Vie de prêtre : Paul Boiteux (1)

Je commence aujourd’hui une série d’articles sur la vie de prêtres qui sont souvent passés inaperçus alors qu’ils méritent de rester dans notre mémoire. Paul Boiteux (1918-2005) – que j’ai un peu connu – est l’un d’entre eux. Il a écrit et publié en 1979 à compte d’auteur un ouvrage, Les léopards appelés à la liberté, qu’on peut encore acheter en occasion sur internet.

Paul naît dans une famille paysanne du Haut-Doubs. Quelques mois plus tard, son père meurt au champ d’honneur, comme on dit, laissant une veuve avec trois enfants. La mère doit abandonner les terres en location et se replier sur le jardin et quelques arpents pour faire vivre sa progéniture. Paul connaît donc dans son enfance une grande pauvreté : après l’école, « il fallait travailler tous les jours pour manger tous les jours » ; il fallait aussi, pour glaner dans les champs des propriétaires, supplier humblement. Il vit sous la coupe d’un trio des plus traditionnel : une mère dévouée mais autoritaire, un instituteur, maître exemplaire, anticlérical comme il se doit, et un vieux curé régentant toute la vie de ses paroissiens. Tous les matins, Paul assiste à la messe, corvée dépourvue de sens pour lui. A 11 ans, l’instituteur veut en faire un maître d’école mais le curé l’emporte : Paul va entrer au séminaire sans qu’on lui ait demandé son avis !

Au séminaire-caserne

D’octobre 1929 à juillet 1936, de 11 à 18 ans, Paul fut soumis à un rythme de vie monastique : levée à 5 heures du matin, prière puis méditation, étude, messe, petit déjeuner, classe, étude, dîner, récréation, étude, classe, goûter, étude, souper, prière du soir et coucher à 21 heure ; déplacements en rang et en silence, absence de relations amicales, tant redoutées par l’institution. Le « Père-Supérieur est un homme au coeur dur que tout le monde redoutait et que personne n’aimait » ; Paul manque cruellement de tendresse. « Le devoir premier d’un séminariste était de faire taire sa sensibilité et de racornir son coeur », constate-t-il. Bon élève, il exprime son malaise en organisant des chahuts. Vers l’âge de 16 ans, sa frustration se retourne contre le Dieu tyran, le Dieu « ennemi de la vie » dont l’existence lui semblait, hélas, incontestable. Il ne peut exprimer sa révolte auprès de personne. En 1936, à 18 ans, il décide de ne pas être prêtre mais il entre quand même au Grand Séminaire de Besançon : comment aurait-il pu fallu affronter sa mère, sa paroisse et le monde ecclésiastique ? Il est décidé à attendre le service militaire pour trouver une nouvelle orientation. A la fin de l’année scolaire 1939, il pousse « un ouf d’indescriptible satisfaction. Enfin, j’allais pouvoir être moi-même ! » L’Église lui donne la nausée ; il la perçoit comme une organisation para-militaire, une puissance temporelle et financière. La guerre arrive qui lui donne l’occasion de quitter le séminaire sans susciter de drame.

Sous les drapeaux, pour la délivrance de la France… et de lui-même

En septembre 1939, Paul fait ses classes d’élève-officier. Malgré l’entraînement physique intense, il est « heureux d’être un homme et un homme libre ». Après l’armistice, il est maintenu sous les drapeaux et intègre le 159e bataillon alpin. Le ralliement de l’Église au régime de Pétain lui donne un nouveau motif de détestation. Puis, au cours d’une conversation, un camarade l’incite à lire les quatre Évangiles. Et, pour Paul, c’est la découverte éblouissante d’un Jésus de Nazareth que neuf années de séminaire n’avaient su lui révéler ! Du coup, il franchit la ligne de démarcation et réintègre le séminaire de Besançon. Cette fois, il se retrouve avec plusieurs dizaines de séminaristes démilitarisés ; tous ont connu la vraie vie et obligent les supérieurs à fermer les yeux : les journaux et revues sont admis, certains sortent en ville de nuit comme de jour sans autorisation, on se rencontre dans les greniers aménagés en salles de réunions et de jeux. Signalons au passage que les séminaristes revenus de la guerre d’Algérie sèmeront, à leur tour, plus tard, un salutaire désordre dans les séminaires.

