Michel Warchawski : un juif pacifiste

 

Toute occupation est mauvaise et corrompt moralement ceux qui y prennent part, prions le ciel pour que celle-ci se termine le plus vite possible. » C’est ce qu’affirmait le rabbin Max Warchawski à son fils Michel Warchawski, devenu une grande figure du pacifisme israélien. Dans un livre remarquable, Sur la frontière (Stock, 2002), ce dernier a décrit son itinéraire mais nous éclaire aussi sur la société israélienne.

Né à Strasbourg en 1949, il est le fils du grand rabbin de la capitale alsacienne entre 1970 et 1987 ; un ancien résistant, d’une rigoureuse orthodoxie, qui considérait que « l’identification avec les opprimés, les faibles et les humiliés faisait partie de son identité juive » et que « le soutien à l’indépendance algérienne était aussi évident que l’interdiction d’allumer la lumière le samedi. » Malgré la largesse d’idées de sa famille, Michel ne fréquentait et ne rencontrait que des juifs à Strasbourg. A 16 ans, il décidait de partir pour Jérusalem afin de suivre des études talmudiques. C’est là qu’il s’entendit qualifié de « youpin » par un cousin, juif lui aussi. Quand survint la guerre des Six-Jours, il se retrouva dans un kibboutz, près de Latroun où il assista, sans comprendre, à l’exode des Palestiniens du village d’Imwas (Emmaus) dont, peu après, on rasa les maisons, tout comme celles de deux autres villages ; les terres furent ensuite aménagées pour créer un grand parc de détente pour les Israéliens.

Michel Warchawski, dit familièrement Mikado, ne mit ensuite que quelques mois à mesurer ce qu’est l’occupation d’un pays : il quitte son collège talmudique, s’inscrit à l’Université et, surtout, commence à militer au Matzpen, une organisation d’extrême-gauche antisioniste et socialiste, qui ne comptait que quelques dizaines d’adhérents. Mais ils se rapprochent des étudiants arabes, d’ailleurs peu nombreux, et dans les manifestations, lancent le slogan : « D’Hébron à la Galilée, un seul peuple, un seul combat, un seul avenir ! » Considérés comme des traîtres par la société israélienne, – ils trouvèrent d’ailleurs difficilement un emploi -, ils n’en jouèrent pas moins un rôle en sortant du ghetto et en amorçant un pont vers les Palestiniens. Sa femme Lea Tsemel, avocate qui défendait les prisonniers palestiniens, était traitée de « pute des Arabes » et les enfants du couple eurent, de ce fait, une enfance difficile. Aujourd’hui, le Matzpen a disparu mais Mikado avec sa femme poursuivirent le même combat.

Un rôle de passeur

Michel Warchawski considère que son rôle principal est à l’intérieur de la nation israélienne, pour changer cette société et pour se placer « sur la frontière, dans ma propre société, mais aussi près que possible de l’autre société ». Pas question pour lui de rallier les organisations palestiniennes comme le firent quelques militants israéliens comme Ilan Halevy. (Est-ce un hasard si Mikado ne parvint jamais à apprendre l’arabe?) Se réappropriant la culture juive, il créa, en 1984, le Centre d’information alternative (AIC) avec des pacifistes israéliens ainsi que des palestiniens de gauche. L’équipe animatrice est donc mixte. Un des objectifs de l’AIC est de faire circuler les informations entre les deux communautés. Les Palestiniens savent peu de choses de la réalité israélienne et les Israéliens ignorent tout de ce qui se passe dans les territoires occupés. L’information circule donc en arabe sur Israël et en hébreu sur la Palestine. Plus encore, l’AIC entend, dans l’action, à dégager une vision stratégique susceptible de mobiliser Palestiniens – qui, tous, avaient fait des années de prison ! – et Israéliens dans le même combat pour l’avenir. C’est une brèche dans le mur qui sépare les deux communautés ; une brèche que les soldats de l ‘association Breaking the silence, refusant de servir dans le territoires palestiniens, allaient élargir au fil des années.

Procès contre un pacifiste

En 1987, Mikado est arrêté mais n’est pas torturé – on ne torture pas un juif. Des 31 chefs d’accusation, il ne resta plus, au verdict, que celui d’avoir assuré la composition d’un Manuel de formation du FPLP. Verdict : 30 mois de prison dont 20 mois ferme ! La Cour suprême réduisit ensuite la peine à 20 mois dont 8 mois ferme.

Aujourd’hui, Michel Warchawski poursuit son combat à l’AIC. Il a donné, entre 2003 et 2005, une série de conférences en France avec Leïla Shahid, déléguée générale de la Palestine auprès de l’Union européennes. En 2011, il écrivait, dans un petit livre intitulé Au pied du Mur, que le « processus de paix », c’est du vent, et que la réalité est un processus de colonisation. Qui lui donnera tort aujourd’hui après l’échec des négociations patronnées par les États-Unis ?

La séparation d’Oslo

A l’époque, en 1993, Mikado dit avoir misé sur la bonne foi des signataires des accords. Mais le général Matti Peled, un vieux pacifiste qui, dès 1976, avait entamé des contacts avec l’OLP, était plus réaliste. Warchawski cite ce qu’il écrivait : « Ne rêvez pas, la mise en oeuvre des accords ne va pas de soi, et je sais de quoi je parle : Rabin et moi sommes de la même génération, on a mangé dans la même gamelle. Jamais un gouvernement israélien n’acceptera de se retirer de territoires conquis ou de démanteler des colonies, à froid, sans qu’on le lui impose. Il faudra des pressions immenses pour qu’ils acceptent de respecter les accords tels que les Palestiniens et nous-mêmes les comprenons, des pressions internationales et des pressions du mouvement de la paix israélien, faute de quoi ils feront tout pour vider ces accords de leur contenu .»

