Dans les années 1948-1957, un prêtre du diocèse d’Arras, l’abbé Albert Chanson, publia un ouvrage Pour mieux confesser, qui eut un tel succès dans le nord de la France, que les prêtres parlait familièrement du PMC. Le livre connut sept éditions, s’enrichit au fur et à mesure à partir des remarques des confesseurs, au point que la dernière édition datée de 1958, comprenait 492 pages et 1092 articles.
J’ai la chance de détenir la dernière édition et je voudrais vous présenter quelques fruits – toujours utiles – de ma lecture.
Le drame de la confession
C’est en ces termes que l’auteur présente l’administration du sacrement de Pénitence ; un drame qui se joue entre le pauvre pécheur et le ministre du pardon divin. Ce dernier, le confesseur, est tout à la fois un juge d’instruction qui doit « compléter son dossier en interrogeant l’accusé » et un médecin qui « doit établir un diagnostic » pour appliquer au malade une thérapeutique appropriée. Pas question, donc, d’être un confesseur qui entend passivement les aveux du pénitent et termine par un petit sermon passe-partout. « Au moment de l’accusation, le confesseur doit interroger le pénitent, écouter activement ses réponses et l’interroger à nouveau. » Et l’abbé Chanson consacre cinq pages à cette obligation grave d’interroger. Il faut faire préciser l’objet des péchés (pas question d’en rester à des accusations vagues), l’intention, le degré de consentement (plein ou imparfait) ; le confesseur doit faire préciser aussi le nombre de fois où le péché a été commis, s’il s’agit d’un péché mortel. Exemple : « combien de fois avez-vous manqué la messe ? »
De multiples cas compliquent la tâche du confesseur : 1° le pénitent s’accuse de péchés qui n’en sont pas ou croit mortel ce qui n’est que véniel. Exemple : exagérer la culpabilité de certains comportements conjugaux ; 2° le pénitent croit permis ce qui est péché. Il faut alors discerner si l’ignorance est « vincible » ou « invincible ». Dans ce dernier cas, l’avertissement du confesseur « aggraverait considérablement la situation du pénitent ; car désormais il va pécher formellement au lieu de pécher matériellement ». Dans le langage ecclésiastique, cela veut dire qu’informé, ayant perdu son innocence, le pénitent commettrait désormais un péché au regard de Dieu. C’est pourquoi, l’abbé Chanson conseille : « Gardez le silence. »
Classer les pécheurs
Pour mieux confesser, il importe de savoir quel type de pénitent se présente à vous. Il y a les « occasionnaires », c’est-à-dire ceux qui ne pèchent pas fréquemment et les « non-occasionnaires », qui pèchent souvent. Mais ce n’est là qu’une première distinction très élémentaire qui ne se fonde pas sur la fréquence du péché mais sur la ou les circonstances qui provoquent le péché. Par exemple, la lecture d’un « mauvais livre » fait du pénitent un occasionnaire dont on exigera qu’il détruise le livre en question. En revanche, « si les péchés ne sont pas commis à cause de circonstances bien caractérisées, s’ils résultent plutôt du tempérament, d’une mauvaise habitude », le pénitent est un « non-occasionnaire ».
La fréquence du péché est aussi, évidemment, un point que le confesseur doit éclaircir par ses questions. En cas de répétition du péché, le pénitent est un « habitudinaire » ; mais s’est-il déjà confessé de ces péchés-là ? Si oui, c’est un habitudinaire récidiviste, sinon, un habitudinaire simple.
Reste la grande question : le confesseur doit-il absoudre ou non ? Face à un occasionnaire, qu’il soit ou non récidiviste, il doit exiger une rupture immédiate (par exemple avec l’alcool ou une concubine) ; il différera donc l’absolution jusqu’à ce qu’il soit sûr que le pénitent ait rompu avec « l’occasion » de pécher.
Soucieux qu’aucun cas n’échappe à son examen, l’auteur envisage même celui du pénitent qui n’a rien à dire ! Ce peut être un ignare ou un chrétien instruit à conscience peu délicate. Il suggère diverses questions : « Allez-vous à la messe le dimanche ? Dites-vous bien vos prières ? », « Il vous suffit d’accuser d’une façon générale que vous avez péché contre tel commandement, telle vertu (charité, piété) », « Voyons, vous n’avez jamais offensé vos parents…, mal assisté à la messe…, même pas le moindre petit péché de colère… »
Des conditions sociales et des femmes
Au sujet des divers milieux, l’abbé Chanson précise que, pour le milieu populaire, « le confesseur doit faire de grands efforts pour comprendre la psychologie ouvrière : l’ouvrier, habitué à manier des outils, part toujours du CONCRET ». Précision inutile, par contre, pour les autres milieux… Mais je remarque à son honneur qu’il ajoute : « Le prêtre doit savoir en quoi consiste le mouvement ouvrier, l’aspiration vers la promotion ouvrière, individuelle et collective. » Et plus loin : : Leur programme de spiritualité doit être centré sur la lutte pour la justice sociale et une vie de totale charité.
