile et, à cette fin, énumèrent treize questions concernant le rapport entre certains passages des textes conciliaires avec le magistère antérieur. Tout y passe, de la « vraie nature » du Concile, à l’omission des termes « surnaturel » et « transsubstantiation » dans les textes conciliaires en passant par la notion de « Peuple de Dieu », le principe de la liberté religieuse et l’oecuménisme actuel qui paraît conduire à « une sorte de nouvelle Église ou religion mondiale » (sic).
En décembre dernier, Jean Madiran qui fut longtemps directeur de la revue Itinéraires puis du quotidien Présent, organe des catholiques du Front national, se réjouissait des livres de Mgr Gherardini et des suppliques au pape. Et il écrivait : « Quand le moment sera venu, une sorte de Vatican III doctrinal pour un examen théologique du Vatican II pastoral, la comparution des nouveautés devant les critères traditionnels du Magistère de l’Église pour obtenir que soient tranchées les contestations, les divergences, les oppositions. Mais elles ne pourront l’être, demain ou plus tard, en concile ou sans concile, que par le Pape. » Ainsi, Christine Pedotti n’est pas la seule catholique à espérer un Vatican III1 ; tandis qu’elle voudrait ainsi « éviter le naufrage » de l’Église, les tradis en attendent un retour à la « vraie doctrine », quitte à resserrer les rangs autour d’un noyau dur.
Ces tradis se sentent le vent en poupe au point que, le 28 juillet dernier, le blog Osservatore Vaticano annonçait que deux réunions très discrètes, la première en mars et la deuxième en juillet, avaient rassemblé de hauts prélats et des spécialistes laïcs réputés pour une évaluation de Vatican II. Et d’autres réunions suivraient…
On verra prochainement comment la Tradition mais aussi certaines déclarations du cardinal Ratzinger sont utilisées par ce courant de pensée pour considérer que les textes de Vatican II doivent être révisés.
Merci beaucoup pour ces éclaircisements. Salutations