La campagne électorale bat son plein. Syriza est en tête des sondages mais Antonis Samaras, le chef de la coalition sortante droite-Pasok, s’appuie sur son bilan et ses engagements. Faisons le point.
Après deux ans et demi la tête du gouvernement, Samaras argumente : réduction du nombre des fonctionnaires, libéralisation de certains secteurs, politique d’austérité qui-commence-à porter-ses- fruits, et propose la poursuite des réformes pour relancer la compétitivité et l’investissement. (Une petite musique bien connue !) Il promet aussi la création de 700 000 emplois d’ici 2020 et une baisse graduelle des impôts sur les revenus et l’immobilier.
Plus encore, Samaras s’efforce de rallier à lui les électeurs de l’extrême droite et d’effrayer les honnêtes gens. Le 7 janvier, en meeting, il déclare : « Certains (Syriza, évidemment) invitent les migrants clandestins à venir encore plus nombreux et distribuent déjà des documents de naturalisation. Ce qui signifie faillite et sortie de l’euro. » Selon lui, les banques feraient faillite, les distributeurs de billets seraient fermés, la police désarmée et les frontières réouvertes ! Bref, c’est moi ou le chaos apporté par Syriza. Dès l’automne dernier, les ministres avaient accumulé les prédictions catastrophiques. Un ex-vice-président du gouvernement et membre du Pasok, Théodoros Pangalos, affirmait : « Ils mettront tout à feu et tueront » et aussi : le pays sera dissous en 24 heures » ; le ministre du Travail, Gianis Vroutsis : « Les retraites, il n’y en aura plus » ; et le porte-parole du parti de droite, Néa Democratia : « On retournera à la drachme en une semaine. »
Sortir de l’euro ?
Le programme de Syriza ne propose pas une telle mesure. En revanche, c’est Angela Merkel qui juge « quasiment inévitable une sortie (de la Grèce) de la zone euro » si Syriza parvient au pouvoir. Or, aucun mécanisme institutionnel ne prévoit la sortie d’un pays de l’euro !
Syriza réclame depuis deux ans l’application de la solution qui, en 1953, avait permis à la RFA de redémarrer économiquement. A l’époque, 21 pays s’étaient réunis à Londres en un sommet exceptionnel. La dette nominale accumulée par l’Allemagne était alors amputée de 60 % et on lui accordait un moratoire de cinq ans ainsi qu’un délai de trente ans (!) pour rembourser. De plus, une clause de développement » autorisait le pays à ne pas consacrer au service de la dette plus d’un vingtième de ses revenus d’exportation. Loin de tout « miracle allemand », les bases du développement étaient ainsi posées.
Dans le même esprit, Syriza avance l’idée d’une conférence européenne sur la dette visant à apporter une réponse globale après l’échec, reconnu par le FMI, des politiques menées en Europe. Les deux points principaux seraient une réduction significative de la dette publique grecque et un moratoire sur le service de cette dette. Un tel projet suppose de rompre la collusion entre milieux politiques et économiques, avec le gaspillage de l’argent public et le clientélisme qui favorise les exemptions fiscales ; il faudrait s’attaquer à la corruption qui a atteint en Grèce, selon l’Ong Transparency international, un niveau inégalé en Europe. Syriza a d’ailleurs publié dans un Livre noir des documents témoignant de la collusion des milieux politico-financiers.
On n’oubliera pas non plus que l’Église grecque est exonérée d’impôts. Quant au Mont Athos, véritable petite république monastique, il dispose d’une vingtaine de monastères, pas tous grecs, mais aussi russe, roumain, bulgare, ils ont accumulé des trésors et gèrent leurs patrimoines en toute opacité.
Syriza peut-il gagner ?