Notre abbé est évidemment moins ouvert à l’égard des femmes. La jeune fille est « avant tout un être de sensibilité », faisant souvent preuve d’instabilité ; le confesseur ne doit pas s’étonner de ses « inconstances invraisemblables ». La jeune étudiante qui va à l’Université avec l’espoir, plus ou moins conscient, d’y trouver un mari, ne doit pas « se laisser gagner par un intellectualisme desséchant qui n’est pas dans la ligne de sa vocation ». Une fois mariée, l’épouse doit bien tenir son foyer : « si parquets et meubles sont reluisants ; si la cuisine est soignée (…) et si l’épouse est connue comme chrétienne, l’honneur remonte jusqu’au Seigneur Lui-même. »
Notre abbé insiste longuement sur la réserve et la vigilance à observer vis-à-vis des femmes. Pas de confiance excessive : « Ce qu’elles disent d’elles-mêmes, ne le prenez pas pour argent comptant : leur imagination et leur sensibilité grossit tout. Leurs larmes : qu’elles ne vous émeuvent pas. Leurs histoires : ne les prenez pas au tragique. Elles font du moindre incident un véritable drame où elles se donnent souvent le beau rôle. Leurs racontars au sujet du prochain, ne les acceptez que sous bénéfice d’inventaire. Certaines sont si curieuses, si bavardes ! » Elles ont besoin d’affection et « sont généralement attirées par le prêtre : c’est un homme, et qui n’est pas marié. Il représente une valeur intellectuelle et sociale qui flatte leur vanité ».
Mais quels sont les péchés à accuser ?
D’abord, les manquements aux vertus théologales (foi, espérance et charité). L’article concernant l’aumône – donc la charité ? – mérite attention. Il commence ainsi : « Étant donné les controverses des moralistes, il est IMPOSSIBLE de déterminer d’une façon MATHÉMATIQUE le devoir de l’aumône. » L’abbé s’inspire alors des conseils d’un grand moraliste, le jésuite Jean-Benoît Vittrant : 1° « Il est rare qu’il y ait directement une obligation quelconque de faire l’aumône à des individus qui personnellement ne nous sont pas connus ou recommandés. » 2° Toute personne qui n’est pas dans la misère ne peut être en règle avec sa conscience si elle n’est pas disposée à faire au moins parfois l’aumône aux oeuvres charitables. 3° Pour les personnes qui ont une grosse fortune, c’est une GRAVE OBLIGATION, à la fois de justice et de charité à s’intéresser activement aux oeuvres et institutions sociales.
Suivent la vertu de religion puis la vertu de justice. Cette dernière se résume à restituer les possessions illégitimes et le dommage injuste. L’impôt est enfin abordé et présenté comme un devoir « grave de sa nature ». Mais notre abbé s’interroge : pour les impôts directs, est-on tenu de faire une déclaration conforme à la réalité ? Et de répondre : « Là où la coutume le tolère, il semble que l’on puisse sans injustice ni mensonge, réduire les déclarations d’impôts et attendre, sans cependant corrompre les fonctionnaires, que le fisc fasse la preuve que la déclaration est insuffisante. Le fait de l’exagération presque évident de certaines taxes fiscales, joint à la coutume générale peut au moins excuser de toute faute grave.» Et de faire référence à un autre grand moraliste, le P. Salmans, dans Droit et Morale. Voilà à quoi se résume la « justice » dans le PMC, si pointilleux par ailleurs sur les péchés capitaux et les commandements de l’Église !
Un abbé rétrograde ?
Par ailleurs, l’abbé Chanson n’apparaît pas si rétrograde : il consacre un article aux devoirs du citoyen vis-à-vis de son pays, et conseille de ne pas négliger « l’action de base (comité de quartier, syndicats de locataires, de propriétaires) », un autre article à l’automobiliste qui doit s’interroger sur sa conduite ; enfin quatre pages portent sur la psychanalyse qu’il présente sans trop la caricaturer. Si Freud s’en tient à un « grossier matérialisme », il souligne que ce n’est pas le cas de Jung. Les références multiples, et pas seulement aux textes romains, tout au long de l’ouvrage, montrent que l’auteur dispose d’une documentation assez complète.
Le plus remarquable est cependant la place tenue par la chasteté, la vie conjugale et les multiples questions liées à « l’usage du mariage » (De usu matrimonii) qui occupent 138 pages sur un total de 486 dans le manuel de l’abbé Chanson, soit près de 30 % ! Faut-il y voir le reflet des préoccupations des pénitents ou des confesseurs ? En tout cas, notre abbé rappelle qu’en ce qui concerne la chasteté, il n’y a pas de « légèreté de matière ». C’est pourquoi nous étudierons ces questions si importantes dans l’article suivant de ce blog.
(à suivre)
La théologie morale de Mgr Gousset et le PMC de l’abbé Samson sont les ouvrages les plus souvent cités dans l’ouvrage « la chair, le diable et le confesseur » de Guy Bechtel ( Plon Pluriel).
J’espère que vous ferez une suite.
Cordialement