GATT, OMC, GMT : vous connaissez ?

 Sans doute, connaissez-vous le GATT et, plus encore, l’OMC. Mais le GMT, c’est-à-dire le Grand Marché Transatlantique ? Il n’est sans doute pas inutile de revenir sur ce que recouvre chacun de ces sigles. J’ai pu bénéficier, en effet, d’un stage d’un grand expert de ces questions, Raoul-Marc Jennar, et je voudrais que vous puissiez aussi en profiter.

De 1948 à 1994, le commerce international a été régi par l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT en anglais). Des cycles (Rounds) de négociations, de 1948 à 1994, se sont succédé et ont été marqués par le succès puisque les pays signataires sont passés de 23 à 120 et que les négociations, d’abord par produit et de pays à pays, sont devenues multilatérales à partir du Kennedy Round (1964-67). Le postulat du GATT est que la loi du marché stimule la croissance, crée de l’emploi et est bénéfique pour tous.

Le 4ème cycle, l’Uruguay Round, a abouti aux Accords de Marrakech (avril 1994) qui ont donné naissance à l’OMC (Organisation mondiale du commerce). Il fallait que ces Accords de 22 500 pages soient ratifiés par les 123 Parlements. En France, en décembre 1994, Édouard Balladur, Premier ministre, présenta au Parlement 1 page unique censée résumer les Accords… qui furent ratifiés ! Mais, durant toute la période des négociations, d’autres hommes politiques furent aussi responsables : Rocard, Cresson, Bérégovoy et Chirac.

Les nouveautés de l’OMC

L’OMC est entré en vigueur le 1er janvier 1995. Alors que le GATT ne concernait que le commerce des marchandises, l’OMC a l’ambition d’abaisser les barrières non tarifaires : législations, normes sociales, sanitaires, environnementales qui sont considérées par les entreprises étrangères comme protégeant le marché intérieur contre la concurrence (AGCS). Les services et les droits de propriété intellectuelle, donc tous les domaines de notre vie quotidienne, sont aussi concernés (ADPIC). Le principe des accords de libre échange est d’obtenir une « libéralisation progressive et accrue » ; il s’agit donc d’un processus en cours.

Les pays membres doivent informer le secrétariat de l’OMC de toute nouvelle loi ou règle.

Il est interdit de discriminer entre les produits « similaires » des autres pays membres. On ne tiendra donc pas compte des conditions sociales de production (travail des enfants, par exemple), ni des conditions environnementales. L’objectif est donc de s’aligner sur la norme la plus basse. Le vocabulaire de l’OMC est révélateur : les règles existantes sont qualifiées d’« obstacles inutiles » à la concurrence ; quant aux règles nationales ou locales, considérées comme des obstacles au commerce, aux investissements ou aux marchés publics, elles sont qualifiées de « plus rigoureuses que nécessaires ».

Alors que les tenants de l’OMC parlent de « réguler le marché », il s’agit au contraire d’éliminer les « obstacles » à la libre concurrence, pour le profit des firmes privées et des sociétés transnationales. Et on remarquera que ces dernières, en revanche, ne subissent aucun contrôle : ce n’est pas l’objectif de l’OMC.

Revenons sur deux de ces accords :

– L’AGCS (Accord général sur le commerce et les services) : A l’exception de certains services régaliens (défense, justice, services administratifs des pouvoirs centraux et locaux), tous les services sont menacés. Le principe est de ne faire aucune différence entre un service fourni par l’État (comme l’enseignement et la santé) et ceux fournis par des firmes privés. Au cours des négociations successives, il s’agit « d’élever progressivement le niveau de libéralisation. »

Or, ces obstacles à la marchandisation de certaines activités ont été érigés dans le but protéger les citoyens. L’éducation publique n’y échappera pas puisqu’en juin 2000, le représentant de l’UE à l’OMC a estimé que « l’éducation et la santé sont mûres pour la libéralisation » ! A terme, une école étrangère établie en France pourra exiger les mêmes subventions que les écoles françaises. La généralisation du principe aboutira à une privatisation générale.

