Vie de prêtre (3) : Bernard Cagne

Bernard est né en 1924 dans une famille très pratiquante et modeste de Dijon. Son père était cheminot, syndiqué à la CFTC et la famille vivait au rythme de l’année liturgique. Bernard entra à l’école des Frères des écoles chrétiennes. Sans aucune pression de ses parents, Bernard voulut être prêtre dès l’âge de onze ans. Il entra donc au petit séminaire en 1936, à douze ans. Malgré un rythme très austère, Bernard ne semble pas en avoir souffert car il admirait beaucoup la liturgie. Un de ses professeurs partait chaque fin de semaine rejoindre un maquis et ramenait des cahiers clandestins du Témoignage chrétien que les élèves dévoraient. Le grand séminaire de Lons-le-Saunier fut plus difficile avec des professeurs vieux et dépassés. La soutane était déjà imposée et quand il s’empêtra dans sa robe, on lui rappela : « Quand on porte la soutane, Monsieur l’Abbé, on ne court pas. Vous allez être un notable, un notable ne court jamais »1.

En 1943, il est bouleversé comme beaucoup d’autres par la lecture de La France, pays de mission ? Avec un ami, il demanda à André Depierre de venir parler au grand séminaire. Il découvrit alors que « jusqu’ici, nous avions été éduqués, mais pas évangélisés ». Ayant épuisé son sursis pour le STO, il s’enfuit au maquis et, en octobre 1944, Bernard s’engageait dans la Division Leclerc. Démobilisé le 25 août 1945, il revint à Dijon avec la volonté d’exercer son sacerdoce « parmi les hommes tels qu’ils sont et au milieu d’eux ». Cela voulait dire rejoindre la Mission de Paris. Ce choix contraria les rêves de ses parents qui se voyaient déjà tenant le presbytère, lui faisant le jardin du curé et elle la maison.

A Montreuil

Avant d’entrer au séminaire de la Mission de Paris, à Lisieux, Bernard voulut faire une première expérience du travail ouvrier. En juillet 1947, il arrivait à Montreuil chez André Depierre qui avait constitué une communauté chrétienne, au 60 rue Victor Hugo, avec d’anciens jocistes et quelques Montreuillois. Il est immédiatement embauché comme OS et logeait dans un hôtel meublé. On lui proposa de se syndiquer à la CGT et il accepta. Cette première rencontre avec le monde du travail le fascina par l’esprit de camaraderie et de solidarité qu’il y découvrait. Il remarque : « A cette époque, les travailleurs chantaient encore pendant le travail ». A l’hôtel meublé, « chez Claude », les soixante chambres sur deux étages disposaient en tout et pour tout d’un WC et d’un poste d’eau dans la cour. Les boiseries des chambres étaient infectées de punaises.

Pour devenir un véritable ouvrier professionnel, de ceux qui mènent les luttes, Bernard Cagne fait un stage de quatre mois pour devenir ajusteur. En octobre 1948, il réunit une dizaine de chrétiens qui le connaissaient pour leur demander s’ils étaient favorables ou non à son retour au séminaire pour devenir prêtre.

Au séminaire de Lisieux

Ils étaient 160 séminaristes venus de toute la France et de tous les milieux. Les professeurs et l’ambiance sont exceptionnels. Bernard y lit l’oeuvre de Teilhard de Chardin encore interdite. Mais Rome intervint dès 1950 ; le séminaire de Lisieux est fermé. Bernard n’est pas encore prêtre et Rome demandait que ceux qui se destinaient à être prêtre-ouvriers exercent d’abord un ministère paroissial. On proposa à Bernard Cagne de rejoindre le père Rétif, curé de la paroisse du Petit-Colombes avant d’être ordonné prêtre à Noël. Il y retrouva deux prêtres qui, tout à la fois, desservaient la paroisse et travaillaient en usine.

Au Petit-Colombes

A trois, avec Louis Bouyer et Jean-Dominique Warnier, ils se construisirent une baraque. Bernard est embauché comme OS en octobre 1951 mais assurait encore une part de son ministère dans la paroisse. A la fin avril 1952, le voilà chez SIMCA. Or le 28 mai, le Mouvement de la Paix organisait une manifestation contre la venue du général américain Ridgway. Bernard et Louis Bouyer y participèrent. La répression policière fut brutale, fit un mort et donna lieu à des centaines d’arrestations. Bernard et Louis furent emmenés dans un commissariat et sévèrement tabassés avant qu’on ne découvre leur identité. Le scandale est énorme mais le cardinal Feltin prit leur défense. Désormais, les Renseignements généraux ne lâchèrent plus Bernard. Dans la paroisse, les réactions furent très contrastées et Bernard ressentit « les limites du milieu paroissial ». A SIMCA, on fit tout ce qu’il fallait pour le licencier avec comme motif : « Insuffisance de rendement ».