A la fin de décembre, il semblait évident que Syriza ne parviendrait pas à obtenir une majorité absolue au Parlement, soit 151 sièges sur les 300. Il lui faudrait donc trouver des alliés pour gouverner. Première certitude : le parti communiste grec, le KKE, qui se déclare hostile à l’Europe, n’envisage aucune alliance avec les « petits bourgeois » de Syriza ; il aurait pu pourtant apporter la quinzaine de sièges manquants ! Le parti démocratique Dimar qui avait obtenu 12 députés aux élections législatives de 2012 est en négociation avec Syriza mais ce parti est en perte de vitesse et n’a pu faire élire aucun député européen en 2014. Retenons aussi, en mars 2014, la création du parti de centre gauche TO Potami (La Rivière) dont le président s’est déclaré prêt à collaborer avec un gouvernement dirigé par Syriza. Du côté social-démocrate, le Pasok, qui disposait de 160 sièges en 2009 et de 41 après les élections de 2012, n’en aurait plus qu’entre 10 et 17. Enfin, le 2 janvier, l’ex-premier ministre, Georges Papandréou, a annoncé qu’il rompait avec ce parti pour créer un « nouveau mouvement progressiste » ; il scelle ainsi la quasi disparition du Pasok de la scène politique. Quant au parti néo-nazi, Aube dorée, il conserverait entre 15 et 21 sièges.
Les sondages de janvier
Le 7 janvier, un sondage donnait 142 sièges à Syriza ; un autre sondage, le 9, lui accordait 146 sièges et enfin, le 12 janvier, 3 sondages lui donnaient 150 ou 151 sièges ! Cependant, même dans l’hypothèse d’une majorité accordée à Syriza, ce parti entend construire un large rassemblement politique et social pour faire face aux puissantes et prévisibles réactions internes et externes. L’objectif de Syriza est en effet ambitieux et repose sur trois piliers : faire face à la crise humanitaire, restructurer la production, réformer l’État. Ce dernier point est une condition prioritaire. De France, on imagine mal les faiblesses et les dysfonctionnements de l’État grec, déjà flagrants avant la crise et encore aggravés depuis lors. Syriza veut utiliser l’État comme un moyen de régulation sociale et environnementale, protéger les PME pour développer la croissance et l’emploi, faire participer la population par des consultations publiques et des référendums, bref cultiver le sens de la collectivité et de la solidarité par opposition au néolibéralisme débridé. Un programme ambitieux.
Martine Sevegrand
Législatives en Grèce : 100 000 jeunes électeurs privés du droit de voter
Les Grecs qui fêteront leur 18ème anniversaire cette année ne pourront pas voter aux élections du 25 janvier comme la loi leur en donne le droit. La faute en revient au ministère de l’Intérieur qui n’a pas constitué les listes électorales avant la fin de l’année. Par peur de ces jeunes ? De même, les électeurs qui résident sur une commune autre que celle où ils sont inscrits sur les listes électorales ne pourront pas voter. Certes, le délai entre l’annonce des élections et leur tenue a été très court mais une procédure simple n’a pas été cherchée. Il aurait fallu que le ministre de l’Intérieur s’en préoccupe.
Bernard Maris et la « fureur du capitalisme »
Dans l’hommage rendu aux victimes de Charlie-Hebdo, Bernard Maris n’a certes pas été oublié complètement. La radio France-Inter, sur laquelle il intervenait chaque vendredi, a souligné qu’il était un « brillant économiste », un peu original, fort gentil et doux. On a oublié de dire que, dès la fin 2011, il affirmait que « tous les pays européens devront, tôt ou tard, se résigner à effacer une partie de leur dette. »
On a oublié de dire aussi qu’en avril dernier, il déclarait : « A cause de la monnaie unique, les États allaient se lancer dans une concurrence fiscale et budgétaire : ils allaient organiser leur budget à leur manière, sous le parapluie de l’euro. Les Grecs, par exemple, empruntaient en euros grecs mais remboursaient en « économie grecque », c’est-à-dire en féta et en fromage de chèvre. Les Allemands empruntaient en euros et remboursaient en Porsche et en Mercedes. » Mais, ajoutait-il, « l’industrie alimentaire allemande finit par récupérer la fabrication de fromages grecs. » Bernard Maris faisait ainsi allusion à une décision du Parlement grec qui, sur proposition ou injonction de la Troïka, avait allongé le délai accordé à l’appellation « lait frais » de 5 à 11 jours. Du coup, le marché du lait en Grèce s’ouvrait au lait provenant d’Allemagne…
On a oublié de dire enfin que, depuis octobre dernier, lui qui avait voté pour Maastricht et le traité constitutionnel, estimait désormais qu’il fallait quitter la zone euro. En taisant les thèses de Bernard Maris, on l’a tué une seconde fois.
