Pourquoi Poutine viendra-t-il pour le « débarquement » ?

 

Pour le 70e anniversaire du «débarquement », tous les dirigeants occidentaux seront présents et, avec eux, les vétérans américains. Mais la participation du dictateur du Kremlin au milieu de tous ces démocrates paraîtra bien étrange à plus d’un téléspectateur ; même si on lui a rapidement rappelé que les Russes – ou plutôt les Soviétiques – avaient combattu, eux aussi, les nazis … après avoir fait alliance avec eux en août 1939. Mais enfin, se dira-t-on, ce ne sont pas les Russes qui ont débarqué en Normandie et libéré la France ?

Il n’est sans doute pas inutile de faire quelques rappels historiques.

Quelques chiffres d’abord pour, au delà des discours célébrant l’héroïsme des uns et des autres, revenir à la sanglante réalité de la guerre : les Soviétiques dans leur lutte contre l’Allemagne nazie ont perdu 9 millions 500 000 hommes environ tandis que les Américains n’ont eu « que » 246 000 tués au combat en Europe. Si les évaluations varient, c’est l’ordre de grandeur qui doit être retenu. Et l’on n’oubliera pas que, pour les États-Unis, la guerre la plus longue et la plus dure eut lieu dans le Pacifique contre le Japon. Ce n’est pas tout : en URSS, les populations civiles ont été les grandes victimes des Allemands ; les chiffres avancés en pertes civiles oscillent entre 13 et 15 millions ! L’immense avantage des États-Unis a été de n’avoir pas eu la guerre sur son territoire, et donc pas de victimes civiles, si l’on excepte le bombardement de Pearl-Harbor, en plein Pacifique d’ailleurs. En revanche, à l’occasion de cette guerre, les États-Unis sont devenus le grand atelier du monde et ont assis leur suprématie. Les pertes humaines, dramatiques pour les familles endeuillées, ne doivent pas faire oublier cet aspect économique.

La guerre menée par les Soviétiques

Elle se résume trop, pour nous en France, à la gigantesque bataille de Stalingrad, qui représente, certes, un tournant de la guerre puisqu’elle stoppe l’offensive allemande à l’est et son premier grand échec. Mais qui songe encore au dramatique siège de Leningrad – que les plus jeunes confondent d’ailleurs allègrement avec Stalingrad ! – qui dura du 8 septembre 1941 au 27 janvier 1944, soit 872 jours ? Il entraîna la mort de 1,8 million de Soviétiques dont 632 000 moururent de faim.

Qui songe aussi à la bataille de Koursk (juillet-août 1943), le plus grand affrontement de chars de l’histoire, à l’issue de laquelle il est acquis que l’Allemagne a perdu la guerre ? Or, en cette année 43, les Anglo-américains ne sont pas encore en mesure de débarquer sur les côtes françaises pour soulager les Russes qui subissent l’essentiel du poids de la guerre. Certes, il y a bien eu le débarquement en Afrique du Nord en novembre 1942, mais la Sicile n’est occupée qu’à partir de juillet 1943. Il n’y aurait donc pas eu de débarquement sur les côtes françaises sans les nombreuses défaites infligées à l’Allemagne par l’URSS. Voilà qui explique la venue de Poutine qui, que cela nous plaise ou non, représente aujourd’hui la puissance russe qui a conduit à l’écrasement de l’Allemagne hitlérienne.

Cette ignorance ou cet oubli de ce que les Russes appellent la « Grande guerre patriotique » est entretenu par l’absence de films sur nos écrans tandis que les films américains sur « leur » guerre sont très nombreux. Ce n’est pourtant pas faute de films soviétiques mais nous ne les voyons pas. Où l’on voit que l’idéologie préside aussi à la programmation de nos écrans…

Le pacte germano-soviétique ( 23 août 1939)

Telle est l’objection incontournable que l’on m’opposera. Or ce pacte entre Hitler et Staline comprend deux volets, l’un public et l’autre secret. Ce dernier par lequel les deux puissances se partageaient l’Europe de l’est, et en particulier la Pologne, en zones d’influence, est évidemment criminel de la part de Staline et ne peut faire l’objet d’excuses. Mais le volet public qui est le pacte de non agression entre l’URSS et l’Allemagne mérite d’être examiné.

