Guerres au Moyen-Orient

La menace d’une intervention américano-française en Syrie a ramené le Moyen-Orient au coeur de l’«actualité ». Et pourtant, si l’on parle beaucoup depuis deux ans de la guerre civile qu sévit en Syrie, on n’évoque guère les attentats meurtriers, quasi quotidiens en Irak, l’occupation militaire de la Cisjordanie et le blocus inhumain de Gaza qui dure depuis cinq ans. Est-ce le pétrole qui suscite le sang et les guerres ?

Le grand journaliste anglais Robert Fisk « couvre » le Moyen-Orient depuis 35 ans pour le quotidien The Independant. En début de carrière, il a vu les Soviétiques envahir l’Afghanistan et a eu le rare privilège de rencontrer plusieurs fois Ben Laden. Dans un livre qu’il faut absolument lire, La grande guerre pour la civilisation. L’Occident à la conquête du MoyenOrient (1979-2005), Fisk fait le récit de ces rencontres saisissantes. Après quoi, le journaliste a suivi tous les conflits du Liban aux deux guerres du Golfe, arpenté sans peur tous les champs de bataille en passant par la Palestine et la guerre Iran-Irak. Cet humaniste bourlingueur n’a jamais sombré dans le cynisme mais garde une émouvante capacité d’indignation contre l’injustice. Le 4 septembre dernier, donc avant la proposition russe qui a bouleversé la donne, il publiait dans The Independant l’article suivant. Comme on le verra, sa pensée est dérangeante.

« C’est l’Iran, non la Syrie, qui est la véritable cible de l’Occident. L’Iran est plus que jamais impliqué dans la protection du gouvernement syrien. Dès lors, une victoire de Bachar est une victoire de l’Iran. Et des victoires de l’Iran ne peuvent être tolérées par l’Occident.

Avant que débute la guerre occidentale la plus stupide dans l’histoire du monde moderne – je fais évidemment référence à l’attaque contre la Syrie qu’on veut nous faire avaler – il serait aussi bien de dire que les missiles de croisière, dont nous attendons avec confiance qu’ils soient balancés sur l’une des plus anciennes cités humaines, n’ont absolument rien à voir avec la Syrie.

Leur objectif est de nuire à l’Iran. De frapper la république islamique, alors qu’elle a maintenant un nouveau et dynamique président, et alors que le pays pourrait être un peu plus stable.

L’Iran est l’ennemi d’Israël. De ce fait, tout naturellement, l’Iran est l’ennemi de l’Amérique. D’où le lancement de missiles contre l’unique allié arabe de l’Iran.

Il n’y a rien de plaisant dans le régime en place à Damas. Et ces commentaires ne le disculpent pas, y compris concernant l’usage de gaz chimiques. Mais je suis assez vieux pour me rappeler que, quand l’Irak – alors allié des Américains – a fait usage de gaz contre les Kurdes de Hallabiah, nous n’avons pas attaqué Bagdad. A vrai dire, il a fallu pour cette attaque attendre 2003, quand Saddam ne disposait plus d’aucun gaz toxique ni des autres armes qui nous donnaient des cauchemars.

Il m’arrive aussi de me souvenir que la CIA avait prétendu en 1988 que l’Iran était responsable du gazage de Hallabiah, un mensonge patent qui ciblait l’ennemi de l’Amérique que Saddam était alors en train de combattre pour notre compte. Et ce sont des milliers – non pas des centaines – de gens qui ont péri à Hallabiah. Mais ainsi vont les choses. Autres temps, autres normes.