A la Pentecôte 1952, Bernard fit pour la dernière fois un sermon. Après avoir pointé au chômage, il retrouvait du travail et, finalement, en mars 1953, se faisait embaucher à La Courneuve, chez Rateau. La ville est un fief de la métallurgie avec 14 000 travailleurs et l’entreprise Rateau en a 3 200. Bernard devient P2 et le restera jusqu’en 1965, sans promotion, comme on peut le deviner.

A la Courneuve

Bernard était devenu un militant. Chez Rateau, il ne trouva que trois chrétiens pratiquants, gentils, syndiqués à la CFTC puis à la CFDT, qui n’ont jamais fait une grève… Chaque soir, après le travail, il rejoignait la Bourse du Travail où il retrouvait James Marson, dessinateur, qui deviendra plus tard maire communiste de la ville. Bernard écrit qu’il reconnaît « des valeurs bien proches de celles de l’Évangile, cet Évangile qui me dit que notre relation à Dieu passe nécessairement par notre relation aux autres. Je vais donc à l’usine comme on va à la source ».

Les Rateau étaient connus pour leur combattivité. La grève d’août 1953 qui dura trois semaines est aujourd’hui complètement oubliée alors qu’elle fut d’une puissance exceptionnelle à travers toute la France. Lors d’un rassemblement dans la cour de l’usine, on demanda soudain à Bernard de prendre la parole ; il se contenta de déclarer : « Je suis au milieu de vous, en plein accord avec vous ». Plus tard, Bernard devint un grand orateur. A la fin de l’année, Bernard entrait au bureau de l’Union syndicale des travailleurs de la métallurgie CGT et responsable non permanent pour Aubervilliers, La Courneuve, Stains et Le Bourget. On imagine la vie qu’il a dû mener.

La condamnation romaine

On ne reprendra pas ici la triste fin à laquelle Rome destina les prêtres-ouvriers. Bernard fait partie de la petite centaine de ces PO qui se réunirent à la fin février 1954 pour discuter entre eux. Pour lui, il n’était pas question de se soumettre à une « décision d’ordre administrative ou juridique ». Mais c’était un drame pour sa mère subissant des pressions du clergé de sa paroisse. Elle lui écrivait cependant, le 17 février 1954 : « Nous n’avons pas le droit de t’influencer, tu dois être le seul juge de ta conscience, nous te faisons confiance ». Et lui écrit dans son témoignage : « Si j’avais quitté le travail, j’aurais trompé l’Église, car je n’étais plus celui qu’elle croyait. Je lui demandais seulement d’être fidèle à l’amour qu’elle avait eu pour moi. Ce que ma propre mère m’avait donné ». A l’usine, ses camarades se firent discrets et fraternels et lui dirent simplement : « Tu restes avec nous, tu es des nôtres ».

Bernard fit partie d’un groupe de prêtres-ouvriers insoumis, appelé le groupe d’Issy-les-Moulineaux, qui se réunissait pour réfléchir à ce qu’ils vivaient et à leur foi. Au moment du Concile, ils étaient quinze à écrire une longue lettre aux évêques réunis à Rome pour faire entendre la voix des ouvriers. Le texte était sévère pour l’Église.

Juste après 1954, Bernard avait fait la connaissance de Denise. Cependant, il ne voulut pas demander sa réduction à l’état laïc : « Je désirais encore que l’Église accepte de reconnaître des prêtres différents dans un monde différent et je ne voulais pas, en ce qui me concerne, que l’Église puisse utiliser notre mariage comme une explication facile de l’interdiction des prêtres-ouvriers ». Denise sut attendre dix-neuf ans, avant leur mariage en 1974.

A corps perdu dans l’activité syndicale

Dans l’entreprise, c’est le syndicat qui est le pôle d’humanité et, avec le recul, Bernard estime que ses douze années chez Rateau « comptent parmi les plus riches de sa vie ». En 1965, ses camarades lui demandèrent de devenir permanent de la CGT de la Métallurgie. Il hésita : cela voulait dire qu’il ne pourrait plus jamais travailler ; il finit par accepter et resta permanent pendant quinze ans, jusqu’en 1980. Pendant les quatre dernières années de sa vie active, Bernard géra et développa les œuvres sociales de la Métallurgie parisienne.

Après avoir longtemps résisté aux pressions de ses amis communistes, Bernard finit par adhérer au PCF en 1976 mais pour un temps court : après le « bilan globalement positif » que Georges Marchais fit de l’URSS puis l’intervention soviétique en Afghanistan, il quitta le parti sur la point des pieds. Bernard commente : « En réalité, ce n’était pas au PCF que j’avais adhéré, mais à un groupe d’amis que je soutiendrai toujours et pour lequel je garderai la même estime ».

Bernard Cagne mourut en mai 2011.

1Je puise dans l’autobiographie de Bernard Cagne intitulée Prêtre-ouvrier à La Courneuve. Un insoumis de 1954, Karthala, 2007.

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