« L’islam ne pouvait naître que dans un désert stupide, au milieu de Bédouins crasseux qui n’avaient rien d’autre à faire – pardonnez-moi – que d’enculer leurs chameaux. » (2001)
« Et la religion la plus con, c’est quand même l’islam. (…) L’islam est une religion dangereuse, et ce depuis son apparition. Heureusement, il est condamné. » ( Magazine Lire, septembre 2001)
Celui qui s’exprime si délicatement est un écrivain français de renom, Michel Houellebecq. Imaginez le tollé si l’on remplaçait islam par judaïsme ; l’accusation d’antisémitisme ne tarderait pas.
Mais certains n’hésitent pas à se revendiquer islamophobes ; tel Claude Imbert, éditorialiste à l’hebdomadaire Le Point, qui, en octobre 2003, affirmant sur une chaîne de télévision : « Moi, je suis un peu islamophobe. (…) Et j’ai le droit, je ne suis pas le seul dans ce pays, à penser que l’islam – je dis bien l’islam, je ne parle pas des islamistes – en tant que religion apporte une débilité d’archaïsmes divers, apporte une manière de considérer la femme et en plus un souci de supplanter la loi des États par la loi du Coran, qui en effet me rend islamophobe. » La critique est ici celle d’une religion et, après tout, depuis le XVIIIe siècle, la France a une longue tradition antireligieuse qui s’est longtemps focalisée sur le catholicisme. Cette islamophobie-là serait donc admissible. Sauf que de cette islamophobie de la libre critique à l’autre qui confine au racisme, le pas est vite franchi. Exemple : quand, en 2006, sur les murs d’une mosquée de Carcassonne, on trace des croix gammées et des slogans comme : « Mort à l’islam », « La France aux Français » et « Les bougnouls dehors », on est bien en présence de racisme. Et quand, sur une caricature, on coiffe Mahomet avec une bombe, que veut-on dire sinon musulman = terroriste ? Certes, on ne doit pas toucher à la liberté d’expression mais le christianisme et le judaïsme ont droit, en France, à des égards auxquels l’islam n’a pas droit. Faut-il rappeler que les pouvoirs publics autorisent un grand nombre de processions dans les rues quand Marine Le Pen a soulevé l’émotion et le scandale en dénonçant « l’occupation » de quelques rues à Paris et à Marseille pour la prière du vendredi ? Ajoutons que ces prières avaient été autorisés ou tolérées par les autorités.
Peut-être est-ce encore pire de nier l’islamophobie. Lors d’une réunion d’un petit groupe pour les droits de l’homme, j’ai entendu le (ou un) vice-président de la Ligue des Droits de l’Homme dire qu’il ne savait pas ce qu’était l’islamophobie. S’inspirait-il des thèses de la journaliste Caroline Fourest selon laquelle « le mot islamophobie est clairement pensé pour disqualifier ceux qui résistent aux intégristes : à commencer par les féministes et les musulmans libéraux » ?
Chronologie du mal français
Le journaliste Thomas Deltombe qui collabore au Monde diplomatique a analysé les journaux télévisés de 20 heures sur les deux premières chaînes nationales de 1975 à 2004. Ce travail a abouti à un ouvrage publié en 2007, L’islam imaginaire. La construction médiatique de l’islamophobie en France, 1975-2005. Il a pu ainsi dégager trois étapes dans la construction de cet islam de France vu par la télévision. La première période qui va du milieu des années 1970 à la fin des années 1980 est marquée par deux faits : d’une part, la révolution iranienne incarnée par l’ayatollah Khomeyni ; on découvre alors qu’il y a en France 2 millions et demi de musulmans. D’autre part, la sédentarisation des populations immigrées sur le territoire français qui est perçue désormais comme un « problème ». L’auteur rappelle opportunément ce que Jacques Chirac affirma, le 19 février 1976, lors d’une émission télévisée : « un pays dans lequel il y a 900 000 chômeurs mais où il y a 2 millions d’immigrés, n’est pas un pays dans lequel le problème de l’emploi est insoluble. » Pas besoin, donc, d’aller chercher Le Pen pour trouver un propos aussi absurde que répugnant. Au début des années 1980, émerge le concept de « seuil de tolérance » ; nombre de journalistes s’interrogent sur la possibilité de faire cohabiter Français et immigrés. Derrière Le Pen, cette fois, les nostalgiques de l’Algérie française jettent de l’huile sur le feu et on commence à évoquer l’« intégrisme ».
La deuxième période correspond aux années 1989-2001. La publication des Versets sataniques suivie de la fatwa de Khomeyni provoque, en 1989, une mobilisation sans précédent de nos télévisions : pour les journalistes, l’affaire se réduit à la confrontation de l’ « islam » avec le « monde occidental ». Les musulmans sont décrits comme tiraillés entre deux pôles : les « intégristes » et les « modérés ». Puis, en octobre 1989, éclate l’affaire des trois jeunes filles expulsées d’un collège de Creil pour avoir refusé d’enlever leur voile dans l’établissement. Tandis que les politiques se montrent prudents, les journaux télévisé se livrent à une véritable surenchère et dramatisent : la laïcité française serait-elle menacée ? Et l’affaire profite au Front national qui dénonce la « colonisation de la France » !
