Verdun : Tenir bon (3)

« Le coup de Guillaume a raté », affirmait, en première page, La Croix dès le 29 février. Le quotidien citait ensuite, en deuxième page, les communiqués officiels du commandement militaire : le fort de Douaumont avait été enlevé, le 26 février, « après plusieurs assauts infructueux [de l’ennemi] qui lui coûta des pertes très élevées ». Selon La Croix, le 29 février, le fort de Douaumont était repris même si « des troupes allemandes sont enfermées dans des abris intérieurs du fort et, par conséquent, sont prisonnières ». Le quotidien ne pouvait pas savoir, pas plus que les autres publications françaises, qu’à la veille de l’attaque allemande, le fort était presque sans défenseurs, selon un décret du commandement en date du 5 août 1915, et que les Allemands le prirent par surprise, sans combat. En revanche, les combats furent très violents dans et autour du village de Douaumont mais le fort ne fut pas repris par les troupes françaises.

Il fallut bien admettre que nous avions reculé mais il s’agissait de « toute une série de replis stratégiques indiqués par une bonne stratégie pour mieux atteindre les Boches ». La Croix insiste sur les pertes allemandes : cent mille d’abord, bientôt deux cent mille hommes autour de Verdun, sans jamais évaluer les pertes françaises qui, selon les historiens dépassèrent nettement celles des Allemands pendant les deux premiers mois de la bataille. Les Français vivaient dans une angoisse mêlée de confiance. La disparition, dès les premiers jours de l’assaut, du capitaine Driant, au bois des Caures, à la tête de ses chasseurs, frappa pourtant l’opinion.

Les faiblesses françaises

Cependant, le lecteur apprend la supériorité de l’artillerie allemande ; les calibres énormes des 305 et 380 avaient même rendu impossible à nos avions de photographier leurs emplacements car on n’apercevait qu’une mer de flammes. L’artillerie française comprenait encore une proportion considérable de pièces d’ancien modèle alors que Verdun démontrait plus que toute autre bataille son rôle essentiel. La Croix reproduisit un article de M. Humbert qui, de retour de Verdun, reprend le cri que tous poussent là-bas : « Des canons ! Des munitions! » Humbert en concluait qu’il ne fallait pas propager dans la nation la conviction prématurée que nous n’avions plus rien à craindre de l’ennemi1.

Le quotidien catholique n’hésite pas à approuver – pour une fois – et à reproduire un article de Gustave Hervé2 dans la Victoire qui souligne les difficultés d’acheminement des troupes et des munitions jusqu’à Verdun ; il n’y a pas de voie ferrée directe de Paris à Verdun et l’on a dû y suppléer par l’organisation de convois automobiles3. Hervé en conclut, lui aussi, qu’il ne faut pas verser dans l’optimisme béat4. C’est dire combien la lecture des journaux français, exaltant l’héroïsme – bien réel – de nos poilus et l’échec de nombreuses offensives allemandes, pouvait conduire à une appréciation fausse de la situation militaire.

L’espoir

Le général Pétain qui commande les troupes à Verdun félicite ses troupes : « Le 9 avril, […] les assauts furieux des soldats du kronprinz ont été partout brisés. Fantassins, artilleurs, sapeurs, aviateurs de la 11e armée ont rivalisé d’héroïsme. Honneur à tous. Les Allemands attaqueront sans doute encore, que chacun travaille et veille pour obtenir le même succès qu’hier. Courage. On les aura. » On remarque cependant, qu’en ces premiers mois de la bataille, le nom du général Pétain est à peu près absent du quotidien catholique.

Quelques jours plus tard, le 14 avril, le général Bourelly explique, en première page de La Croix, les causes de l’usure de l’armée allemande : les attaques en masses compactes qui ont provoqué de lourdes pertes et le manque de chevaux pour son artillerie légère. Près de Douaumont, on a vu des tas de cadavres allemands atteignant 1m et demi de haut. Un communiqué hollandais précise d’ailleurs que, derrière les soldats allemands, il y en a d’autres chargés de tirer sur ceux qui essaieraient de s’enfuir ; pourtant, il y aurait eu souvent des insubordinations et même des révoltes5.

Des prisonniers de guerre

Le sort des prisonniers français est très dur. L’Allemagne refuse de fournir des listes des prisonniers et les prisonniers sont dans l’impossibilité de donner des nouvelles à leurs familles. Il existe des camps de représailles et des prisonniers français sont envoyés sur le front russe. Fort heureusement, le Vatican prit des initiatives qui se révélèrent efficaces. D’une part, en créant un Office de renseignements sur les prisonniers qui, grâce à l’intermédiaire des autorités religieuses, permit de publier des liste de prisonniers dont on n’avait aucune nouvelle. D’autre part, en obtenant le transfert en Suisse de grands blessés.

