Paul VI : bilan d’un pontificat

« Une idée ambiguë s’est frayée un chemin même dans certains milieux catholiques : l’idée de changement qui, pour quelques-uns, s’est substituée à l’idée de mise à jour, d’aggiornamento souhaité par le pape Jean. […] Mais deux choses en particulier ne sauraient être remises en question : les vérités de la foi, définies avec autorité par la tradition et le magistère ecclésiastique et les lois constitutionnelles de l’Église qui imposent naturellement l’obéissance au ministère du gouvernement pastoral que le Christ a établi et que la sagesse de l’Église a développées1 ».

Paul VI ne pouvait être plus clair ; il n’était pas pensable de mettre en cause le gouvernement de l’Église et encore moins de repenser la foi. La « mise à jour » ne pouvait donc aller bien loin.

Certes, Mgr Montini était apparu à Milan comme un des évêques les plus ouverts d’un épiscopat italien dominé par le cardinal Siri ; le pape Jean avait fait de lui, aux yeux de tous, son héritier. Pour autant, son histoire personnelle et peut-être plus encore son tempérament angoissé, sa théologie très classique et sa spiritualité marquée par les années d’avant-guerre, ne le préparaient pas à conduire le Concile sur des chemins hardis ni à affronter avec sérénité la « crise » au sein de l’Église.

Le principal mérite de Paul VI a été de mener à bien la réforme liturgique voulue par le Concile. Répondant aux attentes d’une grande partie du clergé et des fidèles les plus dynamiques, il introduisit la langue vulgaire qui n’avait pas été prévue dans la constitution sur la liturgie. Malgré sa tendance naturelle au consensus, il ne transigea pas avec tous ceux qui restaient attachés à la messe de saint Pie V et encore moins avec Mgr Lefebvre. Le pape estimait, non sans raison, que ces dissidents mettaient en cause toute l’oeuvre du Concile. Quant à la liberté religieuse, qui, en dehors d’un groupuscule d’illuminés, aurait pu la contester ?

Paul VI a-t-il appliqué les autres réformes voulues par le Concile ? Malgré quelques modifications dans le gouvernement central de l’Église, la curie a conservé tout son pouvoir. On peut souligner que Paul VI, si soucieux de préserver la primauté pontificale proclamée à Vatican I, a délibérément torpillé la collégialité affirmée à Vatican II : le pape l’a réduite à des Synodes domestiqués tandis que la promotion du secrétariat d’État a renforcé la centralisation et le pouvoir pontifical. La règle des 75 ans ne s’est appliquée que très imparfaitement ; les évêques mal vus de la curie devant démissionner immédiatement tandis que les plus dociles obtenaient un sursis de plusieurs années. La seule vraie réforme de Paul VI, dans ce domaine, a été le couperet des 80 ans pour les cardinaux destinés à participer au Conclave ; ce fut et cela reste une réforme courageuse mais Paul VI n’a pas osé aller plus loin en introduisant au Conclave les présidents des conférences épiscopales.

Très soucieux de préserver le « dépôt de la foi » dont il était le gardien, Paul VI, malgré quelques gestes spectaculaires, a déçu tous ceux qui travaillaient au rapprochement oecuménique. L’étonnante déclaration Nostra Aetate n’a porté que des fruits limités sous son pontificat. Paul VI restait marqué par les violentes critiques émanant du monde juif à l’égard de Pie XII ; quant au monde musulman, le dialogue avec lui ne semblait pas prioritaire.

Plusieurs théologiens contemporains de Paul VI furent frappés par la contradiction entre ses vœux en faveur d’une « mise à jour » et son attachement à l’héritage qui lui avait été confié. Le chanoine Roger Aubert, théologien et historien, écrivit après la mort du pape : « S’il avait une sensibilité aiguë des problèmes actuels et des évolutions nécessaires, il était dépourvu, par suite de l’insuffisance de sa formation théologique première, des catégories mentales nouvelles indispensables pour aborder […] le tri entre la substance immuable du donné révélé et les revêtements contingents forcément relatifs2 ».

Les deux plus grandes critiques que l’on peut faire à Paul VI portent, d’une part sur ses interventions pour corriger les textes conciliaires dans un sens toujours conservateur et d’autre part sur sa restauration de la morale sexuelle traditionnelle.

Les corrections qu’il a imposées aux documents du Concile sont désormais gravés dans le marbre. Certains textes en sont profondément marqués comme le chapitre sur le mariage de Gaudium et spes. Or, ils ont un poids magistériel majeur dans l’histoire de l’Église.

Alors que les années soixante furent marquées par une recherche théologique passionnante, Paul VI a imposé un retour à la morale sexuelle la plus traditionnelle. Il s’est senti obligé, dans Humanae vitae, de confirmer la condamnation de la contraception de son prédécesseur Pie XI dans Casti connubii (1930), mais rien ne l’obligeait à confirmer l’obligation du célibat sacerdotal qui a toujours été reconnu dans l’Église comme une règle disciplinaire que l’autorité pontificale pouvait modifier. Sur ce point, la conviction personnelle de Paul VI a été déterminante et a eu l’inconvénient de consolider une tradition. On mesure ici le poids du tempérament du pape Montini. Ses dénonciations fréquentes, tout au long de son pontificat, de « l’érotisme » qui porte atteinte à la « dignité humaine et chrétienne3 », sa conception de la pureté et de la vertu de chasteté ont contribué à figer la morale catholique dans un univers dont le Concile avait tenté de le sortir. Jean-Paul II a ensuite illustré par de multiples encycliques, exhortations apostoliques et discours cette morale sexuelle ; l’opinion en a été frappé. Pourtant, c’est bien Paul VI qui a, dans un contexte l’obligeant à choisir nettement, pris l’initiative de ce retour à la tradition et, plus particulièrement, dans Humanae vitae, de restaurer la « loi naturelle » comme fondement de cette morale. Tous les pontifes qui lui ont succédé n’ont fait que l’imiter.

Comment interpréter l’éloge appuyé rendu par le pape François à l’égard de Paul VI ? Annonce-t-il, paradoxalement, son intention d’infléchir le cours de l’histoire récente de l’Église ? Et si tel est son désir, en a-t-il les moyens ?

1Paul VI, audience générale du 25 avril 1968 ; cité dans Face à la contestation…, op. cit., p. 17.

2Roger Aubert, « Paul VI, un pontificat de transition », La Revue nouvelle, 1978, p. 99 ; cité par Jan Grootaers, op. cit., 58.

3Par exemple, Paul VI, audience du 1er octobre 1969 ; Documentation catholique, n° 1549, 19 octobre 1969.

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