La troisième période est ouverte par les attentats du 11 septembre 2001. L’événement semble confirmer la thèse du « choc des civilisations » de Samuel Huntington et de Bernard Lewis. Hantise du terrorisme qui désigne les « jeunes des cités » comme des cibles privilégiées. L’enquête très documentée de Thomas Deltombe est, de bout en bout, accablante pour les journalistes des deux chaînes de télévision qui semblent ignorer les effets, souvent dévastateurs, de leurs a-prioris. J’aborde maintenant les douze dernières années qui ont vu s’amplifier l’islamophobie.
Le diagnostic des « experts en sécurité » (Vincent Geisser)
Aux chercheurs spécialistes de l’islam comme Bruno Etienne, François Burgat, Olivier Roy, Jocelyne Cesari, les médias préfèrent des experts en islamo-terrorisme comme Antoine Sfeir, Antoine Basbous, le pro-israélien Frédéric Encel et Alexandre Del Valle. Le parcours de ce dernier est significatif : venu de l’extrême-droite, il adhère en 2002 à l’UMP et publie la même année Le totalitarisme islamiste à l’assaut des démocraties. Il bénéficie déjà de nombreux soutiens auprès d’organismes sécuritaires, comme la DGSE, et a ses entrées dans les médias. Vincent Geisser, dans son petit livre La nouvelle islamophobie, note qu’en un an, d’avril 2002 à mars 2003, il a été invité six fois dans l’émission « C dans l’air ». Il explique : « La guerre des civilisations et des religions ressort du IIIe totalitarisme, loin d’être une invention d’Huntington, n’est pas déclarée par l’Occident, qui ne la souhaite aucunement, mais par les islamistes qui tentent de profiter des drames palestinien, irakien ou tchétchène pour embraser tout le monde musulman. » C’est pourquoi Del Valle parle de « bloc islamique » ; pour lui, l’islam n’est pas une religion ordinaire mais une civilisation belliqueuse, par essence maléfique. S’appuyant sur la notion de jihad, les médias français ont multiplié les dossiers dénonçant la menace islamique. En septembre dernier, Valeurs actuelles titrait encore sur « l’invasion qu’on cache », avec la photo d’une Marianne voilée. On spécule sur la fécondité des musulmanes – je rappelle que les statistiques françaises ne permettent pas de distinguer de groupes ethniques – pour imaginer, dans quelques années, une France à dominante islamique !
L’islamophobie plus que jamais d’actualité
En décembre 2010, des « Assises sur l’islamisation » se sont tenue à Paris et ont rassemblé non seulement des personnalités de l’extrême-droite européenne mais aussi, par exemple, une féministe de la première heure, Anne Zelensky. Nombreuses sont d’ailleurs les féministes qui sont très hostiles à l’islam. Et on ne peut que constater qu’aujourd’hui la laïcité est reprise par l’extrême-droite pour combattre l’islam. Christine Tasin qui copréside le site « Riposte laïque » et a été une des organisatrices de ces Assises avouait son rêve : pour rester en France, les musulmans devraient abandonner toute visibilité (voile, boucheries halal et même mosquées) et se contenter de pratiquer l’islam de façon totalement privée, faute de quoi, ils devraient quitter la France. De surcroît, un moratoire sur l’immigration serait établi, accompagnée de mesures de préférence nationale.
Une thèse circule dans les milieux d’extrême-droite, celle de l’« Eurabia », formulée en 2005, par une anglaise, d’origine juive égyptienne, Bat Ye’or. Selon elle, certaines instances dirigeantes européennes et des pays arabes collaborent pour soumettre l’Europe au monde arabe au sein d’une nouvelle entité appelée Eurabia. Elle prédit pour l’avenir une majorité musulmane en Europe. Après le complot juif d’avant guerre, voici le complot arabe ! On remarquera que le norvégien Anders Breivik qui a perpétré les attentats de juillet 2011 ayant fait 77 morts, cite Bat Ye’or et Eurabia des dizaines de fois dans le document qu’il a lui-même envoyé sur internet le jour du massacre.
De sondage en sondage, l’opinion française est de plus en plus négative sur l’islam. Un sondage Ipsos de janvier dernier révélait que 74 % des personnes sondées estimaient l’islam incompatible avec les valeurs de la société française ; plus de la moitié pensent que les musulmans sont en majorité ou en partie intégristes. Les sympathisants de gauche sont touchés presqu’autant que les autres. Aussi grave, une enquête de l’Institut CSA réalisée en décembre 2012 montrait que 55 % des Français estimaient qu’il ne fallait pas faciliter l’exercice du culte musulman.
En 2012, 469 actes islamophobes ont été répertoriés, soit contre des individus, soit contre des institutions. Il n’y en avait eu que 298 en 2011 et 188 en 2010. 14 mosquées ont été visées (graffitis, tentatives d’incendie, tête de porc déposée à la porte). En 2008, une centaine de tombes musulmanes avaient été profanées dans le cimetière militaire près d’Arras.
On ne s’étonnera donc pas des difficultés rencontrées pour construire une mosquée. La construction de celle de Poitiers a fait l’objet de deux démonstrations hostiles : une mosquée là où Charles Martel a stoppé l’avancée des Arabes, c’est insupportable ! A Marseille, la construction de la grande mosquée est bloquée depuis trois ans par des procédures judiciaires ; à Nice, le maire, Christian Estrosi, vient de rejeter le projet de centre de prière pour le remplacer par une crèche. A Metz, on n’arrive pas à trouver un terrain.
Le musulman et l’arabe tiennent aujourd’hui dans la société française la place qu’a tenu le juif dans les années trente.
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