Moins de six mois après la signature des accords, Rabin lui-même annonçait qu’il n’avait pas l’intention d’en respecter le calendrier : « Il n’y a pas de dates sacrées ». Quant à la communauté internationale, elle ne fit, comme d’habitude, aucune pression.

Pour la majorité des Israéliens, nous explique Michel Warchawski, les accords d’Oslo signifiaient la possibilité de se séparer des Palestiniens et cette séparation remplaçait dans leurs rêves le transfert de cette population gênante. D’où le bouclage des territoires palestiniens qui était, pour eux, l’essence même du processus de paix. Le slogan des travaillistes n’était-il pas : « Eux, chez eux, nous chez nous » ? Mikado note que la séparation imposée se traduit en néerlandais par apartheid et qu’une véritable paix devra tourner le dos à cette philosophie de la séparation ; Israël n’a d’avenir que dans l’intégration au monde arabe environnant.

La nationalisation de la religion en Israël

Michel Warchawski rappelle que les fondateurs du sionisme et de l’État d’Israël étaient laïcs et antireligieux et l’illustre par une apostrophe courante pour un juif laïc, quand on roule en voiture et qu’on aperçoit un orthodoxe : « Dross Kol doss ! », ce qui veut dire : « Ecrase chaque religieux ! » Mikado décrit, en des pages saisissantes, le basculement qui s’effectua en une génération.

La guerre de juin 1967 avait éveillé un sentiment messianique dans certains cercles religieux. Dans les années trente, le rabbin Abraham Kook avait été un des rares à faire le lien entre judaïsme orthodoxe et sionisme en présentant ce dernier comme un instrument de Dieu pour hâter l’arrivée des temps messianiques. Après 1948, le Parti national religieux (Gush Emounim) reprit cette orientation mais fut longtemps très minoritaire dans les milieux religieux. C’est avec la victoire « miraculeuse » de 1967 que« le messianisme nationaliste est devient une composante essentielle du nouveau discours national, y compris dans les milieux sionistes ouvriers. De droite à gauche, on parle de terre sacrée, on évoque la promesse divine, on vénère les lieux saints. Le mouvement sioniste et Israël ne sont plus une solution à la question juive mais des éléments de la rédemption du peuple juif et de la libération de la Terre sainte. »

De 1979 à 1990, le Gush Emounim (« Bloc de la Foi ») a été à l’avant-garde de la colonisation, entraînant derrière lui tous les gouvernements, de gauche comme de droite. Ehud Barak, après son élection en 1999 comme Premier ministre travailliste, s’adressa aux colons de deux bastions du Gush Emounim en les appelant « Mes frères chéris ».

Rappelons que Rabin fut assassiné, en novembre 1995, après une campagne effrénée de l’extrême-droite qui le représentait comme Hitler ou avec un keffieh comme Arafat. L’assassin était d’ailleurs un militant religieux. Après quoi, le Credo immédiat fut « la réconciliation nationale » et, aux élections du printemps 1996, la droite nationaliste, conduite par Benyamin Netanyahu, l’emportait et remettait en cause les accords d’Oslo. Le gouvernement Rabin n’avait été finalement qu’une parenthèse.

Alors que, pendant deux générations, une jeunesse laïque et libérale avait constitué l’ossature des unités d’élite et du corps des officiers, ils deviennent aujourd’hui peu à peu minoritaires et sont remplacés par des religieux formés dans des collèges talmudiques d’extrême-droite. Quant à la colonisation, elle est devenue « l’une des composantes du nouveau consensus, le débat ne portant que sur l’aspect quantitatif de cette colonisation. » Le clivage gauche-droite cesse d’exister.

Fracture dans la société israélienne

La fracture principale dans la société n’est donc plus entre colonialistes et modérés, elle est sociale et culturelle. Alors qu’Israël avait construit une sécurité sociale et un système de santé publique proche de ceux des pays scandinaves, en moins de trois ans, tout a été privatisé et « les lois du marché sont seules à fonctionner ». Pour se soigner, les citoyens israéliens doivent mettre la main à la poche. C’est ainsi que la moitié des vieux sont en dessous du seuil de pauvreté, y compris les rescapés de la Shoah qui ne bénéficient d’aucun traitement de faveur. La gauche a démissionné de sa vocation sociale.

Après l’échec d’Oslo, Michel Warchawski a vu monter la haine et s’éloigner la lutte entre colonisation et émancipation nationale pour faire place à « une guerre interethnique. Palestiniens contre Israéliens, Juifs contre Arabes ». Mais, lui, n’abandonne pas le combat et termine en citant le Talmud : « Ip’ha mistabra », qui veut dire : « Il faut tout reprendre dans l’autre sens. »

 

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2 réponses à Michel Warchawski : un juif pacifiste

  1. Berger dit :

    Un bel article. J’ai lu « Sur la frontière » il y a pas mal d’année. C’est un beau livre écrit par un homme courageux. Un « Juste ». Et en considérant rétrospectivement les Accords d’Oslo, on est effectivement en droit de s’interroger sur la sincérité des responsables israéliens de l’époque. Toutefois Rabin a bien été assassiné pour les avoir conclus et avoir entrepris de les appliquer.

    • Martine Sevegrand dit :

      Merci de votre commentaire. L’assassinat de Rabin ne doit pas nous illusionner sur les intentions de Rabin qui avait dit qu’il n’avait pas l’intention de respecter le calendrier des accords. Mais, évidemment, c’était déjà trop pour les extrémistes juifs.

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