– Les ADPIC (Accords sur les Droits de Propriété intellectuelle liés au Commerce) : caractérisés par un énorme déséquilibre entre les détenteurs de brevets dont 95 % appartiennent au Nord et les usagers. Cet accord permet la captation des semences (cf. la biopiraterie par prélèvement de variétés en Amérique latine et, ensuite, dépôt de brevets) et les industries agro-alimentaires organisent la dépendance des paysans. Cette pratique viole les acquis de la convention de Rio (1992) : principe de la biodiversité et principe du partage équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques.

L’accès aux médicaments essentiels est aussi menacé par la marchandisation : hausse des prix depuis 1995 et investissements totalement déséquilibrés des 10 plus grandes firmes : 4,3 % pour le paludisme et la tuberculose, contre plus de 30 % pour les produits de beauté.

Une autre différence avec les règles du GATT : ces dernières étaient volontaires et provisoires, celles de l’OMC sont contraignantes et permanentes.

– L’OMC gère donc aussi l’Organe de Règlement des Différends (ORD) car l’OMC peut sanctionner des États pour le non-respect des règles. L’OMC est la seule institution internationale à disposer d’un instrument ayant la capacité de sanctionner les États pour le non-respect de ses règles (sauf un article de l’ONU utilisé très exceptionnellement). Un Etat doit se faire porteur de la plainte d’une entreprise contre des pratiques ou des normes en vigueur dans un autre pays et qui la désavantage. Si un arrangement n’est pas trouvé, un « panel » d’experts (le plus souvent issus du monde des affaires et qui siègent à titre personnel) examine la plainte. Après quoi, l’ORD prend une décision : l’État désavoué doit se mettre en conformité avec les règles de l’OMC ou payer des compensations financières à l’État plaignant.

Deux exemples : plainte du Canada, avocat des producteurs d’amiante = l’Union Européenne a gagné… grâce à une faute de procédure ! Plainte contre l’UE pour son refus d’importer du boeuf aux hormones des USA et du canada. L’UE perd et n’obtempère pas ; d’où l’ORD fixe 116 millions de $ le dommage annuel à verser aux USA et à 13 millions de $ pour le Canada. Notons que ces procédures coûtent très cher et donc les pays pauvres renoncent à porter plainte.

Si l’on veut mesurer les effets à venir de ces accords, il suffit de regarder les conséquences de l’ALENA, accord de libre-échange, entré en vigueur le 1er janvier 1994, entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique. Ce dernier pays qui était exportateur de produits agricoles est aujourd’hui importateur. Il a dû changer sa constitution qui protégeait certains territoires améridiens après le dépôt de plaintes de grandes firmes.

L’échec du cycle de Doha :

Après plusieurs tentatives (Singapour en 1996, Genève en 1998, Seattle en 1999), les pays occidentaux avaient obtenu le lancement d’un nouveau cycle de négociations, en 2001, à Doha. Tandis qu’ils parlaient de « cycle du développement », ils attendaient en fait l’ouverture totale des marchés du Sud. De leur côté, les pays du Sud espéraient corriger les accords en leur faveur. A Cancun, en 2003, 90 pays rejetèrent les propositions occidentales. A chaque conférence ministérielle, les blocages se confirmaient. A l’OMC, les décisions se prennent à l’unanimité mais, de surcroît, les BRICS s’affirmaient comme des acteurs importants.

Devenu directeur-général de l’OMC en septembre 2005, Pascal Lamy dut, moins d’un an plus tard, constater l’échec et mettre un terme à ces négociations. C’est dans ce contexte que les États-Unis se lancèrent, à la fin de 2011, dans des négociations avec 11 pays riverains du Pacifique et en 2013 avec l’Union Européenne en vue de ce qu’on appelle le GMT (Grand Marché Transatlantique) dont nous parlerons plus tard. Le 30 septembre 2013, Pascal Lamy quittait son poste à la tête de l’OMC.