L’Église de France mobilisée

Le cardinal Luçon proposa à tous les évêques une série de prières exceptionnelles : le jeudi 23 mars, la supplication des enfants ; le vendredi, pénitence et chemin de croix ; le samedi, l’hommage suppliant à l’Immaculée et le dimanche, une grande prière au Coeur de Jésus en union avec les Hommes au Sacré-Coeur à Montmartre. Dans sa lettre, le cardinal Luçon regrettait encore que la France, seule, n’implore pas le Dieu des Armées. Il insistait ensuite longuement sur la nécessaire expiation : « Acceptons les souffrances et les sacrifices de la guerre en expiation de nos fautes et faisons-les servir à la régénération de notre pays. Nous avions besoin de relèvement moral et religieux. […] La guerre nous a fait violemment rentrer en nous-mêmes. Elle a arrêté brusquement cette course folle au plaisir, à la frivolité. […] Un réveil religieux s’est produit, si remarquable au début de la guerre, surtout dans l’armée, qu’il a semblé tenir du prodige. » Et d’appeler à un sursaut religieux durable après la fin de la guerre. Le cardinal Luçon évoquait ensuite « l’esprit d’hostilité d’un grand nombre à l’Église » et demandait à Dieu d’éclairer les autorités pour qu’elles édictent des lois conformes aux siennes et utiles au bien du pays.

Dans une lettre pastorale sur l’espérance, Mgr Turinaz, évêque de Nancy, fait l’éloge de nos troupes et cite plusieurs extraits qui illustrent non seulement l’héroïsme des combattants dans les tranchées, mais aussi celui des mères qui ont perdu leurs fils et des femmes dont l’une écrit : « Je n’étais que sa femme, mais la France était sa mère6. »

La riposte catholique contre la rumeur infâme

La colonne de droite de la première page de La Croix est presque toujours consacrée à cette rumeur qui accuse l’Église de trahison. Pour répondre à la Dépêche de Toulouse, l’Express du Midi veut publier la liste des prêtres morts au combat ; or, la censure le lui interdit ! C’en était trop : des députés du groupe de l’Action libérale, présidée par Jacques Piou, ainsi que du groupe de la Droite présidé par Denys Cochin, rédigèrent, le 16 mars, une lettre publique adressée au président du Conseil, Aristide Briand, qui dénonçait la « propagande de division et de mensonge », au nom de l’Union sacrée pratiquée depuis vingt mois par les catholiques. La réponse de Briand, le 29 mars, était prudente et équilibrait les plaintes venues de la Droite par d’autres parvenues de citoyens dont le patriotisme était mis en cause à « raison de leurs idées avancées en matière sociale ou politique7 ». En revanche, une circulaire du ministre de la guerre, en date du 5 avril, donnait ordre aux commandants de régions de ne pas hésiter à livrer à la justice ceux qui se livreraient à une campagne de calomnies contre certaines catégories de citoyens. Quelques jours plus tard, le ministre de l’Intérieur interdisait les conférences que le parti radical voulait organiser.

La Croix ne restait pas sur la défensive et dénonçait les publications socialistes, pacifistes et démoralisatrices, qui réclamaient la paix et la reprise des relations avec les sociaux-démocrates de l’Internationale, qualifiée de « véritable attentat à la défense nationale » ; la bataille doit continuer et la parole doit être donnée aux poilus. Le quotidien continuait de publier des informations sur les ecclésiastiques qui s’illustraient au front ou à l’arrière. Retenons, par exemple, la Croix de guerre remise à une religieuse, sœur Marie de la Flagellation, supérieure d’un hospice de vieillards, en Picardie, dirigé par la communauté Notre-Dame des Sept-Douleurs, pour avoir protégé et soigné les soldats français, avec un dévouement sans borne, pendant l’occupation allemande et, en s’exposant gravement, pour assurer leur liberté.

Une lettre de Benoît XV au cardinal Andrieu

Le 3 mai, le quotidien catholique publiait la lettre que le pape avait écrite au cardinal-archevêque de Bordeaux. Cette ville étant le centre principal des relations avec l’Afrique, Benoît XVI demandait à l’archevêque d’améliorer autant qu’il est en notre pouvoir « la misérable et abjecte condition à laquelle les nègres se trouvent réduits et qui est pour Nous, à raison de Notre charge apostolique, un sujet de vive sollicitude ». Le pape estimait devoir travailler à l’abolition du « commerce honteux des esclaves » et voulait que, désormais chaque année, le dimanche de l’Épiphanie, une quête fût instituée pour le rachat des nègres. Cette lettre resta sans écho.

(à suivre)

1Humbert, « Des canons ! Des munitions ! », La Croix, 21 mars 1916.

2Gustave Hervé (1871-1944) : journaliste socialiste et antimilitariste qui, en août 1914, devint un fervent patriote. Il transforme alors le titre de La Guerre sociale en La Victoire.

3C’est la célèbre « voie sacrée », nommée ainsi plus tard par Maurice Barrès.

4La Croix, 25 mars 1916.

5Le 22 avril, La Croix signale de violentes manifestations, composées surtout de femmes, qui, devant le Reichstag, sont réprimées dans le sang ; il y aurait 200 tués et de nombreux blessés.

6Lettre pastorale de Mgr Turinaz, La Croix, 11 avril 1916.

7Yves de La Brière, « Chronique du mouvement religieux », Études, 20 avril 1916.

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