Paul est affilié à un groupe de résistance, il participe à des sabotages. Après avoir été ordonné prêtre en mars 1944, il demande à son évêque, Mgr Dubourg, d’être aumônier du maquis du Haut-Doubs. L’évêque est maréchaliste mais aussi un ancien combattant de la Première guerre mondiale : Paul reçoit l’autorisation qu’il sollicitait. Bientôt, l’armée d’Afrique repousse les Allemands et Paul s’engage dans le troisième Chasseur d’Afrique et participe à l’offensive jusqu’à Berlin.

Une première expérience en paroisse

Retour à la viecivile. Paul est nommé dans une « mauvaise paroisse » de Haute-Saône. Paroisse de faible pratique religieuse, rapportant peu aux prêtres. Sa mère tient le presbytère et surveille si étroitement son fils qu’elle n’hésite pas, lors d’une visite de l’évêque, à dénoncer ses désobéissances ! Le poids clérical est tel qu’après quelques velléités d’innovations, il cesse le combat : « Je devins le messager de la Sainte Vierge, des saints, des théologiens, des papes, des évêques, et le curé supporter d’une Église vieillissante au service d’un Dieu mort ». Cette sombre période de sa vie, Paul n’en est pas fier ; elle dura six ans jusqu’à ce qu’il découvre que ce Jésus qu’il admirait tant n’était pas seulement un sur-Homme mais « Dieu venu vivre en homme parmi les hommes ». Ce fut la seconde conversion de Paul.

Curé de Busy, journaliste et… amoureux

En 1952, l’évêque le nomme curé de deux paroisses de la grande banlieue de Besançon, Busy et Vorges. Mgr Dubourg lui confie aussi la rédaction du Bulletin de l’Est, une publication mensuelle de 16 pages tirant à 18 000 exemplaires dont le rédacteur vien de décéder. L’imprimerie appartenait à l’évêché et était une source de revenus. Paul Boiteux renouvelle le bulletin – qui devient Lumière de Vie -, non seulement par une maquette et une présentation plus soignées mais dans son contenu. Ce fut, pour Paul et pour les paroissiens de Busy, une source d’approfondissement religieux et d’enrichissement humain. Il devient un salarié et ne dépend plus des quêtes et des honoraires de messes pour subsister et, dit-il, en éprouva un « sentiment formidable de libération ». Le journal connaît un immense succès, rayonne bien au-delà des frontières du diocèse et son tirage atteint les 100 000 exemplaires. Paul reçoit un énorme courrier.

A Busy, Paul habite une cure entourée de hauts murs, avec barreaux de fer aux fenêtres. Avec des volontaires, il abat les murs, dégrillage les fenêtres pour que la cure apparaisse comme une maison parmi d’autres. Une action symbolique qui annonce d’autres réformes.

Mais voilà : très tôt, Paul tombe amoureux de Gisèle, une jeune fille du village qui l’aime aussi. Après un an d’échanges épistolaires, ils décident de ne pas cacher leur amour. A l’époque, Paul est encore jeune et aurait pu se recaser dans l’armée avec le grade de lieutenant, mais tous deux écartent cette hypothèse. Leur amour fait d’abord scandale et les dénonciations n’ont donc sans doute pas tardé à affluer à l’évêché. Plus que Paul qui reste un notable, c’est Gisèle qui subit insultes, grossièretés et vexations. A l’usine où elle travaille, c’est l’enfer. Cependant, leur ténacité parvient à vaincre tous les préjugés ; la dernière à capituler fut la mère de Paul. Pendant dix ans, elle avait employé tous les moyens de pression jusqu’à ce qu’elle rende les armes à son tour.

A trois reprises, Paul fut convoqué à l’évêché : on lui conseille « la prudence dans mes relations » et il en retire le sentiment qu’on ne tient surtout pas à connaître la vérité. Paul vit son amour sans remords : il a accepté le célibat comme une obligation pour être prêtre mais n’a pas reçu de Dieu le don de chasteté parfaite.

La révolution dans une paroisse

Paul Boiteux commença par rénover l’intérieur de l’église. Jusque-là, rien d’étonnant : l’évènement conciliaire a favorisé ce genre d’initiative. Mais il va beaucoup plus loin en voulant rendre « aux laïcs leur dignité et leurs droits, leur pouvoir d’hommes libres et d’enfants de Dieu ». Dès 1965, il songe à créer un Conseil de Paroisse qui finit par voir le jour en 1968. Un premier Conseil Paroissial est élu pour trois ans. Paul se veut seulement le gardien de l’Évangile et de l’unité de l’Église universelle. Il remet la caisse paroissiale et les livres de compte au Conseil ; lui-même vit de son salaire de rédacteur. Peu à peu, le Conseil soulève des problèmes nouveaux, suggère des changement qui, après des débats passionnés, sont soumis au vote. En 1971, un nouveau Conseil de Paroisse de 30 membres est élu ; tous les baptisés ont le droit de vote à partir de 15 ans. Le nouveau Conseil confirme « Paul Boiteux dans son rôle d’annonceur de la Bonne Nouvelle et d’animateur religieux par 83 % des votants ». Sa situation irrégulière aux yeux de la hiérarchie ecclésiale ne l’a donc pas rendu illégitime auprès de ses paroissiens.