La surprise de Bali (7 décembre 2013)

Des cris de triomphe ont suivi l’accord, créateur de 1000 milliards de $, selon le Secrétariat de l’OMC ; Jacques Berthelot, expert agricole qui a suivi la conférence de Bali de bout en bout, est beaucoup plus réservé. A Bali, l’Inde, à la tête d’un groupe de 46 pays, a tenu tête aux États-Unis. Le ministre indien du commerce affirmait : « La sécurité alimentaire n’est pas négociable. (…) Le besoin de stocks publics de grains alimentaires pour assurer la sécurité alimentaire doit être respecté. » Or, comme on le sait, la grande puissance américaine dispose d’énormes surplus qu’elle veut exporter. Les subventions domestiques des États-Unis à l’agriculture sont d’ailleurs passées de 61 à 130 milliards de $ entre 1995 et 2010 ; mais l’accord de Bali ne met pas fin à ces aides qui troublent totalement le marché mondial agricole.

Au final, seule l’Inde a obtenu le droit de protéger sa population. Exception de taille mais qui reste provisoire « jusqu’à ce qu’une solution permanente soit trouvée ».

Les deux décisions de Bali sont : 1° une exemption accrue des droits de douane pour les produits provenant des pays les plus pauvres ; 2° la « facilitation des échanges » qui risque d’être très coûteuse pour les pays du Sud ; ils devront investir dans les ports et les mécanismes douaniers destinés à faciliter les importations des pays riches, au détriment, bien sûr, des investissements en faveur des populations. Un système authentiquement colonial.

Mais peut-on sortir de l’OMC ? Pour y parvenir, préciseMarc-Raoul Jennar, il faut d’abord engager des négociations pour verser des compensations avec tous les autres pays ! Quelques petits pays ont essayé et ont reculé ; seul un bloc de pays pourraient décider de sortir de l’OMC. Mais il existe une arme dissuasive : ne plus participer aux débats et obliger ainsi à ce le processus soit stoppé pour remettre les choses à plat. Qu’on se souvienne de la politique de la « chaise vide » pratiquée par la France en 1965, dans les réunions du Conseil de la Communauté ; elle avait abouti au « compromis de Luxembourg » qui reconnaissait que lorsqu’un pays estimait ses intérêts vitaux menacés, le Conseil devrait rechercher un accord unanime. Encore faut-il en avoir le courage.

Le jugement de Raoul-Marc Jennar

Pour notre expert, nous sommes à la fin d’un cycle de progrès dans la démocratie qui avait commencé en 1789, suivi des conquêtes politiques et sociales du XIXe siècle, de 1936, 1945, de la déclaration des droits universels de 1948 dont il faut relire les articles 22 à 26, pour s’achever avec les mesures de 1981 (impôt sur la fortune, retraite à 60 ans, nationalisations, décentralisation, etc.). Depuis lors, la réaction s’est développée. En France, elle commence avec le « tournant de la rigueur » de Delors. La dérive néo-libérale se développe avec l’Acte unique européen (1986) et le traité de Maastricht (1992).

Raoul-Marc Jennar insiste aussi sur « la bataille des idées que nous avons perdue ». Et de citer des économistes comme Milton Friedman, Friedrich Hayek, Jacques Rueff. Mais il est aussi significatif de citer, par exemple, ce qu’écrivait Jacques Julliard dans Le Nouvel Observateur : « Le totalitarisme eût été impossible sans l’avènement du peuple comme acteur principal de la politique. » Et David Rockefeller, dans Newsweek de février 1999, énonçait l’objectif final : « Quelque chose doit remplacer les gouvernements, et le pouvoir privé me semble l’entité adéquate pour le faire. »

(à suivre)

 

 

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