L’Union soviétique ne pouvait que se sentir menacée par une Allemagne nazie cultivant l’anticommunisme et prévoyant son expansion (espace vital) à l’est. Dans la hiérarchie nazie, les Slaves – qu’ils soient russes ou polonais – sont classés juste au-dessus des Juifs et sont destinés à devenir des esclaves de la race supérieure. Staline avait donc conclu en mai 1935 un pacte d’assistance mutuelle avec la France ; mais l’état-major français s’opposait à une convention militaire et les gouvernements qui se succèdent entre 1935 et 1939 y répugnent également. En 1938, les accords de Munich par lesquels la France et la Grande-Bretagne abandonnèrent à Hitler leur alliée, la Tchécoslovaquie, avaient de quoi inquiéter Staline qui, d’ailleurs, n’avait pas été invité à la conférence. Ce dernier réclame donc des Français et Anglais des garanties précises d’assistance. Elles ne lui seront pas données pour deux raisons. D’abord, l’attitude du Premier ministre anglais, Neville Chamberlain qui n’a aucune confiance en Staline mais, en revanche, espère toujours ramener Hitler à la raison. Ensuite, le refus de la Pologne, alliée à la France et à la Grande-Bretagne, de laisser l’Armée rouge traverser son territoire pour venir en aide à ses alliés en cas de conflit. Or, les gouvernements français et anglais savent que l’offensive allemande contre la Pologne est proche ; on évoque même la date du 25 août. L’hostilité polonaise à l’égard de la Russie peut se comprendre mais lui sera fatal : son armée n’est pas en mesure de résister à l’attaque allemande. On n’évoque pourtant jamais combien le choix opéré par les dirigeants polonais pesa sur le déroulement de la guerre. En 1939, Hitler aurait-il engagé l’armée allemande dans un combat sur deux fronts ? Ajoutons, ce qu’on oublie souvent, que la neutralité des États-Unis est un élément qui favorise les initiatives allemandes. Il fallut l’agression de Pearl Harbor (7 décembre 1941) pour faire enfin basculer les États-Unis dans la guerre.

Du côté de l’URSS, Staline craint d’avoir à soutenir une guerre sur deux fronts : à l’ouest mais aussi à l’est car les Japonais qui dominent la Mandchourie multiplient les provocations en Mongolie pro-soviétique.

Le pacte germano-soviétique est donc signé à Moscou, le 23 août, par Ribbentrop et Molotov. Le 1er septembre, les troupes allemandes envahissent la Pologne.

Au sujet de ce pacte, dans ses mémoires, Churchill écrit : « l’offre des Soviétiques fut ignorée dans les faits. Ils ne furent pas consultés face à la menace hitlérienne et furent traités avec une indifférence, pour ne pas dire un dédain, qui marqua l’esprit de Staline. Les événements se déroulèrent comme si la Russie soviétique n’existait pas. Nous avons après coup terriblement payé pour cela. »

La souffrance des Soviétiques

On n’insistera jamais assez sur ce que fut le poids de la guerre pour les Soviétiques, et d’abord pour les Russes. Poids incommensurable. S’ils furent épargnés en 1939, l’offensive allemande lancée le 22 juin 1941 déclencha des horreurs sans nom. Cette fois, Staline porte une lourde responsabilité, lui qui refusa d’entendre les multiples informateurs l’avertissant de la concentration des troupes allemandes sur la frontière. L’Armée rouge fut surprise, par la faute de Staline, et les Russes le payèrent très cher : tués au combat, massacres de civils (et pas seulement de juifs), dévastation du territoire et près de 4 millions de prisonniers. C’est à leur sujet que le racisme nazi apparaît dans toute son horreur : entre juillet 1941 et février 1942, les Allemands laissèrent mourir de faim 2 millions de ces prisonniers. On se tromperait si l’on imaginait seulement une administration dépassée par ses victoires. Pour implanter plusieurs millions d’Allemands à l’Est, il faut, comme Himmler l’a dit à plusieurs dignitaires SS, exterminer 30 millions de Soviétiques. La « politique de la famine » s’inscrit dans un plan plus vaste, génocidaire. Les juifs et les tziganes furent les premiers concernés mais d’autres, plus nombreux, étaient aussi visés.

En comparaison, la conduite des Allemands à l’ouest, par exemple dans la France occupée, apparaît policée, « correcte » comme on a dit souvent, sauf pour les juifs. Les attentats contre des soldats et officiers allemands provoquèrent, certes, des représailles, mais qui n’ont rien de comparable avec ce qui se déroula sur le front est. Là-bas, un massacre comme celui d’Oradour fut un fait quotidien.

C’est pourquoi, en ces jours anniversaires du débarquement qui mettront à l’honneur les soldats américains et anglais, j’ose clamer : Vivent les Soviétiques ! Vivent les Russes ! Merci à eux.

 

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