Et je suppose qu’il vaut la peine de remarquer que, tandis d’Israël tuait quelque 17 000 hommes, femmes et enfants au Liban en 1982, lors d’une invasion prétendument provoquée par la tentative de meurtre par l’OLP de l’ambassadeur israélien à Londres – c’est en réalité Abou Nidal, le copain de Saddam qui avait organisé la tuerie – l’Amérique s’est bornée à appeler les deux parties à la « retenue ». Et lorsque, quelques mois avant cette invasion, Hafez el-Assad, le père de Bachar, a envoyé son frère à Hama pour éradiquer des milliers d’opposant Frères musulmans, personne n’a seulement grommelé un mot de protestation. « Les règles de Hama », comme mon vieux camarade Tom Friedman a cyniquement qualifié ce bain de sang.

De toute façon, il y a désormais d’autres Frères musulmans en scène – et Obama n’a même pas été capable d’un mot de réprobation quant leur président élu a été destitué.

Mais ne lâchons pas prise. Est-ce que l’Irak – quand il était « notre » allié contre l’Iran – n’a pas aussi eu recours à des armes chimiques contre l’armée iranienne ? Bien sûr que si. J’ai vu, semblables à ceux de la bataille d’Ypres, les blessés de cette ignoble attaque de Saddam. Je devrais ajouter que des officiers américains ont ensuite arpenté le champ de bataille et fait leur rapport à Washington. Et nous, nous nous en sommes souciés comme d’une guigne. Des milliers de soldats iraniens lors de la guerre de 1980 à 1988 ont été mortellement empoisonnés par cette arme immonde.

Le lendemain, je suis retourné à Téhéran dans un train de soldats blessés, et l’on sentait effectivement son odeur, au point qu’il fallait ouvrir les fenêtres des couloirs pour évacuer la puanteur du gaz. Ces jeunes hommes avaient, littéralement, blessure sur blessure. Des plaies horribles à l’intérieur desquelles s’ouvraient d’autres plaies encore plus atroces, à peu près indescriptibles. Pour autant, lorsque les soldats ont été envoyés pour traitement vers des hôpitaux occidentaux, nous autres journalistes – après que l’ONU eut fourni des preuves infiniment plus convaincantes que ce qu’il est probable d’obtenir de Damas – avons désigné ces blessés comme « possibles victimes de gaz ».

Ainsi, au nom du Ciel, que sommes-nous en train de faire ? Après que d’innombrables milliers de victimes ont péri dans l’abominable tragédie syrienne – maintenant, après des mois et des années de tergiversations – nous nous excitons au sujet de quelques centaines de morts. Terrible. Inconcevable. Oui, c’est vrai. Mais c’est en 2011 que le traumatisme de cette guerre aurait dû nous pousser à l’action. Et en 2012. Mais pourquoi maintenant ? J’en suspecte la raison. Je pense que l’armée impitoyable de Bachar el-Assad pourrait bien l’emporter sur les rebelles que nous armons secrètement. Avec l’aide du Hezbollah libanais – l’allié de l’Iran au Liban – le régime de Damas a écrasé les rebelles à Quseyr et elle peut être en train de les vaincre au nord de Homs. L’Iran est encore plus impliqué dans la protection du gouvernement syrien. Une victoire de Bachar serait dès lors une victoire pour l’Iran. Et des victoires iraniennes ne peuvent être tolérées par l’Occident.

Et puisque nous sommes sur le sujet de la guerre, qu’est-il donc advenu de ces magnifiques négociations israélo-palestiniennes dont se vantait John Kerry ? Tandis que nous exprimons nos angoisses sur les hideuses attaques chimiques en Syrie, la terre de Palestine continue à être avalée morceau par morceau. La politique israélienne du Likoud – négocier la paix jusqu’à ce qu’il ne reste rien de la Palestine – continue à grands pas. C’est pourquoi s’intensifie le cauchemar du roi Abdallah de Jordanie (cauchemar bien plus puissant que les « armes de destruction massive » sur quoi nous fabulions en 2003), à savoir que la « Palestine » se trouvera en Jordanie et non pas en Palestine. »

PS personnel : depuis que La Russie a ouvert la voie à un règlement écartant des frappes, seul gouvernement israélien manifeste sa déception.

 

 

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