Tel est le titre du petit livre que je viens de publier aux éditions Golias. Deux événements m’ont donné l’idée de l’écrire. D’abord, le cinquantième anniversaire de la fin de Vatican II, en décembre 2015, mais aussi la béatification de Paul VI par le pape François, en octobre 2014 ; ce dernier l’avait qualifié de « grand pape » et « grand timonier du Concile ».
Il est vrai que la canonisation de Pie X en 1951, la béatification de Jean XXIII mais aussi de Pie IX, le pape du Syllabus, en 2000, la canonisation de Jean XXIII et de Jean-Paul II en 2014 et maintenant la béatification de Paul VI témoignent, comme l’écrit l’historien Étienne Fouilloux, d’un phénomène qui est « la fine pointe d’un mouvement d’exaltation de la papauté » ; le retard dont Pie XII est victime montre bien que des motivations très politiques pèsent toujours très fortement sur le destin de nos papes, même si Benoît XVI a tenu à proclamer, le 19 décembre 2010, « l’héroïcité des vertus » du pape Pacelli.
Quant au pape Montini, tourmenté, sans charisme et au physique fragile, sa figure avait été éclipsée par son successeur, Jean-Paul II, épanoui et sûr de lui. Pourtant, n’est-ce pas Paul VI qui a conduit l’Église sur la voie de l’aggiornamento engagé par Jean XXIII et mené le Concile à son terme ? Il est vrai que Paul VI reste dans les mémoires comme le pape de l’encyclique Humanae vitae ; une encyclique qui provoqua à l’époque un choc énorme et des désertions massives et définitives.
Il m’a semblé qu’il était temps, en 2015, de dresser le bilan d’un pontificat de quinze années et d’examiner si et comment ce pape avait appliqué les réformes voulues par le Concile et figurant dans ses textes. Sans passion ni complaisance.
A l’ouverture du Conclave de juin 1963, le cardinal Montini était, aux yeux de tous, le candidat de Jean XXIII pour lui succéder. Pourtant son élection au siège pontifical n’a été aussi facile qu’on pouvait le penser. Il lui fallut attendre le sixième tour de scrutin, le 21 juin 1963, pour être élu par 57 voix sur 80, soit 2 de plus que le nombre nécessaire malgré le soutien des cardinaux Suenens et Spellman. Une opposition conservatrice s’était regroupée sur le nom du très conservateur cardinal Siri, archevêque de Gênes. Déjà, une « majorité » et une « minorité » s’étaient affrontées pendant la première session du Concile et cette minorité n’avait pas l’intention de désarmer. Paul VI allait donc subir une résistance tenace aux réformes.
Dans sa première allocution, au lendemain de son élection, le nouveau pape rendait hommage à Jean XXIII et affirmait que « la partie la plus importante de notre pontificat sera occupée par la continuation du deuxième Concile oecuménique du Vatican ». Pourtant, les premières allocutions de Paul VI témoignent d’une tonalité personnelle qui tranche avec l’attitude du pape Jean. Le 30 juin, jour de son couronnement, il déclarait : « Nous défendrons la Sainte Église contre les erreurs de doctrine et de pratique qui tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Église menacent son intégrité et cachent sa beauté ». Le 6 septembre, il affirmait que la sollicitude pastorale ne signifiait pas « un changement d’attitude à l’égard des erreurs répandues et déjà condamnées par l’Église, le marxisme athée, par exemple. Chercher à appliquer des remèdes salutaires et urgents à une maladie contagieuse et mortelle ne signifie pas changer d’avis à son sujet ».
Le nouveau pape a 66 ans ; sa personnalité est complexe. Intelligent et très cultivé, grand travailleur, il est aussi angoissé et scrupuleux, hésitant et autoritaire. Dès février 1965, dans une audience générale, Paul VI évoquait « ses peines » : « Cela va parfois jusqu’à l’agonie1 ». Humble de caractère, il estime qu’il est de son devoir de conserver intacte la primauté pontificale. Très tôt, il est effrayé par les doutes qui se répandent parmi les fidèles et rappelle « sa divine autorité », « la certitude de la foi, obtenue avec l’aide […] du magistère ecclésiastique2 ».
Ses qualités et ses défauts pesèrent inévitablement durant le Concile et tout son pontificat. Le contraste entre Paul VI et Jean XXIII apparut d’emblée saisissant. Le 10 juillet 1963, un observateur vigilant comme le P. Congar écrivait : « Il sera beaucoup plus romain, du genre Pie XII : il voudra, comme Pie XII, déterminer les choses à partir des idées, et non simplement les laisser devenir elles-mêmes à partir d’ouvertures faites par un mouvement du coeur3 ». La remarque du dominicain devait, hélas, se vérifier.
Dans ses notes privées, lors de la retraite spirituelle qu’il suivit en août 1963, Paul VI mesurait l’ampleur écrasante de sa tâche : « La position est unique. Je veux dire par là qu’elle me place dans une solitude extrême. Elle était déjà grande auparavant, elle est maintenant totale et terrible. Elle donne le vertige. Comme une statue posée sur une aiguille ; ou plutôt une personne vivante, comme je le suis. Je dois être moi-même, faire par moi-même, converser avec moi-même, délibérer et penser dans le for intérieur de ma conscience4 ». Un seul homme peut-il en effet s’occuper du diocèse de Rome et en même temps, remplir efficacement sa tâche de primat d’Italie, de patriarche d’Occident ainsi que ses fonctions de pontife de toute l’Église ? Question d’autant plus brûlante que, depuis son enfance, le pape Montini était de constitution fragile. De facto, le pouvoir de son entourage allait en être augmenté.
Deux années plus tard, en novembre 1965, Paul VI annonçait à l’assemblée conciliaire qu’il avait décidé d’ouvrir les procès en béatification de Jean XXIII et de Pie XII, ces deux Pontifes « si grands, si pieux et qui nous sont très chers ». Montini n’avait-il pas été, pendant près de quinze ans, le plus proche collaborateur de Pie XII ? Le souci du consensus dans l’Église, véritable obsession de Paul VI, apparaît ici et avait guidé déjà ses interventions durant le Concile, avec des conséquences dont il nous faudra prendre la mesure.
Le pape Montini est le pape qui, à l’ONU, le 4 octobre 1965 , éleva un grand cri : « Jamais plus la guerre ! », un cri qui retentit dans l’univers ; mais il est aussi le pape de l’encyclique Humanae vitae qui, en juillet 1968, scandalisa un grand nombre de catholiques et ébranla leur foi en l’Église.
Je publierai prochainement sur ce blog la conclusion de mon ouvrage.
1Paul VI, audience générale du mercredi 17 février 1965 ; Documentation catholique, n° 1445, 4 avril 1965.
2Paul VI, audience générale du 27 octobre 1965 ; Documentation catholique, n° 1459, 21 novembre 1965.
3« Yves Congar, Mon Journal du Concile, tome 1, Cerf, 2002, p. 385.
4Cité par Philippe Chenaux, Paul VI, Cerf, 2015, p. 176.