La liturgie est repensée. Désormais, la messe dominicale commence par un mot d’accueil de l’un ou l’autre et, peu à peu, la vie entre à l’église : des syndicalistes parlèrent de leurs combats, des chrétiens décrivent ce qu’ils ont vu en Amérique latine ou au Vietnam, des non-violents et des écologistes s’expriment ; tout près, le conflit de Lip est suivi avec une attention particulière. La tâche de Paul n’est pas simplifiée pour autant : on lui demande d’expliquer le texte de l’Ancien Testament ou l’épître dominicale. Il doit donc mener chaque semaine des recherches sur l’histoire des premières communautés chrétiennes ou sur l’histoire juive pour s’acquitter de cette tâche.

La rénovation des sacrements apparut bientôt comme une nécessité ; les divorcés-remariés furent admis à communier s’ils se sentaient en paix avec leur conscience. Pour fêter Noël, l’église fut transformée en une grande salle à manger, avec une table nappée de blanc, illuminée de bougies, chargée de gâteaux.

Restait la question des honoraires de messes. Paul pouvait aisément s’en passer puisqu’il avait par ailleurs un travail rémunéré mais il était gêné de se désolidariser de ses confrères qui en avaient besoin pour vivre.

1976 : le coup de tonnerre

Paul déclare avoir été de plus en plus heureux au cours des années qui conduisent jusqu’au début 1976. A la fin de l’année précédente, l’archevêché avait vendu l’Imprimerie de l’Est et Paul change donc de patron. En juin, il est convoqué par l’archevêque, Mgr Lallier qui lui déclare que « sa vie privée est incompatible avec sa mission de prêtre » ; en même temps, son patron le congédie. Paul Boiteux ne le dit pas dans son livre mais il est évident qu’à partir du moment où l’archevêché avait vendu l’imprimerie, il n’avait plus besoin de ménager le prêtre responsable du bulletin.

Les paroissiens de Busy sont indignés et boycottent les messes célébrées par le prêtre nommé par l’évêque ; cependant, ils se réunissent dans l’église pour prier. Malgré la censure du quotidien régional, L’Est républicain, Alain Woodrow, journaliste du Monde, révèle « l’affaire » qui prend une dimension nationale. Les messages de soutien parviennent massivement à Busy.

Mgr Lallier change de tactique en décembre 1976 et obtient l’accord du Conseil de Paroisse pour la nomination d’un autre prêtre, Gérard Daucourt. Tout s’apaise pendant un mois, jusqu’au jour où le prêtre refuse d’une part, l’élection d’un nouveau Conseil de Paroisse et de permettre à Paul et à Gisèle de communier ! Daucourt a dévoilé son vrai visage, celui d’un exécutant docile des ordres de l’évêque ; il fit d’ailleurs, à partir des années 90, une carrière épiscopale.

Paul a été 25 ans curé de Busy et se retrouve à 58 ans sans sans ressources, sans compétence laïque et dans un contexte économique qui rend une reconversion plus que problématique. Il est chauffeur-livreur pour un boulanger avant de s’arrêter à 60 ans. Gisèle, après avoir été ouvrière, fabrique des bracelets de montre à la maison. Ils vivent avec une très petite retraite ; Paul, après 31 ans de ministère, reçoit l’équivalent de 120 euros d’aujourd’hui ! Mais ils avaient eu la bonne idée de se faire construire une petite maison en matériaux légers qui abrita leur amour jusqu’à la mort de Paul en 2005.

Un jour, Mgr Lallier avait traité les paroissiens de Busy de « léopards ». C’est pourquoi Paul Boiteux a appelé son livre Les léopards appelés à la liberté.

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Une réponse à Vie de prêtre : Paul Boiteux (1)

  1. Bernard CRETIN dit :

    Léopard,je l’ai connu, apprécié
    L’Eglise de demain qui nous dictait,et aujourd’hui sans doute impossible.

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