Le diagnostic de l’économiste américain Joseph Stiglitz : « Le problème n’est pas la Grèce, c’est l’Europe »1
« Dans la plupart des pays de l’Union européenne, le PIB par habitant est inférieur à ce qu’il était avant la crise. Une demi décennie perdue se transforme rapidement en une décennie entière. Derrière les froides statistiques, des vies sont brisées, et des familles se disloquent (ou ne se constituent pas) à mesure que la stagnation – la dépression dans certains endroits – suit son cours année après année…
L’Europe n’est pas une victime. Oui, l’Amérique a mal géré son économie ; mais non, les États-Unis n’ont pas, en quelque sorte, réussi à transférer le poids de la crise sur l’Europe. Le malaise de l’Europe est auto-flagellé. Il est la conséquence d’une succession sans précédent de mauvaises décisions économiques, à commencer par la création de l’euro. Bien que destiné à unir l’Europe, l’euro l’a en définitive divisé ; et en l’absence de la volonté politique de créer des institutions qui permettraient à une monnaie unique de fonctionner, les dommages ne cessent pas.
Renverser les politiques d’austérité
Le désordre actuel découle en partie de l’adhésion à la croyance, depuis longtemps discréditée, que les marchés fonctionnent bien, sans imperfections concernant l’information et la concurrence. L’hybris a également joué un rôle. Comment expliquer autrement le fait que, année après année, les prévisions des fonctionnaires européens en ce qui concerne les effets de leurs politiques ont toutes été fausses ?
Ces prévisions ont été erronées non parce que les pays de l’UE n’ont pas réussi mettre en œuvre les politiques prescrites, mais parce que les modèles sur lesquels ces politiques reposaient étaient totalement viciés. (…)
La Grèce, un nouveau test pour l’Europe
Le drame en Europe est loin d’être terminé. Une des forces de l’UE est la vitalité de ses démocraties. Mais l’euro a enlevé aux citoyens – en particulier dans les pays en crise – leur voix au chapitre sur leur destin économique. A plusieurs reprises, les électeurs mécontents de la direction de l’économie ont rejeté leurs gouvernements, obtenant seulement que le nouveau gouvernement continue sur la même voie dictée par Bruxelles, Francfort et Berlin. (…)
la Grèce va maintenant constituer un nouveau test pour l’Europe. La baisse du PIB grec depuis 2010 est bien pire que celle à laquelle l’Amérique a été confrontée pendant la Grande dépression des années 1930. Le chômage des jeunes est supérieur à 50 %. (…) Si Syriza gagne mais ne prend pas le pouvoir, le motif principal en sera la peur de la façon dont l’UE va répondre. La peur n’est pas la plus noble des émotions, et elle ne saurait constituer le type de consensus national dont la Grèce a besoin pour aller de l’avant.
Le problème n’est pas la Grèce. C’est l’Europe. Si l’Europe ne change pas sa façon de faire – si elle ne réforme pas la zone euro et si elle n’abroge pas l’austérité – une réaction populaire deviendra inévitable. Peut-être la Grèce va-t-elle maintenir le cap cette fois-ci encore . Une telle folie économique ne peut continuer éternellement. La démocratie ne le permettra pas. Mais combien de souffrances supplémentaires l’Europe devra-t-elle endurer avant qu’elle revienne à la raison ? »
1Extrait du texte de Joseph Stiglitz, publié le 12 janvier, sur le site de « Regards ».